Hydrogène Vert : Des Microbes Dans Les Puits Pétroliers

Imaginez : aux États-Unis, près de 3 millions de puits pétroliers dorment sous terre, abandonnés parce qu’on n’y trouve plus assez de pétrole rentable à extraire. Des carcasses rouillées, des passifs environnementaux… et pourtant, un trésor énergétique encore inexploité. Et si on vous disait qu’une startup vient de trouver le moyen de transformer ces épaves industrielles en véritables mines d’hydrogène propre ? C’est exactement ce que propose Eclipse Energy, une pépite de la cleantech qui fait parler d’elle en cette fin 2025.

Non, il ne s’agit pas de pomper plus fort ni d’injecter des produits chimiques. L’idée est bien plus élégante : envoyer des milliards de microbes affamés directement dans le réservoir pour qu’ils « mangent » le pétrole restant et recrachent… de l’hydrogène gazeux. Un processus naturel, amplifié par la biotech, qui pourrait devenir l’une des sources d’hydrogène les moins chères et les plus vertes du marché.

Le problème oublié des puits orphelins

Commençons par le décor. Rien qu’aux États-Unis, on estime entre 2,5 et 3 millions le nombre de puits pétroliers et gaziers abandonnés. Dans le monde, ce chiffre grimpe à plus de 20 millions selon certaines études. Ces puits ne rapportent plus un centime à leurs anciens propriétaires, mais ils continuent de poser d’énormes problèmes : fuites de méthane, contamination des nappes phréatiques, risques d’explosion…

Le coût de leur bouchage définitif ? Entre 300 et 400 milliards de dollars rien que pour les États-Unis. Un fardeau que les États et les contribuables finissent souvent par porter. Autant dire qu’une technologie capable de redonner une valeur économique à ces puits tout en réduisant leur impact environnemental a tout pour séduire.

Comment des microbes transforment le pétrole en hydrogène

Le principe est aussi simple que génial. Dans les réservoirs pétroliers, il existe naturellement une zone de contact entre l’eau souterraine et le pétrole restant. À cette interface vivent des communautés de microbes dits extrêmophiles – capables de survivre à des températures élevées, à la pression et à l’absence totale d’oxygène.

Ces micro-organismes consomment les longues chaînes hydrocarbonées du pétrole et, via un métabolisme anaérobie, les décomposent en… hydrogène (H₂) et dioxyde de carbone (CO₂). Eclipse Energy a passé plusieurs années à isoler, séquencer et sélectionner les souches les plus performantes, avant de les réinjecter en masse dans les puits ciblés.

« L’hydrogène coule beaucoup plus facilement que le pétrole visqueux. On passe d’un problème d’extraction complexe à une simple récolte de gaz. »

– Prab Sekhon, CEO d’Eclipse Energy

Une fois à la surface, le mélange H₂/CO₂ est séparé. Environ 50 % du CO₂ reste naturellement piégé dans le réservoir (effet de séquestration gratuit), le reste peut être capturé et valorisé ou stocké. Résultat : un hydrogène dont l’empreinte intensité carbone est extrêmement faible.

Un coût cible hallucinant : 0,50 $ le kilo

Le Graal de l’hydrogène vert, c’est d’atteindre la parité avec l’hydrogène gris (produit à partir de gaz naturel par vaporeformage). Aujourd’hui, ce dernier coûte environ 1 à 2 $ le kilo, mais émet 9 à 12 kg de CO₂ par kilo d’hydrogène produit.

Eclipse Energy vise, à terme, un coût de production inférieur à 0,50 $ le kilo – soit moins cher que l’hydrogène gris, tout en étant presque neutre en carbone. Si cet objectif est atteint à l’échelle industrielle, nous assisterons à l’une des ruptures économiques les plus importantes de la décennie dans l’énergie.

Partenariat stratégique avec Weatherford

Pour passer du laboratoire au terrain, Eclipse Energy (ex-Gold H2, spin-off de Cemvita) s’est associée à un géant des services pétroliers : Weatherford International. Les premiers déploiements commerciaux débuteront dès janvier 2026.

Weatherford apporte son expertise opérationnelle mondiale, ses équipes sur place et sa connaissance intime des puits existants. Eclipse, de son côté, fournit la biotech et le savoir-faire scientifique. Un mariage parfait entre l’ancien monde pétrolier et la nouvelle économie décarbonée.

Pourquoi cette techno arrive pile au bon moment

Plusieurs facteurs convergent :

  • Les crédits d’impôt 45V et 45Q aux États-Unis rendent l’hydrogène propre ultra-compétitif
  • Les obligations de bouchage des puits poussent les opérateurs à chercher des solutions rentables
  • La demande industrielle en hydrogène (raffinage, ammoniac, acier) explose
  • Les investisseurs cleantech cherchent des projets à fort impact environnemental et à retour rapide

Les défis techniques qui restent à relever

Tout n’est pas encore gagné. Parmi les points de vigilance :

  • La variabilité des réservoirs : chaque puits est unique (température, pression, composition du pétrole)
  • Le scale-up : passer d’un démonstrateur en Californie à des milliers de puits
  • La séparation H₂/CO₂ à grande échelle dans des sites souvent isolés
  • La certification « hydrogène vert » auprès des organismes comme l’UE ou le DOE

Mais l’équipe d’Eclipse semble confiante : les premiers résultats du pilote dans le bassin de San Joaquin (été 2025) ont dépassé les attentes en termes de rendement microbien et de pureté du gaz.

Quel business model pour les entrepreneurs et investisseurs ?

Le modèle économique est particulièrement séduisant :

  • Location ou acquisition à bas prix de puits orphelins
  • Revenus récurrents via la vente d’hydrogène (contrats long terme avec industriels)
  • Crédits carbone additionnels (séquestration + évitement d’émissions méthane)
  • Possibilité de revendre les puits « nettoyés » à des promoteurs immobiliers ou agricoles

En clair, on passe d’un passif environnemental à un actif générateur de cash-flow pendant 15-20 ans. Le rêve de tout investisseur impact.

Et la France dans tout ça ?

Si la technologie décolle aux États-Unis, rien n’empêche son export en Europe ou en Afrique du Nord, où des dizaines de milliers de puits onshore attendent une seconde vie. La France, avec ses champs matures dans le Bassin parisien ou en Aquitaine, pourrait devenir un terrain d’application intéressant – même si la législation sur l’exploitation souterraine reste stricte.

Conclusion : la revanche biologique du pétrole

Ce que propose Eclipse Energy, c’est ni plus ni moins qu’une forme de revenge biotech : utiliser la biologie pour réparer les dégâts de l’ère fossile tout en produisant l’énergie du futur. Transformer le symbole même de la crise climatique – les derricks rouillés – en solution concrète pour la décarbonation.

Si les promesses sont tenues, nous pourrions assister à la naissance d’un nouveau segment de marché : l’hydrogène microbiologique in-situ, avec des centaines de milliards de dollars de valeur à créer dans les vingt prochaines années à venir.

Une chose est sûre : dans la course à l’hydrogène propre, la nature avait déjà la solution… il suffisait de savoir où regarder.

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