Quand deux associations de protection de l’enfance en ligne ont récemment fait bloquer quatre sites pornographiques en France pour absence de système efficace de vérification de l’âge des utilisateurs, elles pensaient sans doute avoir remporté une belle victoire. Mais dans un cas, il s’est avéré que c’était un peu tirer une balle dans le pied.
Comme le rapporte le site l’Informé, les associations e-Enfance et La Voix de l’Enfant s’en sont pris à Iciporno, Mrsexe, Tukif et xHamster. Leurs plaintes listaient les adresses web des sites incriminés. Mais pour xHamster, elles ont mis « fr.xhamster.com », pointant vers le sous-domaine français du site.
Une décision de justice aux effets limités
En conséquence, la Cour d’appel de Paris a ordonné le blocage de « fr.xhamster.com » – préfixe « fr. » compris. Les fournisseurs d’accès internet ont donc appliqué la décision et bloqué xHamster au niveau DNS – mais uniquement avec le préfixe « fr. »…
Résultat : xHamster reste accessible en France, simplement en tapant « xhamster.com » sans le « fr. ». Un joli contournement techniquement tout à fait légal, le temps qu’Arcom, le régulateur français, trouve une parade pour colmater cette embarrassante brèche.
La difficile lutte contre la pornographie chez les mineurs
Ce couac judiciaire illustre bien la complexité de la régulation des contenus pour adultes sur Internet. Malgré un arsenal législatif de plus en plus fourni, les autorités peinent à faire appliquer des mesures de protection des mineurs réellement efficaces.
Car au-delà des limites techniques, le blocage pur et simple de sites web soulève aussi des questions de libertés fondamentales. La frontière est ténue entre protection légitime de l’enfance et censure. Sans compter que les adolescents, souvent plus habiles techniquement que leurs aînés, excellent dans l’art de contourner les barrières numériques…
En matière de régulation d’Internet, la course entre le gendarme et le voleur tourne souvent à l’avantage du second.
Thomas Fourmeux, avocat spécialiste du numérique
Miser sur la responsabilisation plus que la prohibition ?
Beaucoup d’experts préconisent donc de miser davantage sur l’éducation et la responsabilisation des jeunes utilisateurs que sur une approche purement répressive et technologique, forcément imparfaite et contournable.
Un constat partagé par la plupart des acteurs : parents, enseignants, associations… Même si pour ces dernières, les initiatives de blocage comme celle qui a visé xHamster restent utiles pour faire pression sur les sites et faire évoluer les pratiques. A condition d’être juridiquement et techniquement irréprochables…
Car dans cette partie d’échecs planétaire entre régulateurs et géants du web, la moindre faille dans la stratégie des premiers sera impitoyablement exploitée par les seconds. La récente mésaventure judiciaire d’e-Enfance et La Voix de l’Enfant en est une parfaite illustration.
Des progrès encore nécessaires
Malgré ce revers, la lutte contre l’accès des mineurs aux contenus pornographiques reste plus que jamais une priorité des pouvoirs publics. Avec des progrès notables comme l’obligation faite aux sites de mettre en place une vérification d’âge par tiers.
Mais il reste encore beaucoup à faire pour atteindre un niveau de protection satisfaisant, conciliant sécurité des plus jeunes et liberté de navigation des adultes. Un équilibre délicat à trouver dans un univers numérique en perpétuelle évolution.
Une chose est sûre : dans ce bras de fer avec certains des sites les plus fréquentés du web, l’Arcom et la justice française n’ont pas fini d’en découdre. La partie d’échecs ne fait que commencer. Et on peut s’attendre à d’autres rebondissements dans les mois et années à venir…