Zillow Supprime les Scores de Risque Climatique

Imaginez-vous sur le point d’acheter la maison de vos rêves, budget bouclé, prêt validé… et soudain, une petite pastille rouge vous indique que cette propriété a 68 % de risques d’inondation d’ici trente ans. Vous signez quand même ? Beaucoup hésiteraient. C’est exactement ce qui est arrivé à des milliers d’acheteurs américains depuis septembre 2024, quand Zillow a décidé d’afficher ouvertement les scores de risque climatique fournis par First Street. Résultat ? Les agents immobiliers ont crié au scandale, les ventes ont chuté dans certaines zones, et moins de quinze mois plus tard, ces scores ont purement et simplement disparu de plus d’un million de fiches. Retour sur un cas d’école où la transparence se heurte brutalement aux intérêts économiques.

Ce qui s’est réellement passé en quelques mois

En septembre 2024, Zillow, le géant américain de l’immobilier en ligne, annonce fièrement l’intégration des données First Street sur quasiment l’ensemble de ses annonces. L’argument est imparable : plus de 80 % des acheteurs déclarent prendre en compte le risque climatique dans leur décision (étude Zillow 2024). Pour une plateforme qui vit de la confiance et de la conversion, afficher ces informations semblait être un coup de génie marketing : plus de transparence = plus de crédibilité = plus d’inscriptions payantes pour les agents.

Mais très vite, le vent tourne. En Californie, le puissant California Regional Multiple Listing Service (CRMLS), qui regroupe des dizaines de milliers d’agents, monte au créneau. Leur argument ? Les scores sont anxiogènes, parfois imprécis, et surtout, ils tuent les transactions. Un bien noté « risque sévère » pour les incendies voit son prix fondre de 5 à 15 % selon les zones, même quand l’historique n’a jamais connu le feu depuis cinquante ans.

Novembre 2025 : Zillow cède. Les scores disparaissent des fiches dans la zone CRMLS (soit une grande partie de la Californie). À la place, un discret lien vers le site de First Street. Le message est clair : on vous donne l’information… mais on ne vous la met plus sous le nez.

« Quand les acheteurs n’ont pas accès à une information claire sur les risques climatiques, ils prennent la plus grosse décision financière de leur vie les yeux bandés. Le risque ne disparaît pas, il passe simplement d’un élément de décision avant achat à une responsabilité après achat. »

– Matthew Eby, porte-parole de First Street

Pourquoi les agents immobiliers ont (partiellement) raison de paniquer

Mettons-nous deux minutes dans les chaussures d’un agent immobilier californien. Vous avez une maison à 1,8 million de dollars à Beverly Hills. Historiquement, jamais d’incendie majeur. Mais les modèles de First Street, qui intègrent vent, végétation, pente et projections climatiques à 30 ans, la classent « risque extrême ». L’acheteur potentiel voit rouge et passe son chemin.

Résultat concret :

  • Des transactions qui tombent à l’eau en phase finale
  • Des négociations qui s’éternisent sur le prix
  • Des vendeurs furieux qui changent d’agence ou retirent leur bien du marché

Art Carter, CEO du CRMLS, l’a dit sans filtre au New York Times : afficher la probabilité qu’une maison spécifique soit inondée cette année ou dans cinq ans « impacte fortement la désirabilité perçue ». Traduction : ça flingue la commission.

Mais les données First Street sont-elles vraiment fiables ?

C’est là que ça devient intéressant. Les agents crient à l’erreur, First Street répond avec des chiffres implacables.

Exemple concret : lors des méga-incendies de Los Angeles en 2024-2025, plus de 90 % des maisons détruites étaient classées « risque sévère ou extrême » par First Street… contre seulement 40 % par les cartes officielles de CalFire. Mieux : 100 % des biens brûlés avaient au moins « quelque risque » selon leurs modèles.

Autre statistique qui fait mal : selon une étude de la Louisiana State University, près de deux fois plus de propriétés américaines présentent un risque d’inondation de 1 % par an (le fameux « 100-year flood ») que ce qui est indiqué sur les cartes officielles FEMA. Ce sont pourtant ces cartes FEMA qui déterminent l’obligation ou non d’assurance inondation.

