Imaginez un marché où les startups lèvent des milliards, mais où les investisseurs deviennent de plus en plus exigeants : c’est exactement ce qui s’est passé en Inde en 2025. Alors que l’écosystème technologique mondial continue d’être dominé par l’intelligence artificielle, l’Inde trace sa propre voie, plus mesurée et pragmatique. Avec près de 11 milliards de dollars levés sur l’année, le pays confirme sa place de troisième marché mondial du venture capital. Mais derrière ce chiffre impressionnant se cache une réalité bien différente de celle observée aux États-Unis : moins de deals, plus de sélectivité et une répartition du capital plus équilibrée.
Pour les entrepreneurs, investisseurs et observateurs du monde des startups, cette année 2025 marque un tournant majeur. L’époque des levées de fonds massives et rapides semble révolue. Place à une maturité accrue, où la démonstration de traction réelle, de rentabilité et de product-market fit devient indispensable. Décryptons ensemble les grandes tendances qui ont marqué l’écosystème indien cette année.
Une baisse significative du nombre de deals
Le premier chiffre qui frappe lorsqu’on analyse les données de 2025 est la chute brutale du nombre de tours de financement. Selon Tracxn, l’Inde a enregistré seulement 1 518 deals, soit une diminution de près de 39 % par rapport à 2024. Cette contraction reflète une approche beaucoup plus sélective de la part des investisseurs.
Les fonds ne se contentent plus de parier sur des idées prometteuses. Ils exigent désormais des preuves concrètes : revenus récurrents, croissance organique, unités économiques positives. Cette exigence accrue a naturellement réduit le volume de transactions, particulièrement aux stades les plus précoces.
Cependant, le montant total levé n’a diminué que de 17 %, pour atteindre environ 10,5 milliards de dollars. Cela signifie que les tours qui ont eu lieu étaient plus importants en moyenne, signe que les investisseurs concentrent leurs capitaux sur des projets jugés plus solides.
Une répartition du capital qui évolue
L’une des évolutions les plus marquantes de 2025 concerne la répartition des investissements selon les stades de maturité des startups.
- Seed : chute de 30 % à 1,1 milliard de dollars
- Early-stage : hausse de 7 % à 3,9 milliards de dollars
- Late-stage : baisse de 26 % à 5,5 milliards de dollars
Ce mouvement vers l’early-stage est significatif. Les investisseurs montrent une confiance renouvelée dans les fondateurs capables de démontrer rapidement un product-market fit et des revenus visibles. Neha Singh, co-fondatrice de Tracxn, explique :
« The capital deployment focus has increased towards early-stage startups. »
– Neha Singh, co-fondatrice de Tracxn
Les fonds semblent préférer investir dans des projets qui ont déjà franchi les premières étapes de validation plutôt que de financer des idées encore trop expérimentales.
L’IA en Inde : une croissance modérée
Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis où l’IA a capté plus de 121 milliards de dollars en 2025, l’Inde affiche une croissance beaucoup plus mesurée dans ce secteur.
Les startups IA indiennes ont levé environ 643 millions de dollars à travers 100 deals, soit une augmentation modeste de 4,1 % par rapport à l’année précédente. Ce chiffre représente environ 6 % du total des fonds levés dans le pays.
Les investissements se sont principalement concentrés sur les applications IA plutôt que sur le développement de modèles fondamentaux. Prayank Swaroop, partner chez Accel, explique pourquoi :
« We don’t yet have an AI-first company in India, which is $40–$50 million of revenue, if not $100 million, in a year’s time frame, and that is globally happening. »
– Prayank Swaroop, partner chez Accel
L’Inde manque encore de la profondeur de recherche, du talent spécialisé et du capital patient nécessaires pour concurrencer les géants américains dans la course aux modèles de fondation. Les investisseurs préfèrent donc miser sur des applications concrètes et rentables rapidement.
Deep-tech et manufacturing : les nouveaux paris
Face à la domination américaine dans l’IA fondamentale, l’Inde se positionne intelligemment sur des secteurs où elle dispose d’avantages compétitifs clairs : coût de la main-d’œuvre, talent technique abondant et accès à un marché intérieur massif.
Le deep-tech et l’advanced manufacturing connaissent un essor remarquable. Le nombre de startups dans ces domaines a été multiplié par dix en seulement quatre à cinq ans. Ces secteurs attirent des investisseurs car ils font face à moins de concurrence mondiale pour le capital.
