Imaginez commander vos courses en ligne et découvrir, en discutant avec un ami, que vous avez payé 20 % de plus pour exactement les mêmes produits. Ce scénario n’est plus de la science-fiction : une étude récente révèle que cela arrive bel et bien sur Instacart, la plateforme star de livraison de courses aux États-Unis. Derrière cette différence se cache une expérimentation de tarification pilotée par l’intelligence artificielle. Un sujet qui interpelle tous les professionnels du marketing digital, de l’e-commerce et des startups tech.
Dans un monde où la personnalisation est reine, jusqu’où les entreprises peuvent-elles pousser l’optimisation des prix sans franchir la ligne de la confiance client ? C’est la question que soulève ce cas concret, qui mêle IA, stratégie pricing et éthique commerciale.
Que révèle exactement l’étude de Consumer Reports ?
Publiée mi-décembre 2025, l’enquête menée par Consumer Reports en partenariat avec Groundwork Collaborative met en lumière des tests de prix menés par Instacart chez plusieurs grands distributeurs américains : Kroger, Albertsons, Costco ou encore Safeway.
Le constat est édifiant : certains clients ont vu le prix d’un même article grimper jusqu’à 23 % par rapport à d’autres utilisateurs. Ces variations ne sont pas liées à des promotions temporaires ou à des frais de livraison, mais bien à des expérimentations délibérées de tarification.
L’outil au cœur de ces tests ? Eversight, une solution SaaS acquise par Instacart qui promet aux retailers d’« optimiser les prix attendus par les clients » grâce à l’IA. Sur sa page dédiée, Instacart reconnaît que certains utilisateurs « peuvent voir des prix légèrement plus élevés ». Le terme « légèrement » semble toutefois minimiser la réalité des écarts observés.
Ces tests ne sont pas du dynamic pricing – les prix ne changent jamais en temps réel, y compris en réponse à l’offre et la demande. Les tests ne sont jamais basés sur des caractéristiques personnelles ou comportementales — ils sont totalement aléatoires.
– Porte-parole d’Instacart
Instacart insiste sur le caractère aléatoire et limité de ces expérimentations (seulement 10 partenaires retailers concernés). Reste que l’ampleur des hausses interpelle.
Dynamic pricing ou simple A/B testing poussé ?
Le débat sémantique est vif. Consumer Reports parle de dynamic pricing, cette pratique consistant à ajuster les prix en fonction de multiples variables. Instacart réfute et préfère le terme d’« expérimentation pricing pilotée par IA ».
En réalité, on se trouve face à une forme évoluée d’A/B testing appliquée aux prix : des groupes d’utilisateurs aléatoires se voient proposer des tarifs différents pour mesurer l’élasticité prix et maximiser le revenu global.
Cette méthode n’est pas nouvelle en magasin physique – les retailers testent depuis longtemps différents prix en rayon. Mais le digital offre une échelle et une précision inédites.
Pour les marketeurs et fondateurs de startups, c’est une mine d’or potentielle :
- Identification rapide des prix optimaux par catégorie de produits
- Augmentation du panier moyen sans impact global sur la perception de marque
- Meilleure compétitivité face aux pure players du web
Mais le revers existe : risque de perte de confiance si les clients découvrent ces différences.
Les implications éthiques et réglementaires
L’affaire Instacart ravive le débat sur la transparence dans l’e-commerce. Quand un même produit n’a plus un prix unique, la relation de confiance avec le consommateur est mise à mal.
Certains y voient une discrimination par le prix : même si Instacart affirme que les tests sont aléatoires et non basés sur des données personnelles, la simple possibilité d’écarts importants pose question.
Aux États-Unis, aucune loi fédérale n’interdit formellement ce type de pratique tant qu’elle n’est pas discriminatoire (selon race, genre, etc.). En Europe, le RGPD et les règles de protection du consommateur imposeraient probablement plus de transparence.
Pour les entreprises françaises ou européennes qui suivent ces tendances, c’est un signal d’alerte : l’adoption massive de telles techniques pourrait accélérer les demandes de régulation.
