Le Sénat américain vient d’adopter la loi KOSA (Kids Online Safety Act), une législation qui vise à protéger les mineurs sur Internet, mais qui soulève également de nombreuses inquiétudes quant à ses potentielles dérives en matière de surveillance et de censure. Décryptage de cette loi controversée qui pourrait bouleverser le paysage numérique.
Un devoir de diligence pour les plateformes
Au cœur de la loi KOSA se trouve l’obligation pour les grandes plateformes en ligne, comme les réseaux sociaux, les sites de streaming ou les réseaux de jeux vidéo, de prendre des mesures raisonnables pour protéger les mineurs contre une longue liste de dangers : exploitation sexuelle, troubles alimentaires, suicide, abus de substances, publicités pour des produits interdits aux mineurs, etc.
Les entreprises devront notamment :
- Divulguer quand et comment elles utilisent des algorithmes de recommandation de contenu personnalisé
- Donner aux mineurs la possibilité de refuser la collecte de données
- Limiter les fonctionnalités addictives comme la lecture automatique ou la gamification de l’engagement
Si elles ne prouvent pas faire assez d’efforts, les plateformes pourront être tenues légalement responsables.
Vérification de l’âge et atteintes à la vie privée
Pour déterminer quels utilisateurs sont mineurs, les plateformes devront mettre en place un système de vérification de l’âge. Cette mesure inquiète les défenseurs de la vie privée, qui craignent qu’elle ne limite la possibilité d’utiliser Internet de manière anonyme, mettant en danger lanceurs d’alerte, militants des droits de l’homme ou victimes de violences cherchant à fuir une situation dangereuse.
De plus, ces bases de données d’identité pourraient être la cible de pirates informatiques mal intentionnés, comme l’a montré la fuite de données chez Au10tix, un service utilisé par X, TikTok et Uber, qui a laissé fuiter pendant plus d’un an des informations sensibles comme des permis de conduire ou des numéros de sécurité sociale.
La collecte d’identifiants en ligne est fondamentalement différente – et plus dangereuse – que les contrôles d’identité en personne dans le monde physique.
– India McKinney, directrice des affaires fédérales à l’Electronic Frontier Foundation
Des risques de censure des contenus LGBTQ+
Certains groupes de défense des droits humains s’inquiètent également du fait que la loi KOSA puisse être instrumentalisée pour cibler les jeunes LGBTQ+, à une époque où leurs droits sont déjà attaqués au niveau des États. Dans une version précédente du texte, les procureurs généraux de chaque État auraient pu décider quel contenu en ligne était approprié pour les mineurs, ouvrant la porte à des décisions arbitraires et discriminatoires.
Bien que la version finale confie ce pouvoir à la Federal Trade Commission (FTC), certains militants restent sur leurs gardes :
Sous une éventuelle administration Trump, la FTC pourrait facilement utiliser KOSA pour cibler les contenus liés aux soins affirmant le genre, à l’avortement, à la justice raciale, au changement climatique…
– Evan Greer, directeur de Fight for the Future
Entre soutiens et oppositions
Malgré ces réserves, la loi KOSA a reçu le soutien de grandes entreprises technologiques comme Microsoft, X et Snap, même si sa mise en œuvre sera un défi pour elles. La sénatrice Marsha Blackburn, co-autrice du projet de loi, a balayé les critiques, affirmant que KOSA ne visait ni ne censurerait aucune communauté.
D’autres législateurs, comme le sénateur Ron Wyden, restent opposés au texte, estimant que les améliorations apportées demeurent insuffisantes pour protéger le chiffrement, l’anonymat ou les contenus LGBTQ+.
Un long chemin législatif et judiciaire
Pour entrer en vigueur, la loi KOSA doit encore être adoptée à la Chambre des représentants, qui a sa propre version du texte, puis être signée par le président Joe Biden. Mais même alors, l’Electronic Frontier Foundation estime que cette loi est inconstitutionnelle et qu’elle sera contestée en justice dès le premier jour.
La protection des mineurs en ligne est certes un enjeu crucial, mais il est essentiel de trouver un équilibre pour ne pas sacrifier au passage des droits et libertés fondamentaux. Le débat autour de la loi KOSA illustre toute la complexité de la régulation des plateformes numériques à l’ère de l’IA et des réseaux sociaux omniprésents. Un défi de taille pour les législateurs du monde entier.