Ring Lance la Reconnaissance Faciale IA

Imaginez : vous êtes en réunion, votre téléphone vibre doucement et vous lisez « Maman à la porte d’entrée ». Plus de « personne détectée » anonyme. Votre sonnette Ring vient de reconnaître votre mère parmi des millions de visages possibles. Magique ? Terrifiant ? Les deux à la fois. C’est exactement ce qu’Amazon vient de déployer aux États-Unis avec la fonctionnalité Familiar Faces, une reconnaissance faciale intégrée directement dans ses célèbres video doorbells. Annoncée en septembre 2025, elle est aujourd’hui effective. Et elle divise déjà profondément le monde tech.

Pour les entrepreneurs, les marketeurs et les passionnés d’IA qui nous lisent, cette nouvelle n’est pas qu’une énième mise à jour gadget. Elle cristallise trois tendances lourdes : l’explosion de l’IA embarquée dans les objets du quotidien, la monétisation agressive des données personnelles et la bataille réglementaire qui s’annonce sur la biométrie grand public. Plongeons ensemble dans le sujet.

Comment fonctionne vraiment Familiar Faces ?

Techniquement, le système est plutôt malin. Vous pouvez entraîner votre Ring à reconnaître jusqu’à 50 visages familiers : enfants, conjoint, livreur habituel, femme de ménage, voisins sympas… Une fois la personne étiquetée dans l’application (depuis l’historique des événements ou la nouvelle bibliothèque dédiée), l’IA prend le relais.

Concrètement :

  • Plus de notifications génériques « personne détectée »
  • Vous recevez directement « Lucas (fils) à la porte » ou « Livreuse Amazon à l’entrée »
  • Vous pouvez désactiver totalement les alertes pour certains visages (le vôtre, celui de votre chien qui passe 100 fois par jour…)
  • Les visages non étiquetés sont automatiquement supprimés après 30 jours

Amazon insiste : la fonctionnalité est désactivée par défaut et les données biométriques sont chiffrées. L’entreprise jure également ne pas utiliser ces visages pour entraîner ses modèles d’IA plus larges. Des promesses déjà entendues… et déjà contredites par le passé.

Pourquoi cette fonctionnalité fait déjà scandale

Dès l’annonce, les critiques ont fusé. Et pas des moindres.

« Sonner à une porte ou simplement passer devant ne devrait pas signifier abandonner sa vie privée. »

– F. Mario Trujillo, avocat à l’Electronic Frontier Foundation (EFF)

Le sénateur démocrate Ed Markey a carrément demandé à Amazon d’abandonner purement et simplement le projet. L’EFF, Fight for the Future et une trentaine d’organisations ont signé une lettre ouverte. Pourquoi une telle levée de boucliers ?

Le passif de Ring est lourd :

  • 2023 : amende de 5,8 millions de dollars de la FTC pour avoir laissé employés et sous-traitants accéder librement aux vidéos privées des clients
  • Partenariats très (trop) étroits avec plus de 2 000 services de police américains via l’application Neighbors
  • Partenariat récent avec Flock Safety, société qui vend des caméras de surveillance à reconnaissance de plaques aux forces de l’ordre et… à certaines divisions d’ICE
  • Fuites massives de mots de passe Ring sur le dark web pendant des années

Ajoutez à cela que la fonctionnalité est d’ores et déjà bloquée dans l’Illinois, le Texas et à Portland à cause des lois locales sur la biométrie (BIPA en tête), et vous comprenez pourquoi beaucoup crient au retour de flamme.

Le point de vue business : pourquoi Amazon persiste

Pour Amazon, Ring n’est pas qu’un gadget à 100-200 €. C’est une porte d’entrée (c’est le cas de le dire) vers un écosystème de sécurité résidentielle extrêmement rentable. L’entreprise mise sur l’abonnement Ring Protect (stockage vidéo, détection avancée, etc.) qui représente déjà des centaines de millions de dollars de revenus récurrents.

Familiar Faces s’inscrit dans cette logique :

  • Augmenter la perceived value du produit
  • Justifier des abonnements plus chers (certaines fonctions avancées seront probablement réservées au plan Plus)
  • Créer un effet réseau : plus vos voisins ont Ring, plus les fonctionnalités communautaires (comme Search Party pour retrouver un animal perdu) deviennent puissantes
  • Collecter des données biométriques (même chiffrées) qui, à terme, ont une valeur énorme

C’est exactement la même stratégie que Nest avec Google ou Arlo avec ses caméras : transformer la maison en mine de données ultra-personnalisées.

Les risques concrets pour les utilisateurs (et pour votre business)

Beyond la polémique morale, il y a des risques bien tangibles.

1. Le risque juridique : aux États-Unis, chaque violation de la loi BIPA (Illinois) peut coûter entre 1 000 et 5 000 $ par infraction. Des cabinets d’avocats se spécialisent déjà dans les class actions contre les entreprises de reconnaissance faciale.

2. Le risque réputationnel : imaginez que vous êtes une startup de domotique et que vous recommandez Ring à vos clients. Si une fuite massive survient en 2026, votre image en prend un coup.

3. Le risque de dépendance technologique : une fois que vous avez étiqueté 50 visages, migrer vers une solution concurrente (Eufy, Reolink, etc.) devient très compliqué.

Et en Europe ? (Spoiler : ça ne passera pas comme ça)

Amazon n’a même pas tenté de déployer Familiar Faces en Europe. Pourquoi ? Le RGPD et surtout l’AI Act (entrée en vigueur progressive depuis 2024) classent la reconnaissance biométrique à distance dans la catégorie « haut risque », voire interdite dans l’espace public.

En France, la CNIL a déjà tapé du poing sur la table à plusieurs reprises concernant les caméras intelligentes dans les lycées ou les magasins. Une sonnette qui scanne et stocke les visages des passants ? Impensable sans consentement explicite et motivé.

Que faire si vous êtes entrepreneur ou marketeur tech ?

Voici quelques recommandations concrètes :

  • Évitez de promouvoir activement cette fonctionnalité auprès de vos audiences européennes
  • Mettez en avant des alternatives 100 % locales (stockage sur carte SD, pas de cloud) comme Eufy ou Reolink si la privacy est un argument de vente
  • Formez vos équipes support aux questions privacy : les clients vont poser des questions pointues
  • Surveillez les évolutions réglementaires US : si l’Illinois et le Texas bloquent, d’autres États suivront
  • Préparez un plan B : l’IA biométrique grand public pourrait être régulée sévèrement d’ici 2027-2028

Conclusion : innovation ou ligne rouge ?

Oui, reconnaître sa grand-mère qui apporte les gâteaux le dimanche, c’est pratique. Oui, filtrer les alertes inutiles change la vie. Mais à quel prix ?

Amazon joue ici un jeu dangereux : habituer des dizaines de millions d’Américains à la reconnaissance faciale domestique, normaliser la biométrie, alors même que la société civile et une partie du Congrès crient au scandale.

Pour nous, entrepreneurs et passionnés de tech, la leçon est claire : l’innovation sans garde-fous éthiques finit toujours par se retourner contre ses créateurs. Ring en est la parfaite illustration en 2025.

Et vous, activerez-vous Familiar Faces ? Ou préférez-vous garder votre sonnette… muette sur les visages ? Dites-le nous en commentaire.

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