Imaginez : vous passez trois ans à vous battre devant les tribunaux américains, vous êtes à deux doigts d’obtenir une interdiction d’importation de 15 ans sur votre concurrent… et puis, du jour au lendemain, vous décidez de tout arrêter et de vous serrer la main. C’est exactement ce qui vient de se produire entre Samsung Display et le géant chinois BOE Technology. Un revirement aussi spectaculaire qu’instructif pour tous les entrepreneurs et dirigeants qui naviguent dans la tech mondiale.
Cette histoire n’est pas seulement une simple anecdote juridique. Elle cristallise les tensions géopolitiques, la valeur astronomique de la propriété intellectuelle et les nouveaux équilibres de la supply chain des smartphones premium. Décryptage complet.
Retour sur trois années de guérilla juridique
Tout commence fin 2022. Samsung Display porte plainte devant l’ITC (International Trade Commission) américaine en accusant BOE d’avoir violé plusieurs de ses brevets fondamentaux sur les panneaux OLED diamant (la technologie qui permet les écrans pliables et les noirs parfaits des iPhone Pro).
Un an plus tard, nouveau coup de tonnerre : Samsung affirme que d’anciens ingénieurs coréens, recrutés à prix d’or par BOE, ont emporté dans leurs bagages des secrets de fabrication valant des milliards. On parle de procédés d’évaporation sous vide, de structures de pixels uniques et de techniques de encapsulation contre l’humidité – le cœur même de l’avantage concurrentiel coréen.
Les décisions tombent comme des couperets :
- Mars 2025 : l’ITC confirme l’infraction sur trois brevets majeurs
- Juillet 2025 : décision préliminaire accablante sur le vol de secrets industriels
- Recommandation d’une interdiction d’importation de panneaux BOE aux États-Unis pendant… pendant 14,7 ans
À ce stade, BOE risque de perdre l’un de ses plus gros clients : Apple, qui intègre déjà des dalles chinoises sur certains iPhone 15 et 16 pour réduire sa dépendance à Samsung.
20 novembre 2025 : le communiqué qui change tout
« Les deux sociétés ont convenu que la concurrence technologique équitable est essentielle à l’avancement de l’industrie de l’affichage »
– Porte-parole Samsung Display, 20 novembre 2025
Toutes les procédures sont abandonnées. Les deux parties demandent conjointement à l’ITC de clore l’enquête. Fin de l’histoire ? Pas vraiment.
Derrière ce communiqué laconique se cache probablement un accord financier massif : des rumeurs persistantes font état de royalties que BOE verserait désormais à Samsung pour chaque panneau OLED produit avec les technologies litigieuses. Samsung refuse de commenter, BOE reste muet… ce qui, dans le silence, en dit souvent plus long que les mots.
Pourquoi Samsung a accepté de négocier maintenant
Plusieurs facteurs ont poussé les Coréens à la table des négociations :
- Le risque de représailles chinoises sur d’autres secteurs (batteries, semi-conducteurs…)
- La volonté d’Apple de diversifier ses fournisseurs pour faire baisser les prix
- La montée en puissance fulgurante des fabricants chinois (BOE est déjà n°1 mondial LCD et grimpe très vite en OLED)
- Une interdiction totale aurait pu créer une pénurie mondiale d’écrans premium en 2026-2027
Au final, Samsung préfère sécuriser des revenus royalties + parts de marché plutôt que de tout miser sur une victoire juridique incertaine à long terme.
Les leçons business que tout entrepreneur peut en tirer
Cette affaire est une mine d’enseignements pour les startups et scale-ups tech :
1. La propriété intellectuelle est devenue l’arme absolue
En Asie particulièrement, le recrutement agressif d’ingénieurs concurrents s’accompagne souvent d’exfiltration de savoir-faire. Résultat : les procès se multiplient (Huawei, SMIC, maintenant BOE…).
2. Les accords amiables sont souvent plus rentables que les victoires totales
Samsung aurait pu écraser BOE aux USA… mais aurait perdu le marché chinois et pris le risque d’une guerre commerciale plus large. Les royalties récurrentes sont bien plus juteuses.
3. La supply chain est géopolitique
Apple, Google, Xiaomi : tous cherchent à réduire leur dépendance à la Corée du Sud tout en évitant une dépendance totale à la Chine. BOE devient un acteur incontournable, même s’il doit payer tribut.
4. La Chine rattrape son retard à vitesse grand V
Il y a 10 ans, impossible d’imaginer un fabricant chinois capable de fournir Apple en écrans haut de gamme. Aujourd’hui, BOE équipe déjà certains iPhone et vise les Galaxy Fold. La prochaine étape ? Les Micro-OLED pour lunettes AR.
Et Apple dans tout ça ?
Le grand gagnant silencieux, c’est Cupertino.
Grâce à la pression de Samsung, Apple obtient probablement des dalles BOE moins chères (puisque le Chinois doit désormais payer des royalties) tout en gardant Samsung sous tension concurrentielle. Résultat : des marges préservées et une diversification réussie de ses fournisseurs.
Stratégie classique de « diviser pour mieux régner » dans la supply chain.
Ce que ça annonce pour 2026-2030
Quelques prédictions réalistes :
- BOE va continuer sa montée en puissance, probablement jusqu’à 30-35 % du marché OLED smartphone d’ici 2028
- Les accords de licence croisée vont se multiplier entre Coréens et Chinois
- La prochaine guerre se jouera sur les Micro-LED et les écrans pour lunettes XR
- Les États-Unis vont durcir encore les contrôles sur les transferts de technologie vers la Chine
Conclusion : la paix des braves… ou simple trêve ?
Ce règlement à l’amiable marque la fin d’un chapitre, mais certainement pas de la guerre technologique sino-coréenne. Samsung sécurise ses revenus, BOE gagne du temps et de la légitimité, Apple baisse ses coûts… tout le monde y trouve son compte à court terme.
Mais dans un secteur où une génération technologique dure à peine 18 mois, la vigilance reste de mise. La prochaine bataille se prépare déjà dans les laboratoires : qui maîtrisera les écrans tandem OLED, les substrats en verre ultra-fin ou les Micro-LED basse consommation ?
Une chose est sûre : dans la tech, la paix n’est jamais définitive. Elle n’est qu’une parenthèse stratégique entre deux innovations disruptives.
Et vous, pensez-vous que ce type d’accord va devenir la norme, ou assiste-t-on simplement au calme avant la prochaine tempête ?







