Dans un monde de plus en plus connecté, la question de la confidentialité en ligne est devenue un enjeu majeur. Les internautes sont de plus en plus soucieux de la façon dont leurs données personnelles sont collectées et utilisées par les sites web qu’ils visitent. C’est dans ce contexte que la fonctionnalité « Do Not Track » a fait son apparition il y a quelques années, promettant de donner aux utilisateurs un meilleur contrôle sur leur vie privée en ligne. Pourtant, Mozilla vient d’annoncer la suppression de cette option dans la prochaine version de son navigateur Firefox. Décryptage d’une décision qui en dit long sur les limites de l’autorégulation en matière de respect de la vie privée.
« Do Not Track » : une fonctionnalité séduisante mais inefficace
Proposé dès 2011, le signal « Do Not Track » (DNT) visait à permettre aux internautes d’indiquer facilement aux sites web visités leur souhait de ne pas être pistés. L’idée était simple : en activant cette option dans les paramètres de leur navigateur, les utilisateurs pouvaient envoyer un signal standard demandant aux sites de ne pas collecter et partager leurs données de navigation à des fins de ciblage publicitaire.
Problème : ce signal n’avait aucune valeur contraignante. Sa prise en compte reposait entièrement sur la bonne volonté des acteurs du web. Autant dire que dans un écosystème largement financé par la publicité en ligne, ciblage inclus, la grande majorité des sites ont choisi d’ignorer purement et simplement les demandes « Do Not Track ».
Le fait que certains des plus grands réseaux publicitaires aient déclaré qu’ils ne respecteraient pas les signaux DNT montre bien la faiblesse de l’initiative.
– Frederik Zuiderveen Borgesius, Chercheur à l’Institut pour le droit de l’information
Une fonctionnalité contre-productive ?
Pire encore que d’être simplement ignoré, le signal « Do Not Track » s’est avéré potentiellement contre-productif pour la protection de la vie privée. Des chercheurs ont en effet montré que le fait d’avoir DNT activé pouvait paradoxalement faciliter l’identification et le profilage des utilisateurs.
Cela s’explique par le fait que la grande majorité des internautes n’activent pas cette option. Avoir le signal DNT fait donc partie des éléments permettant de distinguer un utilisateur, au même titre que la configuration spécifique de son navigateur (plugins installés, polices disponibles…). Des informations précieuses pour générer une empreinte numérique unique et reconnaissable.
Avec Do Not Track, vous vous démarquiez de la masse, ce qui est exactement ce qu’il faut éviter si on cherche à préserver son anonymat en ligne.
– Pierre Beyssac, Fondateur de BrowserLeaks.com
Conscient de ces limites, Apple avait d’ailleurs déjà retiré Do Not Track de son navigateur Safari dès 2019. Une décision plus symbolique que pratique, la fonctionnalité n’ayant en réalité jamais été activée par défaut sur les appareils de la marque à la pomme.
Une décision logique pour Mozilla
Avec le retrait de « Do Not Track », Mozilla aligne sa position sur celle d’Apple et acte l’échec de cette tentative d’autorégulation. Plutôt que de maintenir une option devenue inutile voire trompeuse, l’éditeur de Firefox choisit de se concentrer sur le déploiement de protections intégrées et activées par défaut :
- Blocage des traqueurs tiers et des cookies publicitaires
- Isolation des cookies de suivi dans un conteneur dédié (Total Cookie Protection)
- Mode de navigation privée avec protection renforcée contre le pistage
Des mesures techniquement plus efficaces car ne dépendant pas du bon vouloir des acteurs du web. Elles témoignent de la conviction de Mozilla que face à l’appétit sans limite des géants de la tech pour nos données, seule une approche proactive et contraignante peut garantir le respect de notre vie privée en ligne.
Vers une nécessaire régulation des pratiques de pistage
L’abandon de « Do Not Track » sonne comme un aveu d’échec pour l’autorégulation. Il rappelle que sans cadre légal contraignant, les bonnes intentions affichées par l’industrie ne suffisent pas à changer ses pratiques. D’où l’importance des législations comme le RGPD européen, qui impose des règles claires en matière de consentement et de traitement des données personnelles.
Mais au-delà des aspects légaux, c’est aussi une question de volonté et de choix de société. Acceptons-nous que la surveillance généralisée et l’exploitation de nos données soient le prix à payer pour accéder gratuitement aux services en ligne ? Ou considérons-nous au contraire que le respect de notre vie privée est un droit fondamental qui doit primer sur les intérêts économiques des géants du web ? Des questions cruciales qui appellent un vrai débat démocratique.
En attendant, la vigilance reste de mise pour les internautes soucieux de préserver leur confidentialité. Choisir un navigateur respectueux comme Firefox, utiliser des extensions anti-pistage, nettoyer régulièrement ses cookies… Autant de réflexes à adopter en parallèle d’une mobilisation citoyenne pour exiger une meilleure protection de nos données en ligne.