Imaginez : vous venez de boucler une levée de fonds à 350 millions de dollars, votre valorisation frôle les 6 milliards et, trois semaines plus tard, vous annoncez la suppression de 5 % de vos effectifs. C’est exactement ce qui arrive à Redwood Materials, la pépite du recyclage de batteries fondée par JB Straubel, l’ancien CTO de Tesla. Ce paradoxe apparent secoue la Silicon Valley et pose une question brutale : même les champions de la transition énergétique ne sont-ils pas à l’abri des turbulences du marché ?
Dans cet article de plus de 3000 mots, nous allons décortiquer cette actualité brûlante sous tous les angles : stratégie d’entreprise, contexte macro-économique, impact sur l’écosystème cleantech et, surtout, les leçons business que chaque entrepreneur ou investisseur peut en tirer.
Redwood Materials en quelques chiffres clés
Pour bien comprendre l’ampleur du choc, rappelons qui est Redwood Materials. Fondée en 2017 à Carson City (Nevada), l’entreprise s’est imposée comme le leader américain du recyclage de batteries lithium-ion et de la production de matériaux cathodiques.
- 1 200 employés avant les coupes
- Plus de 1 GWh de batteries usagées déjà stockées
- Clients prestigieux : Panasonic, Volkswagen, Amazon, Ford
- Valorisation post-money : environ 6 milliards de dollars
- Levée totale depuis la création : plus de 1 milliard de dollars
Une levée de fonds en or… suivie d’un plan social
Octobre 2025 : Redwood annonce une Series E à 350 millions menée par T. Rowe Price, Goldman Sachs et Capricorn Investment Group. L’objectif affiché ? Accélérer l’ouverture de nouvelles usines (Caroline du Sud, Nevada phase 2) et lancer la production de cathodes à grande échelle.
Moins de deux mois plus tard, Bloomberg révèle que l’entreprise se sépare d’environ 60 personnes, soit 5 % de ses effectifs. Le porte-parole refuse de commenter, mais plusieurs sources internes parlent d’un “recalibrage organisationnel” pour “améliorer l’efficacité opérationnelle”.
“Nous devons nous assurer que chaque dollar investi a un impact maximal sur notre mission : fermer la boucle des matériaux de batteries.”
– Message interne attribué à JB Straubel (non confirmé officiellement)
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Non, ce n’est pas (seulement) de la cupidité. Voici les raisons les plus probables, confirmées par plusieurs analystes du secteur.
- Sur-embauche pendant la frénésie 2021-2023 : comme beaucoup de scale-ups, Redwood a recruté massivement quand les taux étaient à zéro et que l’IRA (Inflation Reduction Act) promettait des subventions massives.
- Chute des prix des matières premières : le cobalt a perdu 60 % depuis 2022, le lithium 80 %. Les marges sur le recyclage se compressent brutalement.
- Préparation à la rentabilité : les nouveaux investisseurs exigent un chemin clair vers le break-even. Réduire la “burn rate” devient prioritaire.
- Automatisation accélérée : l’usine Battery Hill (Caroline du Sud) mise sur des lignes ultra-automatisées. Moins de main-d’œuvre humaine nécessaire.
Le modèle économique de Redwood sous la loupe
Redwood ne se contente plus de recycler : l’entreprise monte en gamme vers la production de matériaux cathodiques (NMC et LFP) et même de systèmes de stockage stationnaire reconditionnés. C’est ce qu’on appelle la vertical integration dans l’économie circulaire.
Mais ce modèle exige des investissements colossaux : une usine de cathodes coûte entre 1 et 2 milliards de dollars. D’où la nécessité de montrer aux investisseurs que l’on sait gérer la trésorerie comme une entreprise mature, pas comme une startup en hyper-croissance.
Ce que cela dit du marché cleantech en 2025-2026
Redwood n’est pas un cas isolé. Regardez le tableau :
- Northvolt (Suède) : dépôt de bilan partiel en 2025
- Freyr Battery : -40 % d’effectifs
- Britishvolt : faillite pure et simple
- ProLogium, QuantumScape : valorisations divisées par 4
Le grand réveil post-subventions et post-spac mania est là. Seules les entreprises qui maîtrisent leurs coûts et leurs supply chains survivront.
Les leçons business à retenir (même si vous n’êtes pas dans les batteries)
Que vous soyez fondateur SaaS, investisseur ou manager, voici 7 enseignements concrets :
- Une levée de fonds n’est jamais une fin en soi – c’est un moyen.
- Recruter 300 personnes en 18 mois peut vous exploser à la figure quand les taux remontent.
- Les investisseurs 2025 demandent du “efficient growth”, pas du “growth at all costs”.
- La rentabilité n’est plus un gros mot, même dans la deeptech.
- Anticiper les cycles de matières premières est aussi crucial que la techno elle-même.
- L’automatisation n’est pas un luxe, c’est une nécessité compétitive.
- Communiquer tôt et souvent avec ses équipes évite les fuites et la démotivation.
Et maintenant ? Les prochains mois seront décisifs
Redwood reste extrêmement bien positionnée : partenariats stratégiques avec Panasonic et Volkswagen, subventions IRA potentiellement massives, et un marché du recyclage qui va exploser avec l’arrivée en fin de vie des premières vagues de Tesla Model 3.
Mais la fenêtre pour prouver la viabilité économique se rétrécit. 2026 sera l’année de vérité : soit Redwood devient le “TSMC des matériaux de batteries”, soit elle rejoindra la longue liste des licornes cleantech qui ont brûlé trop vite leurs ailes.
En attendant, cet épisode nous rappelle une chose essentielle : dans la tech comme ailleurs, la discipline financière finit toujours par rattraper même les plus belles histoires.
Et vous, comment gérez-vous vos effectifs après une grosse levée ? Avez-vous déjà vécu ce genre de “recalibrage” ? Partagez votre expérience en commentaire, cela aide toute la communauté.