En clair : les cartes publiques sous-estiment massivement le risque. Les modèles privés, eux, anticipent l’évolution climatique. Et ça, les assureurs l’ont bien compris.

Les assureurs, grands gagnants silencieux de cette opacité

Pendant que les agents immobiliers se battent pour garder les scores hors de vue, les compagnies d’assurance, elles, utilisent exactement les mêmes données (et parfois des modèles encore plus poussés) pour fixer leurs primes… ou refuser purement et simplement d’assurer certaines zones.

En Floride et en Californie, on voit déjà des propriétaires se retrouver sans assurance habitation du jour au lendemain, avec des primes qui explosent de 300 à 500 % en quelques années. Le nouveau propriétaire qui pensait avoir fait une bonne affaire découvre, six mois après son achat, qu’il doit payer 25 000 $ par an d’assurance incendie… ou rien du tout.

Peter Gajdoš, associé chez Fifth Wall (un des plus gros fonds proptech au monde), l’avait prédit dès 2021 : « Si les bâtiments brûlent ou sont sous l’eau, ils n’ont plus aucune valeur. » Quatre ans plus tard, sa phrase prend tout son sens.

Le paradoxe des plateformes immobilières

Ce qui est fascinant dans cette histoire, c’est le dilemme business auquel sont confrontées les grandes plateformes :

  • D’un côté, elles touchent des commissions ou des abonnements des agents immobiliers (leur vrai client payeur)
  • De l’autre, elles se doivent de protéger l’acheteur final pour garder leur image de marque

Zillow a tenté la transparence radicale. Résultat ? Retour de flamme immédiat. Redfin et Realtor.com, eux, conservent encore les scores First Street bien visibles. Pour combien de temps ? Mystère.

On assiste en direct à la naissance d’un nouveau standard : l’information existe, mais elle est reléguée en deuxième ou troisième clic. Un peu comme les mentions légales sur les paquets de cigarettes : tout le monde sait que c’est là, mais personne ne clique vraiment.

Et pour les startups proptech, quelles leçons ?

Si vous développez une solution dans l’immobilier, cette affaire est un cas d’école.

Leçon n°1 : La transparence totale peut tuer votre croissance si vos clients payeurs (les pros de l’immobilier) y voient une menace.

Leçon n°2 : Les données climatiques sont le nouveau pétrole de la proptech. First Street a levé plus de 50 millions de dollars auprès de fonds comme General Catalyst ou Congruent Ventures. D’autres acteurs (ClimateCheck, Jupiter Intelligence, Risques & Co) arrivent en force.

Leçon n°3 : Les assureurs et les investisseurs institutionnels utilisent déjà ces données en masse. Les particuliers, eux, restent les derniers informés. C’est une opportunité énorme pour une startup qui saurait rendre ces informations digestes, neutres et surtout… intégrées dès la première visite virtuelle.

Vers un monde où le risque climatique dicte le prix immobilier

Qu’on le veuille ou non, on se dirige vers une segmentation totale du marché immobilier selon le risque climatique. En 2030, on parlera probablement de :

  • Zones « climate-proof » (prix explosifs)
  • Zones « climate-risk » (décotes massives ou illiquidité)
  • Zones « climate-uncertain » (le gros du marché actuel)

Les plateformes qui sauront intégrer cette donnée de façon intelligente – ni anxiogène, ni cachée – domineront le marché. Celles qui choisiront le camp des agents au détriment des acheteurs risquent de se faire dépasser par des acteurs plus jeunes, plus transparents, ou venant directement du monde de l’assurance.

En attendant, si vous cherchez une maison aux États-Unis, un petit conseil : ne vous fiez pas seulement à la fiche Zillow. Allez faire un tour sur le site de First Street, tapez l’adresse, et préparez-vous mentalement. Parce que le risque, lui, ne prend pas de pause pendant que les plateformes se disputent.

Le futur de l’immobilier ne sera plus jamais uniquement une question de quartier, écoles et transports. Il sera aussi, et peut-être surtout, une question de survie face à une planète qui change. Les startups qui comprendront cela avant les autres auront une longueur d’avance décisive.

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