Imaginez un instant : vous êtes chauffeur pour Uber, Lyft ou DoorDash en Californie. Votre statut ? Travailleur indépendant, et non salarié, grâce à la Proposition 22 votée en novembre 2020. Un juge avait remis en cause cette loi en 2021, la qualifiant d’inconstitutionnelle. Mais coup de théâtre : la Cour Suprême de Californie vient de trancher en faveur du maintien de la Prop 22, une victoire pour les entreprises de VTC et de livraison.
La Proposition 22 : un compromis entre flexibilité et protection sociale
La Prop 22 était la réponse d’Uber, Lyft, DoorDash et d’autres à la loi AB5 qui aurait imposé de requalifier les chauffeurs en salariés. Leur business model repose sur une main d’œuvre flexible, avec des coûts limités. La Prop 22 proposait un compromis :
- Les chauffeurs restent indépendants
- Ils gagnent 120% du salaire minimum pour leurs heures de conduite
- Ils ont droit à des subventions santé et une assurance en cas d’accident du travail
Mais ces garanties sont loin d’égaler celles d’un salarié. Les revenus ne sont calculés que sur le temps de course, pas l’attente entre deux trajets. Résultat, beaucoup gagnent moins que le salaire minimum.
Encore et toujours, les chauffeurs sont payés moins de la moitié de ce que les passagers paient, alors même que les prix et les profits de ces entreprises ne cessent d’augmenter.
Alejandro Partida, chauffeur VTC
La décision de la Cour Suprême : la Prop 22 est constitutionnelle
Malgré ces limites, la Cour Suprême californienne a validé la Prop 22 le 25 juillet 2024. Elle a jugé que classer les chauffeurs en indépendants n’entre pas en conflit avec l’autorité donnée au Parlement par la Constitution en matière de droit du travail. C’est un énorme soulagement pour Uber, Lyft et consorts :
Que les chauffeurs choisissent de gagner quelques heures par semaine ou plus, leur liberté de travailler quand et comme ils veulent est désormais fermement ancrée dans la loi californienne.
Uber
Lyft affirme que plus de 80% des chauffeurs californiens interrogés jugent que la Prop 22 a été positive pour eux. Mais les syndicats dénoncent une loi taillée sur mesure par et pour les entreprises.
La bataille se poursuit dans d’autres États
Si la Californie fait figure de laboratoire pour la régulation des VTC et de la livraison, la question du statut des travailleurs des plateformes se pose partout. Chaque État y apporte sa réponse :
- Au Massachusetts, Uber et Lyft ont accepté un salaire horaire minimum de 32,50$ pour les chauffeurs
- À New York, les livreurs doivent gagner au moins 19,56$ de l’heure, même entre deux courses
- Au Minnesota, les chauffeurs VTC ont droit à un minimum de 1,28$ par mile et 0,31$ par minute
La pression monte donc sur les plateformes pour mieux rétribuer et protéger leurs travailleurs. Mais celles-ci s’accrochent à leur modèle, quitte à répercuter les hausses de coût sur les clients. L’enjeu : conserver des services abordables et une rentabilité toujours fragile, malgré leur croissance spectaculaire.
Quel avenir pour le travail à la demande ?
La décision californienne ne clôt pas le débat, loin de là. Elle illustre la difficulté à concilier flexibilité, protection et viabilité économique dans l’économie des plateformes. Chauffeurs, livreurs, clients, régulateurs, entreprises… tous ont leur mot à dire, leurs intérêts à défendre. Trouver le point d’équilibre demandera encore des ajustements, État par État, procès après procès.
Une chose est sûre : l’appétit des consommateurs et des travailleurs pour ces services ne faiblit pas. VTC, livraison de repas, courses… ces activités font désormais partie du quotidien de millions de personnes. Il est donc crucial d’en faire des emplois durables et équitables, sans tuer dans l’œuf un secteur innovant. Un casse-tête que la tech, la loi et la société doivent résoudre main dans la main.