Rad Power Bikes : Batteries en Feu et Startup en Survie

Imaginez-vous en train de charger tranquillement votre vélo électrique dans le garage et, d’un seul coup, une explosion. Des flammes, de la fumée, votre maison en danger. Ce scénario digne d’un film catastrophe est devenu réalité pour plusieurs dizaines de propriétaires de Rad Power Bikes ces derniers mois. Lundi 24 novembre 2025, la CPSC américaine a lancé une alerte rarissime : « ces batteries présentent un risque de blessures graves voire de mort » et recommande purement et simplement d’arrêter de les utiliser. Pour une startup valorisée à plus d’un milliard de dollars il y a encore trois ans, c’est le coup de massue final.

Que s’est-il vraiment passé avec ces batteries ?

Le problème concerne les batteries lithium-ion équipant une grande partie de la gamme Rad Power Bikes vendue entre 2017 et 2024. Selon la Commission de sécurité des produits de consommation (CPSC), pas moins de 31 incendies ont déjà été recensés. Douze d’entre eux ont provoqué des dégâts matériels parfois considérables, et le plus inquiétant : certains se sont déclenchés alors que la batterie n’était même pas en charge.

Le facteur déclencheur principal ? L’exposition à l’eau ou aux débris qui endommage le faisceau électrique et crée des courts-circuits internes. Une fois la réaction thermique enclenchée, plus rien n’arrête le « thermal runaway » : la batterie entre en surchauffe, dégage des gaz inflammables et peut littéralement exploser.

« Les batteries dangereuses peuvent s’enflammer ou exploser de manière inattendue, présentant un risque d’incendie, en particulier lorsque la batterie ou le faisceau a été exposé à l’eau et aux débris. »

– U.S. Consumer Product Safety Commission, 24 novembre 2025

Rad Power refuse le rappel total : David contre Goliath réglementaire

Dans une situation classique, une entreprise rappelle immédiatement les produits, propose échange ou remboursement, et passe à autre chose. Mais Rad Power Bikes n’est plus en position de force. La startup a annoncé début novembre à ses salariés qu’elle fermerait définitivement en janvier 2026 sans levée de fonds supplémentaire. Résultat : elle n’a tout simplement plus l’argent pour un rappel complet.

La direction a donc proposé à la CPSC plusieurs solutions alternatives : migration gratuite vers les nouvelles batteries « Safe Shield » (non concernées par l’alerte), programme d’échange progressif, etc. Toutes ont été refusées. L’agence fédérale exige un rappel total avec remboursement ou remplacement pour l’ensemble des clients, point final.

Conséquence : la CPSC a publié son avertissement sans l’accord de l’entreprise – une procédure exceptionnelle qui montre la gravité perçue du risque.

« Le coût exorbitant de cette exigence tout-ou-rien forcerait Rad à fermer immédiatement ses portes, laissant nos clients et nos employés sans aucun soutien. »

– Communiqué de Rad Power Bikes à TechCrunch

Le syndrome du « trop vite, trop fort » dans la micromobilité

Revenons quelques années en arrière. 2021 : la pandémie explose la demande de vélos électriques. Rad Power lève 154 millions de dollars à une valorisation supérieure au milliard. L’entreprise devient le leader américain du direct-to-consumer dans l’e-bike, avec des modèles à moins de 2 000 $ là où la concurrence européenne dépasse souvent les 4 000 €.

Cette croissance fulgurante a un prix : des compromis sur la qualité des composants, des chaînes d’approvisionnement tendues, et surtout une dépendance massive aux batteries chinoises low-cost. Quand on vend des dizaines de milliers d’unités par mois, chaque dollar économisé sur la batterie compte. Sauf que la sécurité lithium-ion ne pardonne pas les économies de bout de chandelle.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le secteur fait face à ce type de crise. On se souvient des hoverboards qui prenaient feu en 2015-2016, des trottinettes Lime ou Bird rappelées en 2019, ou encore des batteries Samsung du Galaxy Note 7. À chaque fois le même schéma : croissance explosive → pression sur les coûts → défaut qualité → crise de confiance.

