Quand un cinéaste légendaire comme Jim Jarmusch prend la parole, le monde écoute. Lors de la première de son dernier film, Father Mother Sister Brother, au Festival de Venise, il n’a pas seulement présenté une œuvre cinématographique, mais il a aussi secoué l’industrie en exprimant son malaise face au récent financement de Mubi, la plateforme de streaming qui a co-produit son film. Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste de cette envergure critique publiquement ses partenaires financiers, et cette déclaration soulève des questions cruciales sur l’éthique dans le financement des startups et l’avenir des plateformes indépendantes. Dans un monde où la technologie, le cinéma et les investissements se croisent, comment les choix financiers influencent-ils la création artistique ? Plongeons dans cette controverse qui mêle cinéma d’auteur, venture capital et dilemmes éthiques.
Un Financement Controversé : Mubi et Sequoia Capital
En août 2025, Mubi a fait les gros titres en annonçant une levée de fonds de 100 millions de dollars, menée par le géant du capital-risque Sequoia Capital. Cette injection de capitaux visait à accélérer l’expansion de la plateforme, connue pour son catalogue pointu de films d’auteur et son soutien à la création indépendante. Cependant, ce partenariat a suscité une vague de critiques, notamment de la part de cinéastes et d’activistes. Pourquoi ? Sequoia Capital, bien que reconnu pour ses investissements dans des startups technologiques à succès, a également des liens avec Kela, une startup israélienne spécialisée dans les technologies de défense. Ce lien a conduit à une accusation grave : en acceptant l’argent de Sequoia, Mubi se retrouverait indirectement lié à des activités controversées.
« J’étais déçu et troublé par cette relation », a déclaré Jim Jarmusch lors de la conférence de presse de son film.
– Jim Jarmusch, Festival de Venise, août 2025
Jarmusch, connu pour son approche sans compromis du cinéma indépendant, n’a pas mâché ses mots. Cependant, il a tenu à préciser que sa collaboration avec Mubi avait débuté bien avant ce financement et que l’équipe de la plateforme avait été exemplaire dans le soutien à son projet. Cette nuance illustre une tension centrale : comment concilier les besoins financiers d’un projet créatif avec les implications éthiques des sources de financement ?
L’Industrie du Cinéma face aux Enjeux Éthiques
Le financement du cinéma n’est pas un sujet nouveau, mais il prend une dimension particulière à l’ère des plateformes de streaming. Les cinéastes indépendants, souvent limités par des budgets restreints, doivent naviguer dans un écosystème où les capitaux proviennent de sources variées, parfois controversées. L’open letter signée par de nombreux cinéastes, y compris certains associés à Mubi, a mis en lumière une préoccupation croissante : le financement de startups comme Mubi peut-il rester éthique dans un monde où l’argent est souvent « sale » ?
Pour mieux comprendre, voici les points clés soulevés par cette controverse :
- Transparence financière : Les cinéastes et le public exigent une clarté sur l’origine des fonds des plateformes comme Mubi.
- Responsabilité éthique : Les investissements dans des technologies controversées, comme celles de Kela, soulèvent des questions sur la complicité indirecte des entreprises financées.
- Indépendance artistique : Les créateurs craignent que des financements à grande échelle influencent les choix éditoriaux des plateformes.
Le PDG de Mubi a rapidement réagi, affirmant que « toute suggestion liant notre travail au financement de la guerre est simplement fausse ». Cette réponse, bien que ferme, n’a pas suffi à apaiser les critiques, notamment celles de figures influentes comme Jarmusch.
Le Paradoxe du Financement dans les Startups Créatives
Le cas de Mubi illustre un défi majeur pour les startups opérant à l’intersection de la technologie et de la créativité. D’un côté, les levées de fonds massives permettent à des plateformes comme Mubi de rivaliser avec des géants comme Netflix ou Amazon Prime. De l’autre, ces financements viennent souvent de fonds d’investissement dont les portefeuilles incluent des entreprises aux activités controversées. Sequoia Capital, par exemple, a investi dans des centaines de startups, de WhatsApp à Airbnb, mais aussi dans des entreprises technologiques liées à la défense. Ce mélange crée un dilemme pour les créateurs qui dépendent de ces plateformes pour financer leurs projets.
