Il y a deux ans, un employé de Fisker Inc. confiait que la principale préoccupation au sein de la startup de véhicules électriques n’était pas de savoir si leur SUV Ocean serait construit, mais plutôt si l’entreprise serait prête à gérer tous les problèmes qui surviennent une fois qu’une voiture est mise sur le marché. Cette inquiétude s’est avérée prémonitoire, puisque Fisker vient de se déclarer en faillite, un an seulement après avoir commencé à livrer ses véhicules aux clients du monde entier.
Un démarrage fulgurant, des problèmes qui s’accumulent
Fisker avait pourtant pris un départ en trombe, en confiant la production de l’Ocean au réputé équipementier automobile Magna. L’objectif de lancement en novembre 2022 était ambitieux mais pas impossible pour un géant comme Magna, qui produit déjà des véhicules pour BMW et d’autres marques. Le problème, c’est que Fisker semble s’être concentré uniquement sur la construction de la voiture, en négligeant tout ce qui vient après.
De nombreux employés ont fait part de leurs inquiétudes :
- Le logiciel de l’Ocean était bâclé, causant des retards et des bugs dès les premières livraisons
- Fisker a livré beaucoup moins de SUV que prévu, peinant à atteindre ses objectifs de vente
- De nombreux clients ont rencontré des problèmes de qualité : perte de puissance soudaine, freins défectueux, bugs logiciels…
- L’entreprise manquait de pièces détachées et a dû en prélever sur les lignes de production
- Le service client était débordé, avec trop peu d’employés pour gérer l’afflux de demandes
Une gestion chaotique en interne
En parallèle de ces problèmes touchant directement les clients, Fisker semble avoir été mal gérée en interne. Des employés ont rapporté un suivi comptable approximatif ayant conduit à la perte de 16 millions de dollars de paiements clients. L’entreprise a aussi peiné à respecter ses obligations de reporting financier en tant que société cotée en bourse, ce qui a permis à l’un de ses plus gros créanciers de prendre le contrôle dans les derniers mois.
Fisker a fait d’incroyables progrès depuis sa création, en mettant l’Ocean sur le marché deux fois plus vite que prévu dans l’industrie automobile.
Un porte-parole de Fisker, au moment de l’annonce de la faillite
Malgré cette déclaration triomphaliste, force est de constater que cette précipitation s’est faite au détriment de la pérennité de l’entreprise. En se concentrant uniquement sur la production à marche forcée, Fisker a négligé des pans entiers de son activité, ce qui lui a été fatal.
Un avenir incertain
Désormais engagée dans une procédure de restructuration (Chapter 11), Fisker va tenter de trouver un repreneur pour éponger ses dettes estimées entre 100 et 500 millions de dollars. Son approche « asset-light » qu’elle comparait à celle d’Apple avec Foxconn se révèle risquée: il y a finalement peu d’actifs à vendre ou contre lesquels emprunter en cas de coup dur.
Magna a stoppé la production de l’Ocean et s’attend à une perte de revenus de 400 millions de dollars cette année. Le sort des futurs modèles de Fisker, la petite Pear et le pickup Alaska, est incertain. L’entreprise d’ingénierie qui les co-développait vient d’attaquer Fisker en justice.
Les leçons à retenir pour les startups automobiles
Le cas Fisker illustre les défis immenses auxquels sont confrontées les jeunes entreprises qui veulent percer dans l’automobile, en particulier dans le secteur prometteur mais très concurrentiel des véhicules électriques :
- Bien choisir ses partenaires : même avec un géant comme Magna, les risques de dérapages qualité existent
- Être prêt pour l’après-vente : logiciels, pièces, service client… tout doit être opérationnel dès le début
- Assurer une gestion rigoureuse : quand on joue dans la cour des grands, chaque million compte
- Rester réaliste sur les objectifs : livrer trop tôt un produit non finalisé peut coûter très cher
En fin de compte, l’échec de Fisker rappelle qu’il ne suffit pas d’avoir de grandes ambitions et de brûler les étapes pour réussir dans l’automobile. Produire et vendre des véhicules à grande échelle reste un défi industriel et commercial titanesque, qui demande de l’expérience, de la rigueur et sans doute une bonne dose d’humilité. Espérons que les prochaines startups sauront retenir ces leçons.