Les conséquences business : un effet domino redoutable

Au-delà du drame humain (heureusement aucune victime mortelle n’est à déplorer pour l’instant), les répercussions commerciales sont immenses :

  • Confiance des consommateurs brisée : même les modèles récents avec nouvelles batteries vont souffrir de l’image « Rad = danger »
  • Assureurs qui augmentent les primes ou refusent de couvrir les e-bikes Rad Power
  • Revendeurs (Costco, REI, etc.) qui déréférencent la marque
  • Investisseurs qui fuient : déjà difficile de lever en 2025 dans la mobilité électrique, là c’est mission impossible
  • Procédures judiciaires collectives (class actions) qui s’annoncent massives aux États-Unis

En clair, même si Rad Power trouvait miraculeusement un repreneur d’ici janvier, la marque risque de ne plus valoir grand-chose.

Que doivent faire les propriétaires dès maintenant ?

La CPSC est très claire : arrêtez immédiatement d’utiliser les batteries concernées. Voici la marche à suivre officielle :

  • Vérifiez si votre batterie fait partie des lots dangereux sur le site de la CPSC (lien dans la source)
  • Ne chargez plus la batterie et ne l’utilisez plus
  • Ne la jetez surtout pas à la poubelle classique ni dans un centre de recyclage standard
  • Déposez-la dans un centre de collecte de déchets dangereux ménagers (HHW)
  • Conservez votre vélo : seul le pack batterie est concerné

En Europe, bien que la procédure CPSC ne s’applique pas directement, les autorités commencent à se saisir du dossier. L’ANSES en France et plusieurs associations de consommateurs appellent déjà à la prudence.

Leçons pour tous les fondateurs de hardware tech

Cette affaire est un cas d’école brutal sur les pièges du hardware grand public à forte croissance. Voici les enseignements clés que tout entrepreneur devrait en tirer :

  • La sécurité produit n’est jamais une variable d’ajustement budgétaire
  • Une assurance responsabilité civile produit colossale est indispensable dès le série A
  • Anticiper les scénarios de rappel dès la conception (modularité, traçabilité des lots)
  • Ne jamais sous-estimer le pouvoir de destruction d’une agence réglementaire américaine
  • La réputation met des années à se construire et quelques semaines à s’effondrer

On a vu le même schéma avec Juicero, Theranos, ou plus récemment certains acteurs du scooter électrique. Le hardware est impitoyable : quand ça casse, ça casse vraiment.

Et maintenant ? Trois scénarios possibles

Scénario 1 – Le rachat au rabais : un concurrent (Trek, Specialized, ou même un acteur chinois) rachète les actifs, la base clients et les brevets pour une bouchée de pain, et enterre la marque Rad Power.

Scénario 2 – La liquidation pure et simple : fermeture en janvier, vente aux enchères des stocks, et des milliers de vélos orphelins sans support.

Scénario 3 – Le miracle de dernière minute : un investisseur accepte de mettre les dizaines de millions nécessaires pour financer le rappel et relancer l’entreprise sous conditions drastiques.

Franchement ? On parie plutôt sur les scénarios 1 ou 2.

Conclusion : la fin d’une ère pour le e-bike direct-to-consumer ?

L’histoire de Rad Power Bikes illustre parfaitement les excès et les désillusions du cycle 2020-2025 dans la mobilité électrique. Une croissance dopée à la pandémie, des valorisations absurdes, des compromis qualité, et enfin le retour de bâton réglementaire et financier.

Pour les entrepreneurs du secteur, le message est clair : la course au prix le plus bas a ses limites quand on manipule des bombes chimiques de 500 Wh sous la selle des clients. La prochaine vague de leaders de la micromobilité sera probablement européenne (avec des normes plus strictes) ou issue de grands groupes traditionnels du cycle qui n’ont pas sacrifié la sécurité sur l’autel de la croissance.

Quant aux consommateurs, cette affaire rappelle une règle d’or : dans le domaine des batteries lithium-ion, le pas cher finit souvent par coûter très cher. Parfois même une maison.

À bon entendeur.

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