Suno : 2,45 Milliards Malgré les Procès

Imaginez taper « chanson d’amour style années 80 avec solo de saxophone » et obtenir, en trente secondes, un morceau complet, chanté, mixé, prêt à poster sur TikTok. C’est exactement ce que propose Suno depuis deux ans. Et pendant que les majors du disque hurlent au vol de leurs catalogues, les investisseurs, eux, sortent le chéquier sans trembler : 250 millions de dollars fraîchement levés, valorisation post-money à 2,45 milliards. La question qui brûle toutes les lèvres dans la Silicon Valley n’est plus « est-ce légal ? » mais « qui sera le prochain à décrocher la lune avant que la loi ne rattrape la technologie ? »

Une croissance qui donne le vertige

Revenons deux petites années en arrière. Suno sort de nulle part avec une promesse folle : démocratiser la création musicale. Pas besoin de savoir jouer d’un instrument, pas besoin de studio, juste une idée et quelques dollars par mois.

Le résultat ? 200 millions de dollars de revenus annualisés en novembre 2025. Oui, vous avez bien lu. Une startup attaquée de toutes parts par Sony, Universal et Warner réalise déjà plus de chiffre d’affaires que la majorité des labels indépendants français réunis. Le modèle freemium (gratuit + 8 $/mois + 24 $/mois) fonctionne à merveille, et la version pro lancée en septembre pour les créateurs commerciaux a accéléré encore la machine.

Ce qui impressionne le plus les VCs ? La croissance est presque entièrement organique. Pas de budgets pub démentiels, pas d’influenceurs payés à coups de millions. Juste des utilisateurs qui partagent leurs créations dans les groupes WhatsApp, sur Discord, sur X. Le bouche-à-oreille 2.0, version générative.

« Tapez une idée, cliquez sur Créer, et soudain vous ne faites plus qu’écouter de la musique : vous la fabriquez. Ce passage de consommateur à créateur, c’est ce que Suno déverrouille. »

– L’équipe de Menlo Ventures dans leur billet d’investissement

Les investisseurs misent sur le « too big to fail »

Le tour de table Series C est mené par Menlo Ventures, avec un casting cinq étoiles : NVentures (le bras armé de Nvidia), Lightspeed, Matrix, Hallwood Media… Des noms qui pèsent lourd et qui, manifestement, n’ont pas peur des avocats.

En mai 2024, Suno valait environ 500 millions de dollars après sa Series B de 125 millions. Six mois plus tard, la valorisation a été multipliée par cinq. C’est le genre de trajectoire qui rappelle les folles années OpenAI ou Midjourney : plus les procès pleuvent, plus la valorisation grimpe. Étrange ? Pas tant que ça.

Dans l’esprit des fonds, le calcul est simple :

  • Le marché de la musique générative va exploser (publicités, jeux vidéo, réseaux sociaux, films à petit budget…)
  • Les premiers arrivés rafleront la mise
  • Une fois des centaines de millions d’utilisateurs accrochés, les régulateurs et les ayants droit n’auront plus vraiment le choix : il faudra négocier des licences, point final

C’est exactement ce qui s’est passé avec YouTube il y a quinze ans. Tout le monde criait au piratage… jusqu’à ce que les mêmes majors signent des contrats juteux. L’histoire bégaie, mais en accéléré.

Les procès : un risque réel ou un simple péage ?

Reprenons les faits. Suno fait face à plusieurs fronts judiciaires :

  • Plainte aux États-Unis des trois majors (Sony, Universal, Warner)
  • Actions en Europe de la Koda (Danemark) et de la GEMA (Allemagne)
  • La GEMA vient même de gagner un premier round contre OpenAI en Allemagne début novembre 2025

Le cœur du débat : Suno aurait entraîné ses modèles sur des millions de morceaux protégés par le copyright, scrapés sur le web sans autorisation. Un schéma déjà vu avec Stable Diffusion, Midjourney ou LLaMA.

Mais il y a un précédent récent qui change tout : en octobre 2025, Universal Music a réglé à l’amiable son différend avec Udio (le concurrent direct de Suno) via… un accord de licence massif. Traduction : les majors sont prêtes à monétiser leurs catalogues plutôt que de bloquer la technologie. Elles l’ont fait avec Spotify, elles le referont avec l’IA.

Pour les investisseurs, ces procès ressemblent plus à un futur poste de dépense (licences) qu’à une menace existentielle. D’où la pluie de dollars.

Pourquoi la musique est le terrain de jeu parfait pour l’IA générative

Contrairement à l’image ou au texte, la musique a une particularité : on peut l’apprécier sans forcément reconnaître l’artiste original. Une photo générique ressemble à rien, une chanson générique peut cartonner sur TikTok. C’est ce qui rend Suno si dangereux… et si puissant.

Quelques cas d’usage qui font déjà rêver les marketeurs et les créateurs :

  • Une marque veut une musique originale pour chaque vidéo Instagram → Suno en 30 secondes
  • Un développeur indie a besoin de 50 pistes pour son jeu mobile → budget divisé par 20
  • Un créateur TikTok sort 10 versions d’un même son viral avec des paroles différentes → engagement x10
  • Les podcasteurs génèrent des jingles personnalisés chaque semaine

Le marché potentiel ? Des dizaines de milliards. Goldman Sachs estimait déjà en 2024 que l’IA pourrait représenter 20 % de la création musicale d’ici 2030. On y est presque.

Et les artistes dans tout ça ?

Forcément, la question dérange. Si demain n’importe qui peut générer un tube, que devient le métier de compositeur ? Les réactions sont contrastées :

  • Certains artistes boycottent et signent les pétitions
  • D’autres (souvent les plus malins) utilisent déjà Suno pour prototyper à toute vitesse, puis font réenregistrer par des humains pour la touche finale
  • Une nouvelle génération de créateurs « prompt engineers musicaux » émerge

Comme pour la photo avec Midjourney ou l’écriture avec ChatGPT, on assiste à une polarisation : ceux qui voient l’outil comme une menace, et ceux qui y voient un superpouvoir.

Leçons business pour tout entrepreneur tech

L’histoire de Suno est une masterclass de disruption à la sauce 2025. Voici les takeaways concrets :

  • Move fast and raise money : tant que la zone grise juridique existe, avancez à fond
  • Product-led growth fonctionne encore mieux quand le produit est magique et partageable
  • Les investisseurs misent sur les winner-takes-most même quand le risque juridique est énorme
  • Les accords de licence viendront toujours après la traction massive (cf. YouTube, Spotify, maintenant l’IA)
  • Une valorisation x5 en six mois reste possible quand la croissance est exponentielle

Et après ?

Dans les prochains mois, on devrait voir :

  • Des accords de licence majeurs signés dans la douleur (mais signés quand même)
  • L’arrivée de concurrents financés encore plus massivement (Apple ? Google ? Meta ?)
  • Une explosion des contenus musicaux sur les réseaux sociaux (préparez-vous à l’infini scroll sonore)
  • Une nouvelle génération de créateurs qui n’auront jamais touché un instrument… et qui rempliront des stades virtuels

En attendant, Suno continue de grossir, les investisseurs sourient, et les avocats affûtent leurs arguments. Bienvenue dans l’ère où la musique ne se compose plus : elle se prompt.

Et vous, avez-vous déjà essayé de générer votre propre tube ? Racontez-nous en commentaire si vous pensez que les artistes humains ont encore une chance… ou si la révolution est déjà trop avancée.

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