Imaginez un instant : une intelligence artificielle capable de redonner vie à un chef-d’œuvre perdu du cinéma, recréant des scènes disparues depuis plus de 80 ans. C’est le pari audacieux d’une startup soutenue par Amazon, Fable Studio, qui ambitionne de ressusciter les 43 minutes manquantes du film The Magnificent Ambersons d’Orson Welles. Ce projet, à la croisée de la technologie et de l’art, soulève des questions fascinantes sur l’avenir de la création cinématographique, l’éthique de l’IA, et la préservation du patrimoine culturel. Mais pourquoi une entreprise technologique s’intéresse-t-elle à un film de 1942 ? Et surtout, peut-on réellement recréer l’essence d’un génie comme Welles avec des algorithmes ? Plongeons dans cette aventure où innovation et nostalgie se rencontrent.
Un Projet Ambitieux : Recréer un Mythe Cinématographique
Fable Studio, une entreprise qui se présente comme le « Netflix de l’IA », a annoncé en septembre 2025 un projet pour le moins inattendu : recréer les 43 minutes perdues du film The Magnificent Ambersons, réalisé par Orson Welles en 1942. Ce film, considéré comme un chef-d’œuvre inachevé, a été amputé par le studio RKO, qui a détruit une partie des négatifs originaux pour récupérer l’argent des pellicules et a ajouté une fin heureuse contre la volonté du réalisateur. Ce drame a marqué la carrière de Welles, qui a lui-même déclaré : « Ils ont détruit Ambersons, et ça m’a détruit. » Depuis, ces minutes perdues sont devenues une sorte de Graal pour les cinéphiles. Mais pourquoi une startup technologique s’attaque-t-elle à ce défi ?
La réponse réside dans la mission de Fable Studio. L’entreprise, soutenue par le fonds Alexa d’Amazon, développe une plateforme permettant aux utilisateurs de créer des contenus animés à partir de simples prompts IA. Après avoir expérimenté avec des épisodes non autorisés de South Park, Fable veut démontrer que son modèle d’IA peut générer des récits complexes et de longue forme, rivalisant avec les productions cinématographiques traditionnelles. Le choix d’Ambersons n’est pas anodin : il s’agit d’un test grandeur nature pour prouver que l’IA peut non seulement créer, mais aussi restaurer des œuvres culturelles emblématiques.
« Nous voulons entraîner notre IA sur le plus grand conteur des 200 dernières années, Orson Welles. »
– Edward Saatchi, PDG de Fable Studio
Une Fusion de Tradition et d’Innovation
Le projet, dirigé par le cinéaste Brian Rose, ne repose pas uniquement sur l’IA. Pendant cinq ans, Rose a minutieusement étudié les notes, scripts, et archives de Welles pour reconstruire sa vision originale. Cette démarche combine des techniques cinématographiques classiques avec des outils d’intelligence artificielle de pointe. Par exemple, certaines scènes seront tournées avec des acteurs contemporains, dont les visages seront remplacés par des reproductions numériques des acteurs originaux, comme Joseph Cotten ou Agnes Moorehead, grâce à des technologies de deepfake et de transfert de poses. Les décors, quant à eux, seront recréés en 3D à partir de photos d’archives, assurant une fidélité visuelle.
Cette approche hybride illustre une tendance croissante dans l’industrie cinématographique : l’utilisation de l’IA pour optimiser la production. Des studios comme Netflix expérimentent déjà l’IA pour des tâches comme les effets visuels ou le doublage. Mais Fable va plus loin, en imaginant un futur où l’IA pourrait générer des films entiers à partir de simples instructions textuelles. Edward Saatchi, PDG de Fable, rêve d’un « Netflix de l’IA » où les utilisateurs pourraient créer leurs propres versions de films ou séries, transformant le spectateur en créateur.
Voici les principaux éléments du projet de Fable :
- Reconstruction des 43 minutes perdues d’The Magnificent Ambersons à partir des notes et scripts de Welles.
- Utilisation de l’IA pour générer des visages et mouvements d’acteurs originaux via deepfake.
- Tournage de scènes avec des acteurs modernes et reconstitution des décors en 3D.
- Projet non commercial, servant de démonstration technologique.
Une Controverse Éthique et Artistique
Si l’ambition de Fable est impressionnante, elle n’est pas sans susciter de vives critiques. L’héritage d’Orson Welles, géré par sa fille Beatrice via David Reeder, a exprimé son mécontentement. Reeder a qualifié le projet de « tentative de générer de la publicité sur le dos du génie créatif de Welles ». Plus encore, il déplore l’absence de consultation préalable, soulignant que l’héritage de Welles a déjà adopté l’IA pour des projets comme un modèle vocal destiné à des campagnes publicitaires, mais sous contrôle strict.
« Cette tentative de profiter du génie créatif de Welles est décevante, surtout sans nous avoir consultés. »
– David Reeder, représentant de l’héritage d’Orson Welles
Le principal point de friction réside dans les droits d’auteur. Fable n’a pas obtenu les droits du film, détenus par Warner Bros. Discovery et Concord, ce qui limite le projet à une démonstration académique sans perspective de diffusion publique. Cette omission soulève une question cruciale : peut-on recréer une œuvre sans l’autorisation de ses ayants droit ? Pour beaucoup, cette démarche s’apparente à une forme de fan fiction industrialisée, où la technologie remplace l’âme créative d’un artiste.
