Imaginez une startup prometteuse, portée par l’élan de la mobilité électrique, qui ambitionne de détrôner Uber en Inde. BluSmart, avec sa flotte de plus de 8 700 véhicules électriques, incarnait ce rêve. Mais en avril 2025, un scandale financier a ébranlé cette entreprise, suspendant ses services dans des métropoles comme Delhi, Mumbai et Bengaluru. Que s’est-il passé pour que cette étoile montante de la tech indienne s’effondre si brutalement ? Cet article plonge dans les dessous de cette crise, ses implications pour l’écosystème des startups et les leçons à tirer pour les entrepreneurs et investisseurs.
Une Ascension Météorique Freinée par la Crise
Fondée en 2019 par Anmol Singh Jaggi, Puneet Singh Jaggi et Punit K. Goyal, BluSmart s’est rapidement imposée comme un acteur clé de la mobilité durable en Inde. Avec une flotte entièrement électrique, l’entreprise offrait une alternative premium à Uber et Ola, séduisant les utilisateurs par des véhicules bien entretenus et des chauffeurs fiables. En 2024, BluSmart revendiquait un chiffre d’affaires annuel récurrent de 8,4 milliards de roupies (environ 98 millions de dollars) et une flotte de 8 700 véhicules, contre 6 000 en début d’année. Soutenue par des investisseurs prestigieux comme BP Ventures et ResponsAbility, la startup semblait inarrêtable.
Cette croissance fulgurante reposait sur un modèle économique audacieux : BluSmart louait ses véhicules électriques à Gensol Engineering, une entreprise cotée en bourse partageant les mêmes co-fondateurs, les frères Jaggi. Ce partenariat semblait stratégique, permettant à BluSmart de rester agile tout en développant son infrastructure de recharge. Mais ce lien étroit avec Gensol s’est révélé être une épée à double tranchant, précipitant la chute de l’entreprise.
C’est vraiment surprenant que le service soit indisponible. Cela semble être un effet indirect de ce qui s’est passé avec Gensol.
– Un investisseur de BluSmart, à TechCrunch
Un Scandale Financier aux Conséquences Dévastatrices
Le 15 avril 2025, la Securities and Exchange Board of India (SEBI) a lancé une enquête sur Gensol Engineering, accusant les frères Jaggi de détournement de fonds. Selon le régulateur, des prêts d’un montant de 9,78 milliards de roupies (environ 114 millions de dollars), destinés à l’achat de 6 400 véhicules électriques pour BluSmart, ont été partiellement détournés. SEBI a révélé que seuls 4 704 véhicules ont été acquis, pour un coût de 5,68 milliards de roupies. Le reste des fonds aurait été utilisé pour des dépenses personnelles, notamment l’achat d’un appartement de luxe à Gurgaon et d’équipements de golf.
Face à ces accusations, les frères Jaggi ont été contraints de quitter leurs postes de direction chez Gensol, et SEBI leur a interdit de participer au marché des valeurs mobilières. Cette enquête a eu un effet domino sur BluSmart, qui a suspendu ses services dès le lendemain dans plusieurs villes. L’aéroport de Delhi a même émis un avis confirmant l’arrêt temporaire des opérations de BluSmart, laissant des milliers de chauffeurs sans emploi et des clients dans l’incertitude.
Les répercussions financières sont tout aussi alarmantes. Les agences de notation ICRA et CARE ont dégradé la cote de Gensol en mars 2025, citant des défauts de paiement et des irrégularités comptables. Avec un effondrement de plus de 83 % de son action depuis le début de l’année, Gensol lutte pour stabiliser ses opérations, tandis que BluSmart fait face à des problèmes de liquidité croissants.
Impact sur les Clients et les Chauffeurs
La suspension soudaine des services de BluSmart a laissé les utilisateurs dans une situation délicate. De nombreux clients se sont plaints sur les réseaux sociaux de ne pas pouvoir accéder aux fonds stockés dans leurs portefeuilles numériques BluSmart. Dans un courriel adressé aux clients, l’entreprise a promis des remboursements sous 90 jours si les services ne reprenaient pas, une déclaration qui n’a pas apaisé les inquiétudes.
En tant qu’utilisateur fréquent de BluSmart, la nouvelle de l’arrêt du service est un coup dur. Encore un service auquel on s’était habitué, perdu à cause d’une mauvaise gestion.
– Un utilisateur sur X
Pour les chauffeurs, la situation est encore plus dramatique. Des milliers d’entre eux, comme Mohammed Akhlakh, un chauffeur de Delhi interrogé par Reuters, se sont retrouvés sans revenu du jour au lendemain. Akhlakh, qui soutient ses parents, sa femme et ses deux enfants avec un salaire mensuel d’environ 400 dollars, a été sommé de rendre les clés de son véhicule sans explication claire. Cette crise met en lumière la précarité des travailleurs de l’économie des petits boulots dans le secteur de la mobilité.
