Imaginez un instant : la Corée du Sud, deuxième exportateur d’armes vers l’Europe au sein de l’OTAN, cumule près de 69 milliards de dollars de carnets de commandes dans la défense… mais presque aucune startup n’émerge pour bousculer les mastodontes historiques. C’est dans ce paradoxe géant qu’est née Bone AI, une jeune pousse qui vient de lever 12 millions de dollars pour imposer une vision radicalement nouvelle : une plateforme unifiée d’IA physique capable de concevoir, produire et déployer des drones aériens, terrestres et maritimes autonomes à grande échelle.
Une levée de fonds qui fait déjà parler
Le tour de table seed de 12 millions de dollars a été mené par le fonds américain Third Prime, avec la participation stratégique du conglomérat sud-coréen Kolon Group, spécialiste des matériaux avancés. Et ce n’est pas tout : le fondateur lui-même, DK Lee, a injecté plus de 1,5 million de dollars de sa poche – plus de 10 % du tour – pour prouver son engagement total.
« Je voulais montrer à la fois aux investisseurs et à mon équipe que je suis investi à 100 %, financièrement et émotionnellement, dans cette mission »
– DK Lee, fondateur de Bone AI
En moins d’un an d’existence, la startup affiche déjà des résultats impressionnants : un contrat B2G à sept chiffres, 3 millions de dollars de chiffre d’affaires et une sélection dans un programme gouvernemental sud-coréen de logistique autonome.
Le secret de cette traction express ? Une acquisition stratégique
Six mois seulement après son lancement, Bone AI a racheté D-Makers, un fabricant coréen de drones, ainsi que l’ensemble de son portefeuille de brevets. Cette opération a permis à la jeune pousse de passer instantanément d’une équipe d’ingénieurs IA à une structure capable de livrer des produits finis et certifiés défense.
DK Lee ne s’en cache pas : d’autres acquisitions sont déjà dans le pipe. La stratégie « buy vs build » est clairement assumée pour accélérer la maturité produit et la crédibilité commerciale.
Au-delà de la défense : la vision de l’IA physique
Si les premiers contrats concernent la défense (logistique militaire, détection d’incendies, contre-drones), Bone AI refuse l’étiquette purement « defense tech ». Pour DK Lee, nous sommes face à une nouvelle catégorie : l’IA physique, c’est-à-dire la convergence totale entre :
- algorithmes d’autonomie de pointe
- simulation avancée
- design hardware intégré
- et manufacturing à grande échelle
Aucun acteur aujourd’hui ne maîtrise l’ensemble de la chaîne, même pas Nvidia qui reste dépendant d’un écosystème asiatique de sous-traitance. C’est précisément cette dépendance que Bone AI veut transformer en avantage compétitif souverain.
Pourquoi la Corée du Sud est le terrain de jeu idéal
Le pays dispose d’atouts industriels uniques :
- des géants comme Samsung, LG et Hyundai qui ont prouvé la capacité à scaler du hardware complexe
- une chaîne d’approvisionnement ultra-compétitive en semi-conducteurs, batteries et matériaux composites
- un gouvernement qui accélère massivement les investissements dans les technologies de défense avancées
- et un partenariat stratégique renforcé avec l’Europe depuis 2024
Pour Michael Kim, partner chez Third Prime :
« Bone se trouve au carrefour de l’IA souveraine, de la multipolarité géopolitique et de la réindustrialisation mondiale »
– Michael Kim, Third Prime
Anduril en Amérique, Helsing en Europe… et Bone AI en Asie ?
Aux États-Unis, Anduril dépasse les 30 milliards de valorisation. En Europe, Helsing flirte avec les 13 milliards. Israël a ses champions. L’Asie, malgré sa domination industrielle, n’a pas encore son équivalent.
Bone AI veut combler ce vide. Avec son siège à Séoul et un bureau à Palo Alto, la startup adopte une stratégie bicéphale : accès au talent américain en IA et aux capacités industrielles coréennes. Le modèle rappelle celui de SpaceX ou Tesla à leurs débuts : verticaliser toute la stack pour contrôler qualité, coûts et délais.
DK Lee : un fondateur qui n’en est pas à son coup d’essai
Avant Bone AI, DK Lee a cofondé MarqVision, une pépite de l’IA appliquée à la protection de la propriété intellectuelle, qui a rapidement attiré l’attention des investisseurs. Cette première expérience lui a appris à scaler des produits IA à l’international.
Mais il a vite compris la limite : l’IA purement digitale atteint ses limites. La prochaine frontière, c’est le monde physique. D’où cette phrase qui résume sa nouvelle obsession :
« Après MarqVision, je suis reparti de zéro : conférences de robotique, cold emails aux ingénieurs derrière Google RT-1 et RT-2, et même un café improvisé avec Jim Keller de Tenstorrent »
– DK Lee
Ce que cela signifie pour les entrepreneurs tech
Cette levée de fonds nous enseigne plusieurs leçons brutales mais précieuses :
- Les marchés « durs » (défense, industrie, manufacturing) redeviennent attractifs pour les VC, surtout quand ils croisent l’IA
- La stratégie d’acquisition précoce peut créer un fossé compétitif énorme en quelques mois
- L’engagement personnel du fondateur (skin in the game) reste un signal fort pour les investisseurs
- La Corée du Sud est en train de devenir un hub sous-coté pour le deep tech hardware + IA
Vers un nouveau champion asiatique de la robotique autonome
Bone AI n’a même pas un an et déjà des contrats gouvernementaux, du revenu, une plateforme technologique intégrée et 12 millions en caisse. Le chemin vers une licorne de la défense asiatique semble tracé.
Dans un monde où la réindustrialisation et la souveraineté technologique redeviennent des priorités nationales, des startups comme Bone AI pourraient bien redessiner la carte mondiale de l’innovation robotique. Et cette fois, le centre de gravité se déplace clairement vers l’Est.
À suivre de très près.







