Kingmaking : Les VC Couronnent les Rois de l’IA

Imaginez : votre startup a tout juste un an, votre chiffre d’affaires frôle les 400 000 dollars annuels et, soudain, deux des fonds les plus prestigieux de la Silicon Valley vous proposent 90 millions de dollars pour une valorisation de 415 millions. Science-fiction ? Non, réalité 2025. C’est exactement ce qui est arrivé à DualEntry, une jeune pousse qui veut ringardiser Oracle NetSuite avec de l’IA. Bienvenue dans l’ère du kingmaking, cette stratégie où les VC ne misent plus sur un cheval… ils le transforment directement en licorne avant même qu’il ait couru.

Le kingmaking, c’est quoi exactement ?

Le principe est simple et brutal : dans une catégorie prometteuse (ERP IA, ITSM, SOC compliance, etc.), les fonds identifient très tôt plusieurs concurrents crédibles, puis choisissent leur champion et l’inondent de capitaux pour qu’il écrase la concurrence par la simple force de son compte en banque.

« Les venture capitalists ont toujours évalué plusieurs concurrents avant de parier sur le futur gagnant. Ce qui change, c’est que cela se fait désormais beaucoup plus tôt. »

– Jeremy Kaufmann, partner chez Scale Venture Partners

En clair, on ne laisse plus le marché désigner le vainqueur. On le fabrique.

DualEntry, Rillet, Campfire : la guerre des ERP IA en temps réel

Octobre 2025 : DualEntry annonce 90 M$ levés auprès de Lightspeed et Khosla Ventures. Valorisation post-money : 415 M$. Selon plusieurs sources VC ayant vu le deal, l’ARR était alors… inférieur à 500 k$. Le fondateur dément, mais reconnaît que le chiffre était « considérablement plus élevé » au closing – ce qui reste très relatif.

Mais DualEntry n’est pas seul. Ses deux principaux rivaux ont reçu le même traitement royal :

  • Rillet : 25 M$ Series A (Sequoia) en juin → 70 M$ Series B (a16z + Iconiq) en août
  • Campfire AI : 35 M$ Series A (Accel) → 65 M$ Series B deux mois plus tard

Trois startups, trois valorisations folles, trois guerres de tranchées à coups de centaines de millions avant même d’avoir prouvé leur product-market fit à grande échelle.

Pourquoi maintenant ? Les 3 grandes raisons du kingmaking 2025

1. La loi de puissance totalement intégrée
Personne n’a oublié qu’un investissement précoce dans Uber, Airbnb ou OpenAI a rapporté 1000x. Les VC se disent : « Plutôt payer trop cher tôt que rater le train. »

2. Les cycles de vente enterprise sont longs et risqués
Quand une grande entreprise doit choisir un nouvel ERP ou un outil de compliance, elle préfère le joueur qui a 200 M$ en banque et semble indéboulonnable. La trésorerie devient un argument commercial à part entière.

3. La vitesse d’exécution dans l’IA est devenue folle
Les modèles évoluent tous les six mois. Celui qui recrute 50 ingénieurs IA aujourd’hui aura six mois d’avance sur celui qui attendra sa Series B classique.

« Tout le monde a intériorisé la leçon de la power law. Dans les années 2010, on ne pouvait pas surpayer un investissement précoce dans Uber. »

– David Peterson, partner chez Angular Ventures

Les armes secrètes du roi couronné

L’argent ne sert pas seulement à brûler du cash. Il offre des super-pouvoirs concrets :

  • Recrutement massif des meilleurs talents IA (salaires à 1 M$ package)
  • Prix agressifs voire gratuits la première année pour verrouiller les clients
  • Marketing omniprésent : sponsoring de tous les événements, pub LinkedIn massive, partenariats
  • Image de leader incontesté qui rassure les grands comptes

Résultat ? Les concurrents moins capitalisés se retrouvent asphyxiés avant même d’avoir pu prouver leur supériorité technologique.

Les contre-exemples qui font réfléchir

L’histoire est remplie de « rois » déchus malgré des centaines de millions levés :

  • Convoy (logistique) → 1 milliard levé → liquidation
  • Bird (trottinettes) → introduction en bourse → faillite Chapter 11
  • WeWork, Quibi, Katerra… la liste est longue

Mais les VC balaient ces contre-exemples d’un revers de main : « C’était avant l’IA. Cette fois, c’est différent. » (Phrase la plus dangereuse de la finance, soit dit en passant.)

Ce que ça change pour les fondateurs

Si vous lancez une startup IA dans une catégorie chaude en 2025, vous avez deux options :

Option A – Devenir le roi
Courir plus vite que tout le monde, pitcher les 20 plus gros fonds en parallèle, accepter une valorisation délirante et prier pour que le marché suive.

Option B – La guérilla
Rester sous le radar, bootstrappé ou légèrement financé, viser un niche ultra-spécifique, et espérer que le « roi » se casse les dents sur l’exécution ou les marges.

Option C n’existe plus vraiment : lever « raisonnablement » et espérer concurrencer frontalement un champion adoubé par Sequoia ou a16z.

Et les investisseurs minoritaires dans tout ça ?

Les anges et petits fonds se retrouvent souvent éjectés dès la deuxième ou troisième levée. Les caps tables deviennent des champs de bataille où les gros fonds imposent des liquidations préférentielles monstres. Résultat : même si la startup devient un géant, les premiers croyants peuvent se retrouver avec des miettes.

Vers une bulle ou une nouvelle norme ?

Plusieurs signaux laissent penser que le kingmaking pourrait devenir la norme dans l’IA appliquée :

  • Les fonds lèvent des véhicules « opportunity » dédiés uniquement à sur-investir dans leurs champions
  • Certaines catégories voient déjà 3 à 4 tours annoncés en moins de 12 mois
  • Les valorisations Series A dépassent désormais régulièrement celles des Series C de 2021

Mais une question demeure : quand tout le monde couronne son roi, qui paiera la note si plusieurs catégories se révèlent moins grosses que prévu ?

Conclusion : le jeu a changé, adaptez-vous

Le kingmaking n’est pas une mode passagère. C’est l’adaptation logique d’un écosystème où la vitesse, la distribution et la perception priment sur la traction initiale. Les fondateurs doivent désormais penser « guerre éclair » dès le jour 1. Les investisseurs, eux, jouent au Risk avec des milliards.

Une chose est sûre : en 2025, celui qui hésite à mettre la couronne… la verra posée sur la tête de son concurrent.

Et vous, dans quel camp êtes-vous ? Le futur roi ou le rebelle qui renversera la monarchie ?

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