Imaginez une startup qui a levé des millions, brûlé du cash pendant dix ans, puis… plus rien. Pas de nouvelle levée, pas d’acquéreur, juste un produit qui tourne, des clients qui paient, mais une croissance à zéro. On l’appelle un « zombie ». Et si je vous disais que ces morts-vivants du venture capital sont en train de devenir les proies les plus convoitées du marché ?
Oui, pendant que tout le monde court après les licornes dopées à l’IA, une nouvelle race d’investisseurs rachète ces boîtes à prix cassés, les remet sur les rails de la rentabilité et… les garde pour toujours. Pas d’exit, pas de flip, juste du cash-flow éternel. Bienvenue dans l’ère du « buy, fix & hold forever ».
Bending Spoons : le cas d’école qui a fait trembler la Silicon Valley
Octobre 2025. En 48 heures, la société italienne Bending Spoons annonce deux nouvelles explosives : le rachat d’AOL (oui, vous avez bien lu) et une levée de 270 millions de dollars qui porte sa valorisation à 11 milliards – contre 2,55 milliards début 2024. Le tout en gardant le même modèle : acheter des marques tech en déclin (Evernote, Meetup, Vimeo…), couper les coûts sans pitié, augmenter les prix, et transformer des pertes en profits juteux.
Mais le plus fou ? Bending Spoons n’a aucune intention de revendre un jour ces actifs. C’est du private equity, mais sans la case « exit ». Une hérésie pour le VC classique… et pourtant, ça marche à merveille.
« Nous achetons ces entreprises, nous les rendons profitables, et nous utilisons leurs bénéfices pour en racheter d’autres. »
– Andrew Dumont, fondateur de Curious
Qu’est-ce qu’un « venture zombie » exactement ?
Un venture zombie, c’est une startup qui :
- A levé du capital-risque (souvent plusieurs tours)
- N’a plus de croissance significative
- Ne trouve plus de financement supplémentaire
- Mais génère déjà un revenu récurrent (souvent 1 à 10 M$ ARR)
- Et surtout : a un cap table épuisé (fonds en fin de vie, investisseurs fatigués)
Ces boîtes ne sont pas mortes. Elles sont juste… coincées. Trop grosses pour mourir, trop petites pour une IPO ou un rachat stratégique à 10x revenue.
Pourquoi ces zombies se vendent à prix d’ami
Une startup SaaS en bonne santé se vend aujourd’hui entre 6x et 12x son ARR. Un zombie ? Entre 0,8x et 2x. Parfois même moins.
Exemple concret : UserVoice, fondée en 2008, avait levé 9 millions auprès de Betaworks et SV Angel. En 2024, Curious l’a rachetée pour un montant confidentiel, mais probablement autour de 1x son chiffre d’affaires annuel. Un prix ridicule comparé aux valorisations folles de 2021.
Pourquoi si peu cher ? Parce que les fonds VC ont une durée de vie de 10 ans. Quand le fonds arrive à expiration, il faut rendre l’argent aux LPs. Et un zombie qui ne grandit plus ne vaut plus rien dans le modèle « power law » du venture.
La recette magique du « buy, fix & hold »
Les acquéreurs comme Curious, Bending Spoons ou Calm Capital appliquent presque toujours la même méthode :
- Rachat à bas prix (1x à 2x ARR)
- Coupes drastiques dans les coûts (souvent 40 à 60 % des effectifs)
- Centralisation des fonctions (sales, marketing, finance) sur l’ensemble du portefeuille
- Hausse des prix (les clients fidèles acceptent souvent +30 %)
- Passage en mode cash-flow positif dès le premier semestre
Résultat ? Une marge opérationnelle qui passe de -50 % à +25-35 % en quelques mois. Et ce cash finance… les prochains rachats. C’est une machine auto-alimentée.
Constellation Software : le grand-père qui valait 60 milliards
Ce modèle n’est pas nouveau. Constellation Software, fondée en 1995 au Canada, l’a inventé. L’entreprise rachète des éditeurs de logiciels verticaux oubliés, les rend profitables, et les garde éternellement. Résultat ? Une capitalisation boursière de plus de 80 milliards de dollars canadiens en 2025.
Les nouveaux venus (Tiny, SaaS.group, Arising Ventures, etc.) ne font que copier la recette, mais sur le marché des startups tech grand public et B2B.
Pourquoi les VC traditionnels détestent ce modèle (et pourquoi ils ont tort)
Dans le monde du venture capital, on ne parle que de croissance. La rentabilité ? Un gros mot. Pourtant, comme le dit Andrew Dumont :
« Les investisseurs ne s’intéressent pas aux bénéfices. Ils ne veulent que de la croissance. Sans croissance, pas d’exit à 100x, donc pas d’intérêt. »
– Andrew Dumont
Résultat : des milliers de startups rentables ou presque sont abandonnées parce qu’elles ne grandissent « que » de 20 % par an au lieu de 100 %. C’est là qu’interviennent les « hold forever ».
L’impact de l’IA : le catalyseur inattendu
L’explosion des startups IA en 2024-2025 rend les anciens logiciels encore plus vulnérables. Un outil de prise de notes classique face à Notion AI ? Un CRM traditionnel face à un agent autonome ? Beaucoup de produits des années 2010-2020 deviennent obsolètes.
Mais paradoxalement, c’est une aubaine pour les acquéreurs. Plus une startup est menacée par l’IA, plus ses investisseurs veulent s’en débarrasser vite… et à bas prix.
Les chiffres qui font rêver
Petit calcul rapide :
- Startup avec 3 M$ ARR, rachetée 3 M$ (1x revenue)
- Marge passée de -30 % à +30 % après optimisation → 900 k$ de profit annuel
- Rendement cash-on-cash : 30 % dès la première année
- Et ce cash finance le prochain rachat…
Comparez ça aux 7-10 ans d’attente (et souvent 100 % de perte) dans le VC classique.
Les acteurs à suivre de très près
Voici les principaux « zombie hunters » en 2025 :
- Bending Spoons (Italie) – valorisé 11 Md$
- Curious (Andrew Dumont) – 5 acquisitions en 2 ans
- Tiny (Andrew Wilkinson) – pionnier du modèle
- SaaS.group – très actif en Europe
- Calm Capital, Arising Ventures, etc.
Et demain ?
Andrew Dumont est formel : « Nous prévoyons d’acheter 50 à 75 entreprises dans les cinq prochaines années. Et il y en aura largement assez. »
Avec l’explosion des startups IA, la prochaine vague de zombies arrive déjà. Les fonds levés en 2021-2022 arrivent en fin de vie. Les exits se raréfient. Le marché secondaire explose.
Le « hold forever » n’est plus une niche. C’est peut-être le futur du capital-risque pour tout ce qui n’est pas IA pure.
Conclusion : la fin du mythe de la licorne ?
On nous a vendu pendant vingt ans que la seule voie royale était de construire une licorne, lever toujours plus, brûler du cash, et sortir à plusieurs milliards.
Et si la vraie richesse était ailleurs ? Dans ces petites boîtes rentables, rachetées pour une bouchée de pain, qui génèrent du cash tous les mois, pendant des décennies.
Le zombie n’est plus une insulte. C’est devenu un compliment.
Et vous, dans quel camp êtes-vous : celui qui court après la prochaine licorne… ou celui qui ramasse tranquillement les morts-vivants pour les faire revivre en machines à cash ?






