Imaginez : le réacteur le plus célèbre (et le plus craint) de l’histoire américaine s’apprête à redémarrer… pour faire tourner les modèles d’intelligence artificielle de Microsoft. Ce n’est pas de la science-fiction. Le 18 novembre 2025, le Département de l’Énergie de l’administration Trump vient d’accorder un prêt d’un milliard de dollars à Constellation Energy pour relancer l’unité 1 de Three Mile Island. Derrière ce projet fou ? Un contrat géant signé avec Microsoft qui achète toute l’électricité produite pendant vingt ans. Bienvenue dans l’ère où l’IA a tellement soif d’énergie que les géants de la tech ressuscitent le nucléaire.
Three Mile Island : du cauchemar de 1979 à la solution miracle de 2028
Pour la génération X et les boomers, le nom « Three Mile Island » évoque immédiatement la pire catastrophe nucléaire civile américaine : la fusion partielle du réacteur n°2 en mars 1979. Pourtant, c’est bien l’unité n°1, parfaitement saine et arrêtée en 2019 pour des raisons purement économiques (le gaz de schiste était devenu trop bon marché), qui va renaître de ses cendres.
Le calendrier annoncé est ambitieux : remise en service prévue en 2028 après 1,6 milliard de dollars de travaux. Le prêt de 1 milliard du DOE couvre donc les deux tiers du financement. Le reste ? Apporté par Constellation et, indirectement, garanti par le contrat d’achat d’électricité signé avec Microsoft.
Pourquoi Microsoft paie-t-il une fortune l’électricité d’un vieux réacteur ?
La réponse tient en trois lettres : A-I-A. Un seul centre de données dernière génération dédié à l’entraînement de grands modèles de langage peut consommer autant d’électricité qu’une ville de 300 000 habitants. Et Microsoft, avec Azure et son partenariat stratégique avec OpenAI, est en première ligne.
Les chiffres donnent le vertige :
- Un data center hyperscale moderne : jusqu’à 500 MW en pointe
- Three Mile Island Unit 1 : 835 MW en continu, 100 % carbon-free
- Contrat : toute la production vendue à Microsoft pendant 20 ans
Selon les analystes de Jefferies, Microsoft paierait entre 110 et 115 $/MWh. C’est deux à trois fois plus cher que l’éolien ou le solaire avec stockage actuel… mais c’est exactement ce dont les GAFAM ont besoin : de l’électricité disponible 24 h/24, 7 j/7, sans émission de CO₂ et située à proximité des grands hubs internet de la côte Est américaine.
« Le nucléaire est en train de devenir l’énergie préférée des hyperscalers. C’est fiable, décarboné et, surtout, ça tourne tout le temps. »
– Analyste énergie chez BloombergNEF, novembre 2025
Microsoft n’est pas seul : la ruée des géants tech sur l’atome
Meta a signé cet été un accord similaire avec Constellation pour acheter les « attributs énergie propre » d’une centrale de 1,1 GW dans l’Illinois. Amazon a investi directement dans Talen Energy et sa centrale de Susquehanna (Pennsylvanie). Google a passé des accords avec Kairos Power et des petits réacteurs modulaires (SMR). Même Oracle discute avec Helion Energy (fusion nucléaire) soutenu par Sam Altman.
Le pattern est clair : les Big Tech ne veulent plus dépendre des utilities classiques ni des marchés de l’électricité. Elles signent des Power Purchase Agreements (PPA) directs sur 15 à 30 ans pour sécuriser leur approvisionnement et verdir leur bilan carbone.
Le retour en grâce du programme de prêts du Department of Energy
Le Loan Programs Office (LPO) du DOE, créé en 2005, a connu des hauts et des bas. Tout le monde se souvient du fiasco Solyndra (2011). Mais depuis, le bilan est largement positif : taux de défaut inférieur à 3,3 % après récupération, et surtout le prêt historique de 465 millions $ à Tesla en 2010, remboursé avec trois ans d’avance.
L’Inflation Reduction Act de 2022 avait déjà regonflé les caisses du LPO. L’administration Trump n’a pas touché au programme, elle l’a même rebaptisé « Energy Dominance Financing Program » et continue à l’utiliser à plein régime. Résultat : 1,6 milliard prêté en octobre 2025 pour moderniser 8 000 km de lignes électriques, et maintenant 1 milliard pour Three Mile Island.
Quelles opportunités business pour les startups et investisseurs ?
Ce n’est que le début d’une vague massive. Voici les secteurs qui vont exploser dans les 5 à 10 prochaines années :
- Petits réacteurs modulaires (SMR) : NuScale, GE-Hitachi, Rolls-Royce, X-Energy…
- Logiciels de gestion et de sécurité nucléaire nouvelle génération
- Services de co-location data center à proximité immédiate des centrales
- Plateformes de trading d’attributs énergie propre (comme les RECs mais à l’échelle industrielle)
- Financement spécialisé des projets nucléaires (fonds privés, yieldcos, etc.)
Les valorisations des startups SMR ont déjà été multipliées par 5 à 10 depuis 2023. Et les fonds spécialisés « clean energy infrastructure » lèvent des milliards chaque trimestre.
Et la France dans tout ça ?
Pendant que les États-Unis relancent des réacteurs fermés, la France possède déjà le parc nucléaire le plus dense au monde (56 réacteurs). Mais nos géants du cloud (OVHcloud, Scaleway, etc.) n’ont pas encore la taille critique pour signer ce genre de méga-contrats directs.
Cependant, le mouvement est lancé : EDF a annoncé en 2025 plusieurs discussions avec des hyperscalers européens pour des PPA de longue durée. Et la relance du programme nucléaire français (6 à 14 EPR2) est regardée avec beaucoup d’intérêt par les investisseurs américains.
Conclusion : l’IA va-t-elle sauver le nucléaire ?
Ce qui se passe aujourd’hui avec Three Mile Island n’est pas un simple projet énergétique. C’est la preuve que les besoins gargantuesques en électricité des géants de l’IA sont en train de remodeler complètement le paysage énergétique mondial.
Dans les dix prochaines années, le nucléaire pourrait redevenir l’énergie la plus sexy de la tech. Et les entrepreneurs malins qui se positionnent dès maintenant sur toute la chaîne de valeur (technologie, services, financement, co-location) ont devant eux une opportunité historique.
Car une chose est sûre : l’intelligence artificielle va continuer à consommer toujours plus d’électricité. Et ceux qui fourniront cette électricité propre, fiable et abondante écriront les prochains chapitres du capitalisme technologique.