Le dynamic pricing déjà partout autour de nous
Instacart n’est pas un cas isolé. Le dynamic pricing envahit discrètement de nombreux secteurs :
- Amazon ajuste régulièrement les prix de millions de produits en fonction de la concurrence, du stock et du profil (anonymisé) d’acheteur
- Uber et Lyft font varier les tarifs en temps réel selon l’offre et la demande
- Les compagnies aériennes et hôtels pratiquent le yield management depuis des décennies
- Même les plateformes de streaming testent des prix différents selon les marchés
Une étude récente pointait ainsi qu’Amazon ferait payer plus cher certains districts scolaires américains pour des fournitures de base. Le géant nie, mais la suspicion reste.
Dans l’alimentaire en ligne, où les marges sont faibles, la tentation est grande d’utiliser l’IA pour grappiller quelques points de marge supplémentaires.
Comment les retailers justifient-ils ces pratiques ?
Du point de vue business, l’argument est solide : tester différents prix permet de trouver le point d’équilibre parfait entre volume et marge.
Eversight, la solution d’Instacart, promet ainsi d’« débloquer la croissance des revenus » en identifiant les prix que les clients sont prêts à accepter. Un discours qui résonne auprès des directions financières.
Pour les startups du retail tech, c’est aussi une opportunité : des outils comme Eversight, Pricer.ai ou Compass proposent aujourd’hui des suites complètes de pricing intelligence.
Mais la communication reste délicate. Instacart préfère parler d’expérimentations limitées plutôt que de stratégie générale, probablement pour éviter l’image négative du « surge pricing » à la Uber.
Quel impact sur la perception de marque ?
À court terme, ces tests passent souvent inaperçus. Les clients comparent rarement les prix en temps réel avec leurs contacts.
Mais à long terme, le risque réputationnel est réel. Si une enquête journalistique ou virale met en lumière des écarts importants, la confiance peut s’effriter rapidement.
Les marketeurs le savent : dans l’e-commerce alimentaire, la fidélité repose sur la perception de prix justes et la commodité. Jouer trop avec le premier pilier peut faire basculer les clients vers la concurrence.
Des plateformes comme Walmart+ ou Amazon Fresh misent d’ailleurs sur la transparence (« prix identiques en ligne et en magasin ») pour se différencier.
Leçons pour les entrepreneurs et marketeurs digitaux
Ce cas Instacart offre plusieurs enseignements concrets :
- L’IA permet une granularité jamais atteinte dans les tests pricing
- La transparence reste cruciale, même pour des tests aléatoires
- Les gains marginaux peuvent se retourner en coût réputationnel élevé
- Anticiper la régulation future est indispensable, surtout en Europe
- La valeur perçue prime souvent sur le prix absolu
Pour une startup e-commerce, intégrer dès la conception une politique pricing claire et communicable peut devenir un avantage compétitif durable.
Vers un avenir de prix totalement personnalisés ?
Les avancées en IA laissent présager une personnalisation encore plus poussée. Demain, les prix pourraient varier non seulement par segment aléatoire, mais selon le moment de la journée, le device utilisé, la météo ou le historique (anonymisé).
Certaines enseignes testent déjà le personalized pricing dans des cadres très contrôlés. Mais plus la personnalisation avance, plus le besoin de garde-fous éthiques grandit.
Pour les professionnels du marketing et de la tech, la question n’est plus technique (« peut-on le faire ? ») mais stratégique et sociétale (« doit-on le faire, et comment ? »).
L’affaire Instacart n’est probablement que le début d’un débat qui va structurer l’e-commerce des prochaines années. Rester informé et réfléchir dès aujourd’hui à sa propre politique pricing, c’est anticiper les attentes des consommateurs de demain.
Et vous, comment percevez-vous ces évolutions ? Les acceptez-vous comme une optimisation légitime, ou y voyez-vous un risque pour la relation client ? Le débat est ouvert.







