Imaginez arriver au bureau un matin et découvrir que votre poste, celui pour lequel vous avez tout donné pendant des années, n’existe plus. Ce scénario, qui ressemblait encore à un cauchemar lointain il y a quelques années, est devenu la réalité brutale de plus de 100 000 professionnels de la tech rien qu’en 2025. Selon le suivi exhaustif de TechCrunch, la vague de licenciements qui avait déjà secoué l’industrie en 2023 et 2024 n’a pas faibli : elle s’est même accélérée sous la pression combinée de l’intelligence artificielle, du ralentissement économique et d’une course effrénée à la rentabilité.
Cette année, l’IA n’est plus seulement un outil de productivité : elle est devenue, pour beaucoup d’entreprises, la justification officielle – parfois le véritable moteur – de suppressions massives d’emplois. Derrière les communiqués lisses parlant de « réorganisation » ou d’« optimisation », il y a des carrières brisées, des familles bouleversées et une question qui nous concerne tous : jusqu’où l’automatisation va-t-elle remodeler le monde du travail tech ?
Un bilan chiffré qui donne le vertige
En onze mois à peine, plus de 113 000 postes ont été supprimés dans la tech mondiale. Le pic absolu a été atteint en avril avec plus de 24 500 licenciements en un seul mois, suivi de près par octobre (18 510) et juillet (16 327). Même février, habituellement calme, a vu 16 234 départs forcés.
Pour mettre cela en perspective : c’est presque l’équivalent de la population active de villes comme Palo Alto ou Austin qui s’est retrouvée sur le carreau en moins d’un an.
L’intelligence artificielle : le grand accusé
Si vous lisez les communiqués officiels, le mot « AI » revient comme une ritournelle. Paycom supprime 500 postes parce que « l’IA et l’automatisation améliorent l’efficacité des back-offices ». Deepwatch licencie 60 à 80 personnes en citant explicitement l’intelligence artificielle comme facteur. Fiverr taille 30 % de ses effectifs pour devenir une entreprise « AI-native ».
« Nous devons nous concentrer sur une croissance tirée par l’IA et réduire les couches managériales »
– Direction de Fiverr, septembre 2025
Le message est clair : pour beaucoup de dirigeants, l’IA n’est plus un investissement d’avenir, c’est un levier immédiat de réduction des coûts salariaux. Et les collaborateurs humains, même très qualifiés, passent soudainement du statut de « talent » à celui de « coût variable ».
Les mois qui ont marqué les esprits
Avril 2025 restera dans les mémoires comme le mois le plus noir : Intel annonce 21 000 suppressions de postes (20 % de ses effectifs), Amazon confirme 14 000 départs dans ses équipes corporate, Meta taille encore dans Reality Labs… Le choc est tel que même les analystes les plus cyniques parlent d’un « avril sanglant ».
Octobre n’a pas été beaucoup plus clément : Amazon, Meta, Applied Materials, Rivian… les annonces s’enchaînent à un rythme infernal. On assiste à un phénomène inédit : des entreprises qui licenciaient déjà massivement en 2023-2024 remettent le couvert, comme si les coupes précédentes n’avaient été qu’un hors-d’œuvre.
Les géants ne sont plus des refuges
Autre illusion qui s’effondre : l’idée que travailler chez Google, Meta ou Microsoft protège des turbulences. En 2025, les GAFAM ont été parmi les plus gros contributeurs à la casse sociale.
- Microsoft : plus de 15 000 départs cumulés sur l’année (9 000 en juillet, 6 500 en mai…)
- Amazon : 14 000 postes corporate + coupes continues dans les devices
- Meta : plusieurs vagues ciblées, notamment dans l’IA et Reality Labs
- Intel : 20 % des effectifs mondiaux, soit le plus gros plan social de son histoire
Même les licornes autrefois intouchables plient : Scale AI (200 postes), Playtika (700-800), Bumble (30 % des effectifs)… Personne n’est à l’abri.
Les secteurs les plus touchés
Certaines verticales ont été particulièrement martyrisées :
- Cybersecurity : Deepwatch, Axonius, Sophos, Skybox Security (fermeture totale)
- HR Tech & Payroll : Workday (1 750), Paycom, Dayforce, Indeed+Glassdoor (1 300)
- EV & Mobilité : Rivian (plusieurs vagues), Cruise (50 % des effectifs), Ola Electric
- EdTech : Chegg (-22 %), Klue (-40 %)
- Jeux & Divertissement : Playtika, Wondery, Rec Room
Les startups en sursis : quand le rêve tourne au cauchemar
Le plus douloureux, ce sont les histoires de startups prometteuses qui s’effondrent. HerMD passe au tout virtuel et ferme ses cliniques physiques. Pandion, Beam, Cushion, Level ferment purement et simplement. Windsurf, après avoir frôlé le rachat par OpenAI puis Google, finit absorbée par Cognition qui préfère l’IP aux équipes…
Ces fermetures brutales montrent une réalité cruelle : lever des centaines de millions ne protège plus. Quand le vent tourne, même les valorisations à plusieurs milliards ne sauvent pas les emplois.
Ce que cela dit de l’état du marché en 2025
Derrière les chiffres, plusieurs tendances lourdes se dessinent :
- La fin de l’abondance capitalistique : les investisseurs exigent la rentabilité maintenant, plus dans 5 ans
- L’IA comme arme de destruction massive d’emplois qualifiés (data annotation, support client, middle management)
- Une concentration extrême : les gagnants (OpenAI, Anthropic, xAI) captent tout l’oxygène et les talents
- Le retour des cycles économiques classiques dans la tech : après l’euphorie, la purge
Et maintenant ? Les opportunités dans la tempête
Mais tout n’est pas noir. Paradoxalement, ces licenciements massifs libèrent un vivier exceptionnel de talents seniors. Pour les entrepreneurs malins, c’est le moment rêvé pour recruter à des salaires raisonnables des profils qui étaient inaccessibles il y a encore deux ans.
Les domaines qui résistent (et même recrutent) :
- Défense & gouvernance (Palantir, Anduril)
- IA appliquée à l’industrie lourde et l’énergie
- Cybersécurité souveraine
- Healthtech régulée (moins sensible aux cycles VC)
Le mot de la fin
2025 nous aura rappelé une vérité brutale mais nécessaire : dans la tech, rien n’est jamais acquis. Ni les valorisations folles, ni les emplois « pour la vie », ni même les géants d’hier. L’intelligence artificielle accélère tout : les succès comme les échecs.
Pour les entrepreneurs, le message est clair : construisez des entreprises rentables, pas des machines à brûler du cash. Pour les salariés, diversifiez vos compétences (surtout hors code pur) et cultivez votre réseau comme jamais.
Car si l’IA remplace certains jobs, elle en crée aussi de nouveaux – mais uniquement pour ceux qui sauront s’adapter avant que la prochaine vague ne déferle.
La seule certitude ? La tech ne s’arrêtera pas. Elle se réinvente. Et ceux qui survivront à 2025 seront probablement ceux qui écriront les règles des dix prochaines années.






