Meta Dans le Viseur de l’UE : WhatsApp Ferme la Porte aux IA Concurrentes

Imaginez : vous discutez tranquillement sur WhatsApp avec votre assistant IA préféré, que ce soit ChatGPT, Perplexity ou un petit nouveau prometteur… et du jour au lendemain, il disparaît. Plus de réponses instantanées, plus de magie. Juste Meta AI qui trône fièrement, seul maître à bord. C’est exactement le scénario que Bruxelles refuse de voir se produire. Le 4 décembre 2025, la Commission européenne a dégainé l’artillerie lourde : une enquête antitrust formelle contre Meta pour abus de position dominante. Le motif ? Une simple mise à jour de politique qui, en apparence technique, pourrait bien être un coup de massue porté à toute la concurrence dans l’intelligence artificielle grand public.

Que s’est-il passé exactement ?

En octobre 2025, WhatsApp a discrètement modifié les conditions d’utilisation de sa Business API. À partir de janvier 2026, l’utilisation de cette API pour distribuer des chatbots IA grand public (c’est-à-dire des assistants conversationnels généralistes) sera purement et simplement interdite. Seuls les bots d’entreprise dédiés au service client (réservation, suivi de commande, etc.) resteront autorisés.

Problème : Meta AI, lui, continue de fonctionner sans le moindre accroc. Coïncidence ? La Commission européenne n’y croit pas une seconde.

« En conséquence de cette nouvelle politique, les fournisseurs d’IA concurrents pourraient être empêchés d’atteindre leurs clients via WhatsApp. Pendant ce temps, le propre service Meta AI resterait accessible aux utilisateurs de la plateforme. »

– Communiqué officiel de la Commission européenne, 4 décembre 2025

Pourquoi c’est un énorme problème stratégique

WhatsApp, ce n’est pas « juste » une messagerie. C’est plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs, dont une part colossale en Europe, en Inde et en Amérique latine. Pour beaucoup de gens (surtout dans les pays émergents), WhatsApp EST internet. C’est là qu’ils lisent les news, payent leurs factures, parlent à leurs proches… et, de plus en plus, discutent avec des IA.

Quand vous coupez l’accès à cette audience captive, vous ne faites pas qu’ennuyer quelques startups. Vous privez des millions de personnes du choix. Et vous donnez un avantage absolument colossal à votre propre modèle.

En clair : Meta transforme WhatsApp en jardin clos géant où seul son IA a le droit de cité. Un peu comme si Apple interdisait demain toutes les apps bancaires concurrentes sur iPhone au profit d’Apple Pay uniquement.

La réponse de Meta : « C’est technique, pas stratégique »

Chez WhatsApp, on joue la carte de l’innocence technique. Un porte-parole a déclaré :

« L’émergence de chatbots IA sur notre Business API met une pression sur nos systèmes qui n’ont pas été conçus pour cela. […] Le marché de l’IA reste extrêmement compétitif et les gens ont accès aux services de leur choix via de nombreux canaux : stores d’applications, moteurs de recherche, e-mails, intégrations partenaires, systèmes d’exploitation… »

– WhatsApp, réaction officielle

Cette défense tient-elle la route ? Sur le papier, peut-être. En pratique, elle fait sourire. Quand on pèse 2 000 milliards de dollars de capitalisation, on a les moyens d’adapter ses infrastructures. D’ailleurs, curieusement, Meta AI, lui, ne semble pas poser de problème de charge serveur…

Le contexte réglementaire européen : Meta déjà dans le collimateur

Ce n’est pas la première fois que Meta croise le fer avec Bruxelles. Rappel des épisodes précédents :

  • Amende de 1,2 milliard d’euros en 2023 pour transferts de données vers les États-Unis
  • Enquête DMA sur le « pay or consent » (payez ou acceptez la pub ciblée)
  • Obligation d’interopérabilité des messageries (WhatsApp doit s’ouvrir à Signal, Telegram…)
  • Et maintenant cette enquête sur les chatbots IA

Clairement, l’Europe a décidé de faire de Meta l’exemple parfait du gatekeeper à mater. Et Teresa Ribera, vice-présidente exécutive de la Commission, ne mâche pas ses mots :

« Les marchés de l’IA explosent en Europe et ailleurs. Nous devons garantir que les citoyens et entreprises européens bénéficient pleinement de cette révolution technologique, sans que des géants numériques dominants n’abusent de leur pouvoir pour évincer les concurrents innovants. »

– Teresa Ribera, 4 décembre 2025

Quelles sanctions Meta risque-t-il vraiment ?

Si l’enquête aboutit à une condamnation, les conséquences peuvent être très lourdes :

  • Amende jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial annuel (soit potentiellement plus de 14 milliards de dollars)
  • Obligation de rétablir l’accès aux API pour tous les chatbots IA
  • Mesures comportementales ou même structurelles (scission d’activités dans le pire des cas)
  • Procédure accélérée possible pour éviter des « dommages irréparables » à la concurrence

Et le timing est crucial : plus l’Europe attend, plus Meta AI prend des parts de cerveau (et de données d’entraînement) inaccessibles aux autres.

Et pour les startups IA, c’est la catastrophe ?

Oui et non. WhatsApp n’est qu’un canal parmi d’autres. Mais c’est un canal extrêmement sticky. Une fois qu’un utilisateur discute tous les jours avec un bot dans WhatsApp, il ne va pas forcément télécharger une app dédiée.

Des startups comme Character.AI, Poe (de Quora), ou des acteurs européens avaient commencé à investir massivement dans l’intégration WhatsApp. Pour eux, c’est un coup d’arrêt brutal. Certains parlent déjà de licenciements ou de pivot forcé.

D’un autre côté, cette affaire pourrait accélérer l’adoption d’alternatives ouvertes (Telegram a déjà flairé le bon coup et communique à fond sur sa totale ouverture aux bots).

Ce que ça nous dit sur l’avenir de l’IA grand public

Cette enquête est un signal fort : l’époque où les GAFAM pouvaient verrouiller leurs écosystèmes sans conséquence est en train de se terminer, du moins en Europe. On assiste à la naissance d’un nouveau champ de bataille réglementaire : les points d’accès à l’utilisateur final.

Dans les années 2010, c’était le search (Google). Dans les années 2020, les app stores (Apple, Google). Dans les années 2025-2030, ce sera très probablement les messageries et les super-apps. Celui qui contrôle le canal de conversation contrôle l’interface du futur.

Et pour nous, entrepreneurs, marketeurs, fondateurs de startups : cela veut dire qu’il faut anticiper dès maintenant des stratégies multi-canaux, investir dans l’interopérabilité, et peut-être même soutenir activement les régulateurs quand ils tapent sur les géants (oui, c’est cynique, mais c’est la réalité).

Conclusion : un précédent qui pourrait tout changer

L’enquête ouverte contre Meta n’est pas qu’une énième procédure bruxelloise. C’est peut-être le premier grand test de la capacité de l’Europe à empêcher la constitution de monopoles dans l’intelligence artificielle grand public.

Si Bruxelles gagne, on pourrait voir s’ouvrir une ère où les messageries deviendront de vrais commons numériques, où n’importe quelle IA innovante pourra toucher des centaines de millions d’utilisateurs sans demander la permission à un géant.

Si Meta gagne… eh bien, préparez-vous à un monde où vos interactions quotidiennes avec l’IA passeront presque exclusivement par les produits de Meta, Google et quelques autres happy few.

Le combat ne fait que commencer. Et pour une fois, c’est l’Europe qui tient le rôle du shérif.

À suivre de très près.

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