Imaginez lancer une fonctionnalité révolutionnaire qui fait le buzz mondial… et vous faire stopper net parce qu’un mot de six lettres appartient déjà à quelqu’un d’autre. C’est exactement ce qui arrive à OpenAI en cette fin novembre 2025 avec sa fonction « Cameo » intégrée à Sora. Une simple recherche de marque aurait-elle suffi ? Probablement. Mais cette affaire nous rappelle brutalement que même les géants de l’IA ne sont pas au-dessus des règles élémentaires du branding et de la propriété intellectuelle.
Que s’est-il réellement passé le 21 novembre 2025 ?
Une juge fédérale californienne, Eumi K. Lee, a délivré une ordonnance de référé (temporary restraining order) qui interdit à OpenAI d’utiliser le terme « cameo » – et toute variante proche – dans son application Sora. L’ordonnance court jusqu’au 22 décembre 2025 et une audience décisive est fixée au 19 décembre.
Le plaignant ? Cameo, la plateforme bien connue où l’on achète des vidéos personnalisées de célébrités (Snoop Dogg qui vous souhaite un joyeux anniversaire, ça vous parle ?). L’entreprise détient depuis des années la marque déposée « Cameo » pour des services vidéo à la demande.
« Nous sommes satisfaits de la décision du tribunal qui reconnaît la nécessité de protéger les consommateurs contre la confusion créée par OpenAI »
– Steven Galanis, CEO de Cameo
Côté OpenAI, on conteste fermement : le mot « cameo » est un terme générique du cinéma depuis des décennies (pensez à Stan Lee dans tous les films Marvel). Pour eux, personne ne peut monopoliser un mot du langage courant.
Pourquoi cette affaire est un cas d’école pour toute startup tech
Dans l’euphorie du lancement, beaucoup de fondateurs oublient une étape pourtant cruciale : la recherche d’antériorité de marque. Et ça coûte cher.
Voici les erreurs classiques que cette histoire met en lumière :
- Penser que parce qu’un mot existe dans le dictionnaire, il est libre d’usage
- Confondre nom de domaine disponible et marque disponible
- Sous-estimer la valeur d’une marque déjà établie, même dans un secteur légèrement différent
- Lancer mondialement avant d’avoir sécurisé ses actifs immatériels
Coût estimé pour OpenAI ? Plusieurs millions entre rebranding d’urgence, mise à jour de l’app sur tous les stores, communication de crise et frais juridiques. Sans parler de l’image : difficile de se présenter comme l’entreprise la plus avancée du monde quand on se fait rappeler à l’ordre sur un point aussi basique.
La fonction « Cameo » de Sora : de l’or technologique… avec un nom empoisonné
Pour rappel, la fonctionnalité permet à n’importe qui de générer une vidéo où il (ou quelqu’un d’autre avec autorisation) parle face caméra, le tout créé par IA à partir d’un simple prompt texte ou d’une photo. Le résultat est bluffant de réalisme.
Mais le lancement a déjà été chaotique : l’estate de Martin Luther King Jr. a dû intervenir publiquement pour interdire l’usage de sa voix et de son image sans accord. D’autres cas de deepfakes non consentis ont circulé. Ajoutez maintenant ce problème de marque et vous obtenez un parfait exemple de produit techniquement brillant mais mal encadré juridiquement et éthiquement.
Que risque réellement OpenAI si la décision devient définitive ?
Plusieurs scénarios possibles :
- Renommage complet de la fonctionnalité (on parle déjà en interne de « Selfie », « Avatar Vidéo » ou « FaceTalk »)
- Retrait temporaire le temps de trouver un nouveau nom
- Règlement à l’amiable avec Cameo (coûteux mais rapide)
- Appel et bataille juridique longue (très mauvaise pub)
En attendant, l’app Sora continue d’afficher « cameo » partout… ce qui constitue techniquement une violation de l’injonction. Risque de sanctions supplémentaires.
Les leçons business à tirer pour votre startup
Voici le checklist que tout fondateur devrait cocher avant de nommer un produit, une fonctionnalité ou une entreprise :
- Recherche USPTO (États-Unis) + EUIPO (Europe) + INPI (France) sur le mot exact et les variantes
- Vérification des classes NICE concernées (classe 9 pour le logiciel, classe 41 pour les services vidéo, etc.)
- Recherche Google + App Store + réseaux sociaux pour détecter les usages courants
- Test de confusion auprès d’un panel (votre cible associe-t-elle déjà ce mot à autre chose ?)
- Réservation immédiate du nom de domaine .com et des handles sociaux
- Dépôt de marque dès que le budget le permet (même en phase MVP)
Budget moyen pour sécuriser une marque en Europe et aux États-Unis : entre 3 000 et 8 000 € avec un bon avocat spécialisé. C’est peanuts comparé au coût d’un rebranding forcé.
Et Cameo dans tout ça ? L’opportunité du siècle
Paradoxalement, cette affaire fait une publicité monstre à Cameo. Des millions de personnes découvrent ou redécouvrent la plateforme. Steven Galanis joue parfaitement la carte de la défense du « petit » contre le Goliath de l’IA.
Effet secondaire : la valorisation de Cameo vient de grimper en flèche. Des fonds VC qui avaient snobé la boîte il y a deux ans recontactent le CEO. Ironique quand on sait que Cameo a frôlé la faillite post-Covid.
Ce que cela dit de l’état actuel de l’industrie IA
On construit des modèles à plusieurs milliards de dollars capables de générer des vidéos hyper-réalistes… mais on oublie de vérifier si le nom de la fonctionnalité est disponible. Ce contraste résume parfaitement la maturité actuelle de beaucoup d’entreprises IA : génie technologique, immaturité business flagrante.
D’autres exemples récents :
- Llama de Meta qui a dû gérer les conflits avec la marque existante de vêtements
- Grok d’xAI qui a failli s’appeler « TruthGPT » (marque déjà déposée)
- Les multiples « ChatGPT wrappers » obligés de changer de nom sous la pression d’OpenAI
Conclusion : la tech la plus avancée a encore besoin des bases du commerce
Cette histoire est presque comique dans sa simplicité. Elle nous rappelle qu’avant de disrupter le monde, il faut maîtriser les fondamentaux : le droit des marques en fait partie. OpenAI paie aujourd’hui le prix de l’arrogance – ou de la précipitation – et offre un cas d’école magistral à tous les entrepreneurs tech.
Alors la prochaine fois que vous tomberez amoureux d’un nom « parfait » pour votre fonctionnalité révolutionnaire, posez-vous la question : est-ce que quelqu’un d’autre a déjà payé pour l’avoir ? Parce que même les modèles à 100 milliards de dollars ne vous protégeront pas d’un juge fédéral.
Et vous, avez-vous déjà vécu un problème de marque sur un projet ? Partagez votre expérience en commentaire, ça intéressera tout le monde.






