Biais dans l’Algorithme LinkedIn : Vérité ou Mythe ?

Imaginez poster régulièrement sur LinkedIn, accumuler des milliers de followers grâce à un contenu de qualité, et soudain voir votre visibilité chuter sans explication. C’est le quotidien de nombreux professionnels depuis quelques mois. Et si le coupable n’était autre que l’algorithme boosté à l’intelligence artificielle ? Une expérience virale baptisée #WearthePants a mis le feu aux poudres : des femmes ont changé leur genre pour « homme » sur leur profil… et ont vu leurs impressions exploser. Coïncidence ou preuve d’un biais caché ? Plongeons au cœur de cette controverse qui secoue le réseau professionnel numéro un.

L’origine du scandale : l’expérience #WearthePants

Tout a commencé avec une simple hypothèse. Des utilisatrices expérimentées de LinkedIn, souvent des entrepreneuses ou des stratèges produit, ont remarqué une baisse inexplicable de leur reach. Malgré des audiences conséquentes, leurs publications peinaient à dépasser quelques centaines de vues. L’une d’elles, que nous appellerons Michelle pour préserver son anonymat, ghostwrite depuis longtemps pour son mari. Résultat étrange : ses posts à elle, avec 10 000 abonnés, atteignaient à peine plus de monde que ceux de son conjoint, pourtant suivi par seulement 2 000 personnes.

La variable qui changeait tout ? Le genre. Michelle décide alors de tenter l’expérience : elle modifie son prénom en Michael et son genre en masculin. Le lendemain, ses impressions bondissent de 200 %. D’autres femmes emboîtent le pas.

« J’ai changé mon genre de femme à homme sur mon profil, et mes impressions ont augmenté de 238 % en une journée. »

– Marilynn Joyner, fondatrice d’entreprise

Des témoignages similaires affluent : Megan Cornish, Rosie Taylor, Jessica Doyle Mekkes… Toutes rapportent des hausses spectaculaires. Le mouvement #WearthePants, lancé par les entrepreneuses Cindy Gallop et Jane Evans, prend de l’ampleur. Elles demandent même à des hommes de reposter exactement le même contenu qu’elles. Résultat : un post identique atteint 801 personnes depuis le compte féminin… contre plus de 10 000 depuis le compte masculin.

Que s’est-il passé techniquement chez LinkedIn ?

Pour comprendre, il faut remonter à l’été 2025. Tim Jurka, vice-président engineering chez LinkedIn, annonce publiquement que la plateforme intègre désormais des grands modèles de langage (LLM) pour mieux sélectionner le contenu à afficher dans le feed. L’objectif affiché : proposer aux utilisateurs des publications plus pertinentes pour leur carrière.

Mais cette évolution s’accompagne d’un effet secondaire : une chute généralisée des impressions pour de nombreux créateurs. LinkedIn explique que la concurrence est plus rude – les posts ont augmenté de 15 % et les commentaires de 24 % sur un an – mais cela n’explique pas tout.

LinkedIn nie fermement tout biais démographique :

« Nos algorithmes et systèmes d’IA n’utilisent pas d’informations démographiques telles que l’âge, la race ou le genre comme signal pour déterminer la visibilité d’un contenu, d’un profil ou d’une publication dans le feed. »

– LinkedIn, réponse officielle

La plateforme affirme tester des millions de publications pour s’assurer que les créateurs concurrencent « à armes égales » et que l’expérience reste cohérente quel que soit le public.

Biais explicite ou implicite ? Les experts s’expriment

Les spécialistes des algorithmes sociaux nuancent. Brandeis Marshall, consultante en éthique des données, explique que les plateformes sont des systèmes complexes où de nombreux facteurs interagissent en permanence.

Changer son nom ou sa photo de profil n’est qu’un levier parmi des centaines. L’historique d’interactions, le ton employé, le format du contenu, le moment de publication… tout compte. Mais surtout, les LLM héritent souvent des biais présents dans leurs données d’entraînement.

Les modèles les plus populaires montrent des traces de sexisme, de racisme ou de vision occidentalo-centrée, simplement parce qu’ils ont été nourris de contenus humains… et que les humains ont des biais. Même si LinkedIn affirme ne pas utiliser le genre comme signal direct, un biais implicite peut émerger.

Michelle, par exemple, a remarqué que lorsqu’elle adoptait un ton plus direct et concis – style souvent associé stéréotypiquement aux hommes – ses performances grimpaient encore plus. Elle en conclut que l’algorithme pourrait pénaliser indirectement les styles de communication perçus comme « féminins » (plus nuancés, émotionnels).

Sarah Dean, professeure assistante en informatique à Cornell, ajoute que les algorithmes prennent en compte l’ensemble du profil et les comportements habituels des utilisateurs. Le genre peut donc influencer indirectement « des deux côtés » : ce qu’on voit et qui voit notre contenu.

