Imaginez un monde où les moteurs conçus pour faire voler des avions à Mach 2 servent plutôt à faire tourner les plus gros clusters d’intelligence artificielle de la planète. C’est exactement ce que vient d’annoncer Boom Supersonic, la startup qui rêve de ressusciter le supersonique commercial. Et franchement, dans le contexte actuel de fringale énergétique de l’IA, ce pivot stratégique ressemble à un coup de génie.
300 millions de dollars pour transformer un rêve aérien en cash-machine terrestre
Le 9 décembre 2025, Boom Supersonic a annoncé une levée de fonds de 300 millions de dollars menée par Darsana Capital Partners, avec Altimeter, ARK Invest, Bessemer, Robinhood Ventures et Y Combinator au tour de table. Mais l’argent n’est pas destiné à accélérer l’avion Overture… du moins pas directement.
Non, ces fonds vont financer la production de Superpower, une turbine stationnaire de 42 MW dérivée à 80 % du moteur Symphony qui équipera l’avion supersonique. Et le premier client est déjà signé : Crusoe Energy, le spécialiste des data centers alimentés au gaz naturel, qui a passé commande de 29 unités pour un montant astronomique de 1,25 milliard de dollars.
« J’ai cherché pendant dix ans notre “Starlink”. J’ai dit non à mille propositions parce qu’elles étaient des distractions. Celle-ci, on dit oui car elle est clairement sur notre chemin. »
– Blake Scholl, fondateur et CEO de Boom Supersonic
Pourquoi Crusoe paie 1,25 milliard pour des turbines Boom
La réponse est simple : l’explosion de la demande en calcul IA a créé une pénurie d’électricité sans précédent. Les hyperscalers (Google, Microsoft, Meta, Amazon) se battent pour des gigawatts, et les réseaux électriques traditionnels ne suivent plus. Résultat ? Les acteurs comme Crusoe construisent leurs propres centrales électriques à côté de leurs data centers.
Le deal en chiffres :
- 29 turbines Superpower de 42 MW chacune
- Puissance totale : 1,21 GW (l’équivalent d’une grosse centrale nucléaire)
- Prix : 1,25 milliard $ soit environ 1 033 $/kW (seulement la turbine + maintenance)
- Livraisons prévues à partir de 2027
Crusoe récupère les turbines en container, les branche sur du gaz naturel (souvent du gaz de torche récupéré), et hop : des centaines de milliers de GPU qui tournent 24/7 pour entraîner les prochains modèles d’IA.
Le modèle “Starlink” appliqué à l’aéronautique
Blake Scholl ne s’en cache pas : il veut reproduire la stratégie de SpaceX. Starlink finance Starship. Chez Boom, les marges dégagées par Superpower financeront l’avion Overture.
Et le calcul est plutôt malin :
- 80 % de pièces communes entre le moteur d’avion Symphony et la turbine Superpower → économies d’échelle massives
- Production lancée avant même la certification de l’avion → la courbe d’apprentissage commence plus tôt
- Cash-flow positif bien avant le premier vol commercial d’Overture (prévu 2030)
C’est ce qu’on appelle un flywheel parfait.
Superpower face à la concurrence : les chiffres qui font réfléchir
À 1 033 $/kW, Boom est nettement moins cher que les turbines aérodérivées classiques (souvent autour de 1 600 $/kW tout compris). Mais attention : le prix affiché n’inclut ni les systèmes anti-pollution, ni les raccordements, ni la construction.
En ajoutant les coûts classiques (environ +100 %), on arrive à plus de 2 000 $/kW, ce qui reste compétitif pour une turbine simple cycle… mais cher face à une centrale combinée moderne (>60 % de rendement).
Boom promet néanmoins :
- Un rendement de 39 % en simple cycle (standard)
- Une upgrade possible vers le cycle combiné (en développement)
- Livraison en container (installation ultra-rapide)
- Objectif de production : 4 GW/an dès 2030
Le bruit : le point noir qui fait déjà grincer des dents
Une turbine de 42 MW, ce n’est pas discret. Les riverains près du cluster Colossus de xAI (équipé de turbines similaires) se plaignent d’un bruit audible à plus de 800 mètres.
Boom assure que Superpower sera “pas plus bruyante que les turbines existantes”. Ce qui, soyons honnêtes, n’est pas vraiment rassurant.
Ce que ce deal dit du marché de l’IA en 2025
Ce contrat Boom-Crusoe est un symptôme parfait de la situation actuelle :
- Les GAFAM n’arrivent plus à sécuriser assez d’électricité via les réseaux classiques
- Les acteurs spécialisés (Crusoe, CoreWeave, etc.) construisent leurs propres centrales
- Le gaz naturel reste la solution la plus rapide à déployer (malgré les critiques environnementales)
- Les startups hardware les plus ambitieuses cherchent des revenus immédiats pour survivre
En clair : l’IA a créé un nouveau marché de l’énergie décentralisée, estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars d’ici 2030.
Et l’avion Overture dans tout ça ?
Paradoxalement, ce pivot énergétique pourrait accélérer le programme supersonique. Les profits de Superpower vont directement dans la R&D et la certification d’Overture.
Le démonstrateur XB-1 a déjà franchi le mur du son en 2025 (premier avion civil privé à le faire). Si la trésorerie suit, Boom pourrait tenir son calendrier : premier vol d’Overture en 2029, entrée en service 2030.
Leçons business pour tout fondateur hardware
Cette opération est un cas d’école :
- Lever les synergies techniques : 80 % de pièces communes = réduction massive des coûts
- Trouver le marché qui paie maintenant : l’IA a besoin d’énergie hier, pas dans 10 ans
- Accepter le pivot stratégique : même si ça veut dire vendre des turbines avant de vendre des billets d’avion
- Copier les meilleurs : le modèle Starlink est désormais la référence pour toute startup hardware ambitieuse
En résumé ? Boom Supersonic vient peut-être de trouver la recette magique pour survivre à la fameuse “vallée de la mort” des startups hardware. Transformer un moteur d’avion supersonique en centrale électrique pour l’IA : qui l’aurait cru il y a cinq ans ?
Et vous, que pensez-vous de ce pivot ? Génie stratégique ou abandon du rêve initial ? Dites-le nous en commentaire.






