Bending Spoons rachète Eventbrite pour 500 M$

Imaginez une plateforme qui a révolutionné l’organisation d’événements il y a quinze ans, levé des centaines de millions auprès des plus grands fonds… et qui, aujourd’hui, se négocie à moins d’un tiers de sa valorisation d’introduction en bourse. C’est exactement ce qui arrive à Eventbrite, rachetée 500 millions de dollars par l’italien Bending Spoons. Une opération qui fait couler beaucoup d’encre, mais qui illustre surtout une tendance lourde : l’arrivée des « hold forever » investors sur le marché des startups matures en perte de vitesse.

Eventbrite : du darling de la Silicon Valley au zombie tech

Fondée en 2006 par Julia et Kevin Hartz (oui, le Kevin Hartz qui a aussi cofondé Xoom, rachetée par PayPal), Eventbrite incarnait le rêve californien. En 2018, l’introduction en bourse valorise la société à 1,76 milliard de dollars. Tiger Global, Sequoia, Roelof Botha… tout le gotha du venture était au capital.

Sept ans plus tard ? Le cours a chuté de plus de 90 %. Le chiffre d’affaires stagne autour de 325 millions de dollars depuis deux ans. La croissance organique est proche de zéro. Résultat : une capitalisation qui fond comme neige au soleil et une entreprise devenue ce que les investisseurs appellent un venture zombie – trop grosse pour mourir, trop petite pour dominer son marché.

Bending Spoons, le médecin des marques en coma technologique

Si le nom Bending Spoons ne vous dit rien, c’est normal : l’entreprise milanaise cultive la discrétion. Pourtant, elle est devenue en quelques années l’un des acteurs les plus agressifs sur le marché secondaire des logiciels grand public.

Leur recette ? Acheter des applications ou services à forte notoriété mais en perte de vitesse, couper massivement dans les coûts (souvent 50 à 70 % des effectifs), augmenter les prix, monétiser enfin les utilisateurs gratuits, et… garder l’actif pour toujours. Parmi leurs trophées récents :

  • Evernote (2022)
  • Meetup (2020)
  • Vimeo (2024)
  • AOL (oui, AOL en 2025)

En octobre 2025, Bending Spoons lève 270 millions de dollars à une valorisation de 11 milliards. De quoi continuer le shopping.

Les chiffres qui font mal (et ceux qui font rêver les acquéreurs)

Le deal Eventbrite se conclut à 500 millions de dollars, soit :

  • 1,7x le chiffre d’affaires trailing 2025 (295 M$)
  • Une prime de 81 % sur le cours de clôture de la veille (2,48 $ → 4,50 $ l’action)
  • Mais seulement 28 % de la valorisation IPO de 2018

« On achète des grandes marques à des prix de solde et on les ramène à 20-30 % de marge en 12-18 mois »

– Andrew Dumont, fondateur de Curious (concurrent direct)

Pourquoi ce modèle fonctionne si bien en 2025

Plusieurs facteurs convergent :

1. Les taux d’intérêt élevés ont tué la croissance à tout prix. Les startups qui n’ont pas atteint la profitabilité sont devenues invendables… sauf à prix cassés.

2. Le marché secondaire explose. Des fonds comme Constellation Software (valorisé plus de 70 milliards CAD), Tiny, SaaS Group ou Calm Capital rachètent des centaines de petites SaaS chaque année.

3. Les fondateurs et VCs veulent sortir. Après 10-15 ans, les liquidités deviennent urgentes. Mieux vaut 1,7x le CA que zéro.

4. Les marques conservent un pouvoir énorme. Eventbrite reste synonyme de billetterie pour des millions d’organisateurs. Une simple campagne email aux utilisateurs dormants peut générer des dizaines de millions de revenus supplémentaires.

Que va faire Bending Spoons d’Eventbrite ?

Le playbook est rodé :

  • Suppression probable de 50 à 70 % des effectifs (Eventbrite en compte environ 900)
  • Augmentation des frais pour les organisateurs (déjà passée de 2,5 % à parfois 7-8 % chez Evernote ou Meetup)
  • Monétisation des utilisateurs gratuits (création d’événements privés, petites annonces)
  • Cross-selling avec le portefeuille (ex. : proposer Meetup aux organisateurs Eventbrite)
  • Refonte produit agressive avec l’IA (génération automatique de pages événements, pricing dynamique, etc.)

Objectif affiché : ramener la marge EBITDA à 25-35 % en moins de deux ans. Vu leur track record, c’est réaliste.

Et les organisateurs d’événements dans tout ça ?

La question qui brûle les lèvres de milliers de PME, associations et festivals : faut-il avoir peur ?

À court terme, probablement pas. Bending Spoons a tout intérêt à garder la plateforme stable le temps de monétiser. À moyen terme, attendez-vous à :

  • Une hausse des tarifs (déjà en cours chez les autres acquisitions)
  • Moins de nouvelles fonctionnalités gratuites
  • Plus de publicités et d’upsell

Mais pour beaucoup d’organisateurs, Eventbrite reste incontournable grâce à son SEO historique et sa base d’utilisateurs. Les alternatives (Ticketmaster, Dice, Shotgun…) sont souvent plus chères ou moins adaptées aux petits événements.

La fin d’un cycle, le début d’un autre

Ce rachat marque la fin de l’ère où une startup pouvait lever des centaines de millions, brûler du cash pendant quinze ans et espérer une sortie à 10 milliards. Nous entrons dans l’âge de la rentabilité éternelle.

Pour les fondateurs, le message est clair : si vous n’atteignez pas la domination ou la profitabilité rapidement, vous finirez probablement dans le portefeuille d’un « hold forever » comme Bending Spoons… à un prix qui fera grincer des dents les premiers investisseurs.

Pour les entrepreneurs qui lancent leur projet aujourd’hui, c’est une bonne nouvelle : le chemin vers la rentabilité redevient la priorité numéro un. Et c’est peut-être finalement ce dont l’écosystème tech avait le plus besoin.

(Article mis à jour le 3 décembre 2025 – source principale : TechCrunch)

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