Le gouvernement indien a fortement soutenu cette dynamique avec plusieurs initiatives majeures :
- Un Fund of Funds de 1,15 milliard de dollars annoncé en janvier 2025
- Un programme de 12 milliards de dollars pour la R&D dans des domaines stratégiques (énergie, quantum, robotique, espace, biotech, IA)
- Des partenariats public-privé avec des acteurs comme Nvidia et Qualcomm
Ces initiatives ont permis de catalyser des engagements privés massifs, notamment un fonds de près de 2 milliards de dollars dédié au deep-tech.
Les secteurs traditionnels restent solides
Malgré l’engouement pour l’IA, les secteurs plus traditionnels continuent de capter une part importante du capital investi en Inde.
Rahul Taneja, partner chez Lightspeed, note que les startups consumer-facing ont connu un regain d’intérêt grâce à l’évolution des comportements de la classe moyenne urbaine indienne :
« AI startups accounted for roughly 30–40% of deals in India in 2025, but there is a parallel surge in consumer-facing companies. »
– Rahul Taneja, partner chez Lightspeed
Les modèles de quick commerce, de services à domicile et d’autres services ultra-rapides trouvent un terrain particulièrement fertile en Inde grâce à la densité de population et aux coûts de main-d’œuvre relativement bas.
Le rôle croissant du capital local
Une des transformations les plus marquantes de 2025 concerne la provenance du capital. Le nombre total d’investisseurs actifs a chuté de manière spectaculaire, passant de 6 800 à environ 3 170, soit une baisse de 53 %.
Cette concentration s’explique par le retrait relatif des investisseurs internationaux face à un environnement plus risqué. En parallèle, les investisseurs indiens ont pris une place beaucoup plus importante, représentant près de la moitié de l’activité.
Des acteurs locaux comme Inflection Point Ventures (36 deals) et Accel India (34 deals) dominent désormais les classements des investisseurs les plus actifs.
Femmes entrepreneures : une situation contrastée
Le financement des startups fondées par des femmes a connu une évolution mitigée. Le montant total investi est resté relativement stable à environ 1 milliard de dollars (-3 %), mais le nombre de deals a chuté de 40 %.
Cette contraction est encore plus marquée pour les premières levées : -36 %. Les femmes entrepreneures doivent donc faire face à une barrière encore plus haute pour obtenir leur premier financement.
Les exits : une maturité qui s’installe
Longtemps considéré comme le talon d’Achille de l’écosystème indien, le marché des exits montre des signes encourageants de maturité.
En 2025, 42 entreprises technologiques ont réalisé leur IPO, soit une hausse de 17 % par rapport à 2024. Plus important encore : la demande pour ces introductions en bourse provient de plus en plus d’investisseurs institutionnels et particuliers indiens, réduisant la dépendance aux capitaux étrangers.
L’activité de fusions-acquisitions a également progressé de 7 %, avec 136 transactions enregistrées.
Prayank Swaroop d’Accel souligne l’importance de cette évolution :
« This year has disproven that [the worry that India’s public markets were mainly sustained by foreign capital]. »
– Prayank Swaroop, partner chez Accel
Cette robustesse accrue des marchés locaux offre aux investisseurs une visibilité bien meilleure sur les perspectives de sortie, même en période de turbulence mondiale.
Vers un écosystème plus mature en 2026
L’année 2025 marque clairement le passage vers un écosystème plus mature pour les startups indiennes. Moins de deals, des montants moyens plus élevés, une sélectivité accrue, une répartition plus équilibrée des capitaux et des exits plus prévisibles : tous les indicateurs pointent dans la même direction.
Si l’Inde ne peut pas (encore) rivaliser avec les États-Unis dans la course aux modèles d’IA de fondation, elle développe une approche qui lui est propre : pragmatique, orientée applications, soutenue par un gouvernement de plus en plus impliqué et portée par un marché intérieur gigantesque.
Pour les entrepreneurs, le message est clair : il faudra travailler plus dur pour prouver la viabilité de son projet. Mais pour ceux qui y parviendront, les perspectives de croissance et d’exits semblent plus solides que jamais.
Et vous, comment percevez-vous cette évolution ? L’Inde deviendra-t-elle le prochain grand hub du deep-tech mondial ? Partagez vos réflexions en commentaires !