Les critiques ne s’arrêtent pas là. Certains, comme le journaliste Anthony Ha, estiment que même avec l’approbation des héritiers, une version IA d’Ambersons ne serait qu’une pâle imitation, dépourvue de l’intuition artistique de Welles. Les technologies comme le deepfake peuvent imiter des visages, mais elles ne capturent pas l’essence d’une performance ou la vision d’un cinéaste. Cette tension entre innovation technologique et respect de l’héritage artistique est au cœur du débat.
L’IA, Menace ou Opportunité pour le Cinéma ?
Ce projet s’inscrit dans un mouvement plus large où l’intelligence artificielle redéfinit les industries créatives. Les studios hollywoodiens, confrontés à des coûts de production croissants, explorent l’IA pour réduire les dépenses, notamment dans les effets visuels, le montage, ou la génération de scripts. Disney et Netflix, par exemple, testent des outils d’IA pour optimiser leurs processus. Mais cette révolution soulève des inquiétudes, notamment parmi les créateurs. En 2023, les grèves de la WGA et de la SAG-AFTRA ont mis en lumière les craintes d’une automatisation menaçant les emplois dans le cinéma.
Pourtant, l’IA offre aussi des opportunités. Elle pourrait démocratiser la création cinématographique, permettant à des indépendants de produire des films à moindre coût. Fable, par exemple, envisage un futur où les spectateurs pourraient personnaliser des récits, créant des versions alternatives de leurs films préférés. Ce concept, bien que séduisant, pose des questions sur l’authenticité artistique et la valeur du travail humain.
Les avantages et défis de l’IA dans le cinéma incluent :
- Avantages : Réduction des coûts, démocratisation de la création, restauration potentielle d’œuvres perdues.
- Défis : Risques pour l’emploi, questions éthiques sur les droits d’auteur, perte de l’authenticité artistique.
- Enjeux : Nécessité de réguler l’usage de l’IA pour protéger les créateurs et leur héritage.
Le Rôle d’Amazon dans cette Révolution
Le soutien d’Amazon à Fable Studio via son fonds Alexa illustre l’intérêt des géants technologiques pour l’IA créative. Amazon voit dans ces technologies un moyen d’enrichir ses plateformes comme Prime Video ou Audible. Des scènes générées par IA pourraient devenir des bonus pour les abonnés ou des outils interactifs permettant aux utilisateurs de remixer du contenu. Cependant, cette stratégie soulève des questions sur la commercialisation de l’art et l’équilibre entre innovation et respect des créateurs originaux.
Le projet d’Ambersons pourrait également servir de vitrine pour attirer des investisseurs ou des partenaires, démontrant les capacités de Fable à un public plus large. Mais sans les droits nécessaires, il risque de rester une prouesse technique sans impact commercial, limitant son rayonnement à des cercles académiques ou technologiques.
Orson Welles et l’IA : Que Pensait-il de la Technologie ?
Orson Welles, connu pour son film Citizen Kane et son docudrame F for Fake, était fasciné par la frontière entre authenticité et imitation. Dans un documentaire de 1972, Future Shock, il exprimait une ambivalence face à la technologie, notant qu’elle apportait sophistication mais aussi stress et anxiété. Cette dualité résonne avec le projet de Fable : Welles aurait-il vu dans l’IA un outil pour amplifier l’art ou une menace pour l’authenticité ?
« Nos technologies modernes ont changé le degré de sophistication au-delà de nos rêves les plus fous. Mais cette technologie a un prix élevé. »
– Orson Welles, dans Future Shock (1972)
Si Welles était un visionnaire, il valorisait avant tout l’intuition humaine. L’IA, malgré ses avancées, peine à reproduire cette spontanéité créative. Le projet de Fable, bien que techniquement impressionnant, risque de produire une œuvre qui, comme le dit Reeder, sera « un exercice mécanique » plutôt qu’une véritable résurrection de la vision de Welles.
Vers un Futur de Narration Générative
Le projet de Fable ne se limite pas à The Magnificent Ambersons. Il s’inscrit dans une vision plus large de la narration générative, où l’IA pourrait créer des récits personnalisés à la demande. Imaginez un futur où, après avoir vu un film, vous pourriez générer une suite alternative ou modifier une scène avec un simple prompt. Cette perspective, bien que futuriste, soulève des questions sur la propriété intellectuelle et la valeur des œuvres originales.
Pour les startups et les entrepreneurs, ce projet illustre le potentiel de l’IA pour disrupter des industries établies. Mais il met aussi en lumière les défis éthiques et juridiques qui accompagnent ces innovations. Les entreprises devront naviguer entre l’enthousiasme pour les nouvelles technologies et le respect des droits des créateurs, sous peine de s’aliéner les communautés artistiques et les ayants droit.
Conclusion : Un Équilibre à Trouver
Le projet de Fable Studio pour recréer The Magnificent Ambersons est une vitrine fascinante des possibilités offertes par l’intelligence artificielle dans le cinéma. Mais il soulève aussi des questions profondes sur l’authenticité, les droits d’auteur, et l’avenir de la création artistique. Si l’IA peut ouvrir de nouvelles portes pour les créateurs et les spectateurs, elle doit être utilisée avec respect pour les héritages culturels qu’elle cherche à raviver. Pour l’instant, le Graal d’Orson Welles reste hors d’atteinte, mais ce projet pourrait bien redéfinir la manière dont nous envisageons la narration à l’ère de l’IA.