Faillite de Canoo : Leçons pour Startups EV

Imaginez : des vans électriques futuristes censés transporter des astronautes vers la Lune, ou livrer le courrier dans les rues américaines. Et puis, du jour au lendemain, plus rien. La startup qui les a conçus fait faillite, et ses clients prestigieux – NASA en tête – tournent la page. C’est exactement ce qui est arrivé à Canoo, une entreprise qui incarnait pourtant les rêves les plus fous de la mobilité électrique. Cette histoire n’est pas seulement celle d’un échec spectaculaire ; elle est riche d’enseignements pour tous les entrepreneurs qui naviguent dans les eaux tumultueuses des startups tech et de la transition énergétique.

Dans un secteur où les annonces tonitruantes se succèdent et où les valorisations explosent avant même la première livraison, l’histoire de Canoo rappelle brutalement que la route vers le succès est semée d’embûches. Derrière les prototypes élégants et les contrats avec des institutions publiques se cachent des réalités financières impitoyables. Explorons ensemble ce cas d’école et tirons-en les leçons qui pourraient sauver votre prochaine aventure entrepreneuriale.

Le rêve Canoo : des vans électriques pour conquérir le monde

Canoo est née avec une vision audacieuse : repenser complètement le véhicule utilitaire électrique. Exit les plateformes traditionnelles, bonjour une architecture “skateboard” modulaire où batterie, moteurs et électronique sont intégrés dans le châssis, laissant une liberté totale pour la carrosserie. Le design minimaliste, presque futuriste, a rapidement séduit.

En 2023, la jeune entreprise décroche un contrat emblématique : trois vans destinés à transporter les astronautes de la mission Artemis depuis le bâtiment d’assemblage jusqu’au pas de tir. Un symbole fort pour la mobilité durable, même dans l’espace. L’USPS, de son côté, commande six véhicules pour évaluer leur potentiel dans la modernisation de sa flotte légendaire. Le Département de la Défense teste même un exemplaire. Canoo semblait sur la rampe de lancement idéale.

Mais derrière ces partenariats prestigieux, la réalité financière était bien plus sombre. Comme tant de startups EV ayant choisi la voie du SPAC pour entrer en bourse, Canoo brûlait du cash à une vitesse folle sans jamais atteindre une production de masse viable.

La chute inexorable vers la faillite

Janvier 2025 marque la fin officielle : Canoo dépose le bilan après des années de difficultés. Les raisons sont classiques dans le secteur des véhicules électriques naissants : coûts de développement exorbitants, retards de production, absence de revenus significatifs et concurrence féroce de géants comme Tesla, Rivian ou Ford.

Le PDG et fondateur, Tony Aquila, tente alors un sauvetage personnel. En mars, il propose 4 millions de dollars pour racheter les actifs de sa propre entreprise. Son argument principal ? Honorer les engagements envers les clients gouvernementaux. Une intention louable, mais qui ne suffira pas à rassurer les institutions concernées.

En avril, le juge valide la vente à Aquila. Pourtant, d’autres acteurs s’étaient manifestés : jusqu’à huit parties avaient signé des accords de confidentialité pour examiner les actifs. Parmi eux, Harbinger – une startup fondée par d’anciens employés de Canoo – et un mystérieux investisseur britannique, Charles Garson, prêt à débourser jusqu’à 20 millions. Des accusations de favoritisme et de manque de transparence ont fusé, mais Aquila l’emporte.

NASA et USPS claquent la porte

Malgré les promesses d’Aquila, les clients publics n’ont pas attendu. La NASA annonce dès octobre 2025 qu’elle retourne à l’Astrovan classique, loué à Boeing via Airstream. Motif officiel : Canoo “n’était plus en mesure de répondre à nos exigences de mission”. Traduction : sans support constructeur fiable, impossible de risquer la sécurité des astronautes.

“Canoo was no longer able to meet our mission requirements.”

– Déclaration officielle de la NASA

L’USPS est tout aussi catégorique : les six vans acquis pour évaluation “ne sont plus utilisés”. L’évaluation est terminée, et aucune nouvelle investissement n’est prévu. Le service postal refuse de partager les conclusions de ses tests, mais le message est clair : Canoo ne fait plus partie de l’avenir.

