Imaginez que vous passez des années à construire un site rentable, à produire du contenu de qualité, à optimiser chaque page pour le SEO… et qu’un jour, Google décide de répondre directement à vos visiteurs avec vos propres phrases, sans même qu’ils cliquent sur votre lien. C’est exactement ce que vivent des millions d’éditeurs depuis le lancement des AI Overviews. Et aujourd’hui, la Commission Européenne dit stop.
Le 10 décembre 2025, Bruxelles a officiellement ouvert une enquête formelle antitrust contre Google pour abus de position dominante dans l’utilisation des contenus tiers par ses outils d’intelligence artificielle. Un dossier explosif qui pourrait bouleverser l’équilibre du web tel que nous le connaissons.
Pourquoi l’Europe s’attaque-t-elle à Google maintenant ?
Ce n’est pas la première fois que Google fait face à la colère européenne – rappelons les 8,25 milliards d’euros d’amendes cumulées depuis 2017. Mais cette fois, le sujet est encore plus sensible : il touche au cœur même de la création de valeur sur internet.
La Commission reproche à Google deux pratiques particulièrement problématiques :
- L’exploitation systématique des contenus des éditeurs dans les AI Overviews et l’AI Mode sans compensation financière ni véritable possibilité d’opt-out efficace
- L’utilisation obligatoire des vidéos YouTube pour entraîner ses modèles d’IA, tout en interdisant aux concurrents (OpenAI, Anthropic, Mistral…) d’y accéder dans les mêmes conditions
En clair : Google serait en train de transformer l’open web en matière première gratuite pour ses IA, tout en verrouillant l’accès à la plus grande bibliothèque vidéo du monde.
Le piège infernal de l’opt-out impossible
Google a bien mis en place un outil permettant théoriquement de bloquer l’utilisation de son contenu dans les AI Overviews (via le tag noai ou les contrôles dans la Search Console). Mais dans la pratique ? C’est un choix cornélien.
« Si vous refusez que votre contenu soit utilisé par nos IA, nous risquons de moins bien comprendre votre site et donc de moins bien le classer dans les résultats de recherche classiques. »
– Position officieuse souvent rapportée par Google aux éditeurs
Autrement dit : acceptez qu’on vous vole votre trafic, ou disparaissez des SERP. Un chantage que la Commission qualifie de « coercition déguisée ».
Des études récentes montrent que les AI Overviews capturent déjà jusqu’à 34 % des clics sur certaines requêtes informationnelles (source : SparkToro, novembre 2025). Pour les médias et blogs, c’est une hémorragie.
YouTube : le trésor de guerre inaccessible des concurrents
Le second volet de l’enquête est encore plus stratégique. YouTube représente la plus grande base de données vidéo au monde, avec des milliards d’heures de contenu multilingue, sous-titré, catégorisé.
Google utilise évidemment cette mine d’or pour entraîner Gemini et ses modèles multimodaux. Mais quand OpenAI ou Meta veulent négocier un accès similaire ? Refus catégorique, sous prétexte de « protection des créateurs ».
Résultat : Google bénéficie d’un avantage compétitif colossal et quasi impossible à rattraper en IA générative vidéo et audio.
Quelles sanctions possibles si Google est condamné ?
La Commission dispose d’un arsenal impressionnant. Voici les scénarios les plus probables :
- Suspension pure et simple des AI Overviews dans l’Union Européenne tant que des règles équitables ne sont pas mises en place (scénario extrême mais plausible)
- Obligation de proposer un opt-out réel sans pénalité SEO
- Mise en place d’un système de licence obligatoire avec compensation financière pour les éditeurs (sur le modèle du droit voisin de la presse)
- Obligation d’ouvrir YouTube à ouvrir ses données d’entraînement aux concurrents sous conditions raisonnables et non discriminatoires (FRAND)
- Amende record pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial d’Alphabet (soit plus de 30 milliards d’euros théoriques
Les précédents qui font peur à Mountain View
L’Europe a déjà montré qu’elle ne plaisantait pas :
• 2018 : 4,34 milliards € pour Android
• 2019 : 1,49 milliard € pour AdSense
• 2024 : obligation de désinvestir une partie de son activité publicitaire (affaire toujours en cours)
Cette fois, l’enjeu est existentiel : il s’agit de l’avenir même du modèle Search de Google à l’ère de l’IA.
Impact concret pour les entrepreneurs, startups et éditeurs
Si vous avez un site média, e-commerce avec blog, ou que vous vivez du trafic organique, cette enquête vous concerne au premier plan.
Scénario optimiste (condamnation forte) :
- Réequilibrage du trafic vers les éditeurs
- Retour sur investissement du contenu long
- Possibilité de monétiser directement son contenu auprès des IA
Scénario pessimiste (simple amende) :
- Accélération du déploiement des AI Overviews en Europe
- Mort progressive du SEO informationnel
- Nécessité de pivoter vers brand search, newsletters, apps, communautés privées
Comment se préparer dès aujourd’hui ?
Peu importe l’issue, voici les actions concrètes à mettre en place :
- Diversifier vos sources de trafic (newsletters, YouTube, LinkedIn, TikTok)
- Renforcer votre marque (brand search représente déjà 40 % des requêtes Google)
- Produire du contenu « non réplicable » par l’IA : témoignages, études de cas, avis d’experts, données propriétaires
- Expérimenter les formats qui échappent encore aux AI Overviews (PDF, images, outils interactifs)
- Préparer un plan B sans Google Search (spoiler : tout le monde devrait en avoir un en 2026)
Vers un internet plus équitable ou un ralentissement de l’IA européenne ?
C’est la grande question. Certains y voient une chance unique de créer un web où la création de contenu reste rentable. D’autres craignent que trop de régulation ne pousse les géants américains à simplement désactiver leurs innovations en Europe.
Mais une chose est sûre : l’époque où une entreprise pouvait siphonner gratuitement la valeur créée par des millions de créateurs sans contrepartie est en train de se terminer.
Et vous ? Pensez-vous que l’Europe a raison de s’attaquer à Google sur ce terrain ? Ou risque-t-elle de nous faire prendre encore plus de retard dans la course à l’IA ?
L’avenir du web francophone se joue peut-être en ce moment même à Bruxelles.