« Tout l’argent des grandes entreprises est sale », a déclaré Jarmusch, soulignant le paradoxe des financements dans l’industrie créative.
– Jim Jarmusch, Festival de Venise, août 2025
Ce constat résonne particulièrement dans le monde des startups, où la recherche de croissance rapide oblige souvent à accepter des fonds sans poser trop de questions. Pourtant, dans le cas de Mubi, cette stratégie pourrait nuire à son image de plateforme indépendante, soigneusement cultivée auprès des cinéphiles et des créateurs.
Mubi : Une Plateforme au Carrefour de l’Art et du Business
Mubi s’est imposée comme une alternative rafraîchissante aux géants du streaming. Avec son catalogue axé sur les films d’auteur, les classiques restaurés et les productions indépendantes, elle a su séduire un public de niche tout en attirant des réalisateurs prestigieux comme Jarmusch. Mais cette réputation est-elle en danger ? La controverse autour du financement par Sequoia met en lumière les défis auxquels font face les startups qui cherchent à conjuguer valeurs artistiques et ambitions commerciales.
Pour illustrer l’impact de cette polémique, examinons quelques données :
- 100 millions de dollars : Montant levé par Mubi en août 2025.
- 2019 : Année où Mubi a atteint la rentabilité, prouvant sa viabilité économique avant ce financement.
- Inde et Sundance : Mubi a élargi son empreinte mondiale avec un service de streaming en Inde et des sélections au festival de Sundance.
Ces chiffres montrent que Mubi était déjà sur une trajectoire ascendante avant l’arrivée de Sequoia. La question se pose alors : ce financement était-il nécessaire, ou s’agit-il d’une stratégie pour accélérer une croissance qui pourrait compromettre l’identité de la plateforme ?
Les Leçons pour les Startups et les Créateurs
Cette controverse dépasse le cadre de Mubi et de Jarmusch. Elle pose une question essentielle pour toute startup, en particulier celles opérant dans les secteurs créatifs : comment choisir ses investisseurs sans compromettre ses valeurs ? Pour les entrepreneurs en marketing, technologie ou communication digitale, voici quelques enseignements tirés de cette affaire :
- Vérifiez les portefeuilles des investisseurs : Avant d’accepter un financement, examinez les autres investissements de vos partenaires pour éviter les associations controversées.
- Communiquez avec transparence : Une réponse rapide et claire, comme celle du PDG de Mubi, peut limiter les dégâts, mais elle doit être convaincante.
- Protégez votre marque : Une plateforme comme Mubi, qui repose sur une image d’indépendance, doit redoubler de vigilance pour préserver la confiance de son audience.
Pour les créateurs, cette affaire rappelle l’importance de poser des questions sur l’origine des fonds qui soutiennent leurs projets. Comme l’a souligné Jarmusch, il est difficile d’échapper à l’argent « sale », mais une vigilance accrue peut faire la différence.
L’Avenir de Mubi et du Cinéma Indépendant
Alors que Mubi continue de croître, cette controverse pourrait marquer un tournant. La plateforme devra prouver qu’elle peut rester fidèle à sa mission tout en naviguant dans les eaux troubles du capital-risque. Pour les cinéastes comme Jarmusch, il s’agit de trouver un équilibre entre la liberté artistique et les réalités économiques. À une époque où les plateformes de streaming redéfinissent le cinéma, la transparence et l’éthique deviennent des enjeux cruciaux.
En conclusion, cette affaire met en lumière les tensions entre art, technologie et finance. Les startups comme Mubi, qui cherchent à innover dans des secteurs créatifs, doivent non seulement proposer des produits exceptionnels, mais aussi faire preuve d’une responsabilité éthique irréprochable. Pour les entrepreneurs et les créateurs, le message est clair : dans un monde interconnecté, chaque décision financière peut avoir des répercussions bien au-delà du bilan comptable.