Ces abandons rapides illustrent un principe fondamental dans les contrats publics : la continuité de service prime sur tout. Une startup, même innovante, ne peut se permettre d’apparaître comme un risque opérationnel.

Les leçons business à retenir pour toute startup tech

Au-delà du secteur automobile, l’histoire de Canoo offre des enseignements précieux pour quiconque lance une entreprise dans un domaine technologique à forte intensité capitalistique.

Voici les principaux points à méditer :

  • La trésorerie est reine : même avec des prototypes séduisants et des contrats prestigieux, sans cash runway suffisant, tout s’effondre. Canoo a brûlé des centaines de millions sans atteindre la production de série.
  • Les clients publics exigent une fiabilité absolue : un contrat avec la NASA ou l’USPS est un formidable argument marketing, mais il impose des standards de support à long terme incompatibles avec une startup fragile.
  • Le rachat par le fondateur n’est pas toujours une solution crédible : malgré les intentions affichées d’Aquila, les clients institutionnels préfèrent des partenaires établis plutôt que de parier sur une renaissance incertaine.
  • La concurrence interne peut compliquer la revente : Harbinger, fondée par d’ex-Canoo, illustre comment les talents partis peuvent devenir des rivaux acharnés lors des procédures de faillite.
  • La transparence dans les procédures de faillite est cruciale : les accusations de favoritisme ont terni l’image déjà abîmée de l’entreprise.

Ces éléments ne sont pas spécifiques aux véhicules électriques. Ils s’appliquent à toute startup deep tech : IA, robotique, biotech, spatial… Dès que le cycle de développement dépasse 3-5 ans et nécessite des centaines de millions, les risques explosent.

Le secteur EV face à une consolidation inévitable

Canoo n’est pas un cas isolé. Ces dernières années, plusieurs startups EV ayant levé des milliards via SPAC ont connu le même sort : Lordstown, Proterra, Arrival, Nikola (en grande difficulté)… Le rêve d’une multitude de constructeurs électriques challengant Tesla s’effrite.

Les survivants – Rivian, Lucid – peinent encore à atteindre la rentabilité. Seuls les acteurs adossés à des géants (Ford avec son F-150 Lightning, GM avec ses Ultium) ou disposant d’une avance technologique massive semblent pouvoir tenir.

Pour les entrepreneurs, cela signifie qu’il faut repenser le modèle : partenariats stratégiques dès le départ, focus sur des niches moins capitalistiques (flottes captives, véhicules spécialisés), ou encore licensing de technologie plutôt que production propre.

Et maintenant ? L’avenir des vans Canoo abandonnés

Que vont devenir les quelques dizaines de véhicules produits ? Probablement stockés dans des hangars, en attente d’un hypothétique repreneur capable d’assurer le support pièces et logiciels. Une situation triste pour des machines qui incarnaient pourtant l’innovation.

Certaines startups spécialisées dans le “right to repair” ou la conversion électrique pourraient un jour les reprendre, mais cela reste hypothétique. Pour NASA et USPS, le retour à des solutions éprouvées est la priorité absolue.

Conclusion : l’innovation oui, mais avec pragmatisme

L’histoire de Canoo nous rappelle que l’audace technologique ne suffit pas. Dans les secteurs à forte barrière d’entrée, le succès exige une combinaison rare : vision, exécution sans faille, et surtout une gestion financière exemplaire.

Pour vous qui lisez ces lignes – fondateur, investisseur, manager dans la tech ou la mobilité – posez-vous la question : mon projet résisterait-il à un ralentissement du marché ? Ai-je prévu un plan B si les fonds se tarissent ? Mes clients stratégiques me font-ils vraiment confiance sur 10 ans ?

La transition énergétique reste inéluctable, mais elle se fera probablement avec moins d’acteurs qu’espéré initialement. Les leçons de Canoo aideront, espérons-le, les prochains à mieux naviguer dans cette tempête.

(Article basé sur des informations publiques au 17 décembre 2025. Le secteur évolue rapidement, certaines données peuvent avoir changé depuis.)

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