Un Modèle Économique Fragile
Le modèle économique de BluSmart, bien que novateur, présentait des failles structurelles. Contrairement à Uber, qui s’appuie sur des chauffeurs indépendants, BluSmart louait sa flotte à Gensol, ce qui augmentait ses coûts opérationnels. Cette dépendance à une entité externe a amplifié les conséquences de la crise de Gensol. De plus, l’entreprise brûlait des liquidités à un rythme alarmant, sans réussir à lever suffisamment de capitaux externes pour soutenir sa croissance.
Les points faibles du modèle de BluSmart incluent :
- Dépendance à Gensol : La relation étroite avec une entreprise aux pratiques financières douteuses a exposé BluSmart à des risques majeurs.
- Coûts élevés : Le leasing de véhicules et l’entretien d’une infrastructure de recharge ont grevé les finances de l’entreprise.
- Manque de liquidité : Les difficultés à lever des fonds ont exacerbé les problèmes financiers, rendant l’entreprise vulnérable aux chocs externes.
Une Transition Vers Uber : Une Solution Viable ?
Face à ces défis, des rumeurs ont circulé sur un possible pivot stratégique de BluSmart vers un rôle de partenaire de flotte pour Uber. Selon des rapports, les actionnaires de BluSmart auraient approuvé un plan pour transférer 700 à 800 véhicules à Uber dans les semaines à venir. Cependant, cette transition soulève des questions complexes, notamment sur la propriété des véhicules et les engagements financiers envers les créanciers de Gensol.
Ce pivot pourrait offrir une bouée de sauvetage à BluSmart, mais il marque un recul significatif par rapport à son ambition initiale de concurrencer directement Uber. De plus, la réputation ternie de l’entreprise et la méfiance des consommateurs pourraient compliquer cette transition. Comme le souligne Sanjeev Bikhchandani, fondateur d’Info Edge, la gouvernance d’entreprise est essentielle pour la pérennité d’une startup :
Les chauffeurs sont les plus durement touchés. Ils ne sont pas aisés et se retrouvent soudainement sans revenus.
– Sanjeev Bikhchandani, à ANI
Leçons pour les Startups et les Investisseurs
La débâcle de BluSmart offre des enseignements précieux pour l’écosystème des startups, en particulier dans les secteurs à forte intensité de capital comme la mobilité électrique. Voici quelques leçons clés :
- Gouvernance rigoureuse : Les entreprises doivent instaurer des mécanismes de contrôle interne solides pour éviter les abus financiers.
- Transparence avec les investisseurs : La communication tardive de BluSmart avec ses investisseurs a amplifié la crise de confiance.
- Diversification des risques : Une dépendance excessive à un partenaire, comme Gensol, peut s’avérer fatale.
- Protection des parties prenantes : Les chauffeurs et les clients doivent être mieux protégés face aux turbulences financières.
Pour les investisseurs, cette crise souligne l’importance d’une diligence raisonnée approfondie. Les startups prometteuses dans des secteurs comme la clean tech nécessitent non seulement des capitaux, mais aussi une surveillance étroite pour garantir une gestion éthique et durable.
L’Avenir de la Mobilité Électrique en Inde
La chute de BluSmart jette une ombre sur le secteur de la mobilité électrique en Inde, mais elle ne signe pas la fin de l’innovation dans ce domaine. Des concurrents comme Shoffr, qui gagne du terrain pour les transferts aéroportuaires, montrent que la demande pour des services fiables et durables reste forte. De plus, la crise pourrait inciter les régulateurs à renforcer les contrôles sur les prêts verts, garantissant une meilleure allocation des fonds publics.
Pour les entrepreneurs, cette affaire est un rappel brutal : une vision audacieuse ne suffit pas. La durabilité financière et l’intégrité sont tout aussi cruciales pour transformer une idée en succès pérenne. Alors que l’Inde ambitionne d’électrifier 30 % de ses véhicules à quatre roues d’ici 2030, des entreprises comme BluSmart devront redoubler d’efforts pour restaurer la confiance des parties prenantes.
Conclusion : Une Opportunité de Rebond ?
La suspension des services de BluSmart marque un tournant douloureux pour une entreprise qui incarnait l’espoir d’une mobilité plus verte en Inde. Cependant, cette crise peut aussi être une opportunité pour repenser les modèles économiques et renforcer la gouvernance dans le secteur des startups. Pour les entrepreneurs et les investisseurs, l’histoire de BluSmart est un avertissement : sans une gestion rigoureuse et transparente, même les projets les plus prometteurs peuvent s’effondrer.
Que pensez-vous de cette crise ? Les startups indiennes peuvent-elles rebondir après de tels scandales ? Partagez vos réflexions dans les commentaires et restez à l’affût des évolutions dans le secteur de la mobilité durable.