Pourquoi certains hommes sont aussi touchés

La baisse de visibilité n’épargne pas tout le monde, mais elle touche aussi des hommes. Un consultant en data science poste quotidiennement depuis cinq ans et voit ses impressions passer de plusieurs milliers à quelques centaines. Un autre homme, au contraire, revendique une hausse de plus de 100 % grâce à un contenu très ciblé sur des thématiques précises.

Cela suggère que l’algorithme récompense désormais avant tout la pertinence perçue et la valeur ajoutée, plutôt que la fréquence ou l’engagement superficiel (likes, reposts).

Chad Johnson, expert en ventes très actif sur la plateforme, résume la nouvelle philosophie :

« Le nouveau système ne se soucie plus de la fréquence ou de l’heure de publication. Il valorise la compréhension, la clarté et la valeur apportée. »

– Chad Johnson

Quels contenus performent le mieux aujourd’hui sur LinkedIn ?

LinkedIn donne quelques pistes officielles pour optimiser sa visibilité dans ce nouvel environnement :

  • Les insights professionnels et leçons de carrière
  • Les analyses d’actualités sectorielles
  • Le contenu éducatif sur le travail, les affaires et l’économie
  • Les publications démontrant une expertise claire et concrète
  • Les formats qui génèrent des discussions de fond (pas seulement des réactions rapides)

En résumé, l’algorithme semble privilégier la qualité perçue par l’IA plutôt que la popularité sociale traditionnelle.

Les limites de l’expérience #WearthePants

Si les résultats sont spectaculaires, ils restent anecdotiques. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les hausses observées :

  • L’effet viral du trend lui-même booste l’engagement
  • Certaines participantes postaient plus ou différemment pendant l’expérience
  • Le changement de ton ou de style d’écriture
  • La reprise d’activité après une pause (l’algorithme récompense souvent les retours)

Impossible donc d’affirmer avec certitude un biais de genre explicite. En revanche, un biais implicite lié aux stéréotypes de communication reste plausible.

La question plus large des biais dans l’IA professionnelle

Cette affaire met en lumière un problème systémique. Les LLM, même les plus avancés, reproduisent souvent les patterns dominants des données sur lesquelles ils ont été entraînés. Or, le monde professionnel a historiquement valorisé certains styles de leadership et de communication – souvent ceux associés à une norme masculine blanche occidentale.

Brandeis Marshall pointe également un autre phénomène : certaines expertes racisées constatent que leurs posts sur des sujets techniques performent moins bien que ceux abordant directement leur identité. Là encore, l’algorithme pourrait amplifier des signaux déjà présents dans les interactions globales de la plateforme.

LinkedIn n’est pas le seul concerné. Toutes les plateformes sociales intégrant de l’IA font face aux mêmes défis d’équité et de transparence.

Comment optimiser sa présence LinkedIn en 2025

En attendant plus de transparence – demande récurrente mais rarement satisfaite –, voici des stratégies concrètes pour tirer son épingle du jeu :

  • Privilégiez la valeur ajoutée : partagez des insights uniques, des analyses approfondies plutôt que des posts motivationnels génériques
  • Adoptez un ton clair et structuré : listes, chiffres, exemples concrets fonctionnent bien
  • Ciblez précisément votre audience : parlez directement aux problématiques de votre secteur
  • Encouragez les commentaires de fond plutôt que les likes rapides
  • Testez différents formats : carrousels, documents PDF, vidéos natives
  • Postez régulièrement mais sans excès : la qualité prime sur la quantité
  • Engagez-vous activement sur les publications de votre réseau pour entraîner l’algorithme

Ces bonnes pratiques, alignées sur les signaux que semble privilégier l’IA actuelle, devraient vous aider à maintenir ou regagner en visibilité.

Vers plus de transparence ? Un vœu pieux

Les créateurs demandent unanimement plus de clarté sur le fonctionnement de l’algorithme. Mais les plateformes gardent jalousement leurs secrets, arguant que la transparence faciliterait le gaming du système.

LinkedIn, comme ses concurrents, continuera probablement à ajuster son modèle en fonction des retours utilisateurs et des tests internes. Reste à espérer que ces ajustements prendront mieux en compte la diversité des voix et des styles.

En attendant, cette controverse rappelle une vérité essentielle pour tout marketeur, entrepreneur ou professionnel : sur les réseaux sociaux, les règles du jeu évoluent constamment. S’adapter, tester, analyser ses propres données reste la meilleure stratégie pour rester visible.

Le débat autour de l’algorithme LinkedIn n’est probablement pas terminé. Il illustre parfaitement les défis éthiques posés par l’intelligence artificielle dans nos outils quotidiens. Une chose est sûre : en matière de visibilité digitale, rien n’est jamais acquis.

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