Imaginez : vous lancez enfin votre startup IA en Californie, vous levez 15 millions, vous recrutez à tour de bras… et soudain l’État vous impose une batterie d’audits, de transparence et de tests de biais. Panique à bord ? C’est exactement ce cauchemar que la Silicon Valley tente d’éviter depuis deux ans. Hier, mercredi 3 décembre 2025, le Congrès américain vient de leur dire « non »… pour l’instant.
Une nouvelle tentative de glisser une interdiction décennale de toute régulation IA au niveau des États dans le grand projet de loi de défense (NDAA) a été rejetée. Résultat ? Les États gardent, pour le moment, leur pleine souveraineté pour légiférer sur l’intelligence artificielle. Et croyez-moi, ça change pas mal de choses pour tous les entrepreneurs du secteur.
Que s’est-il vraiment passé cette semaine ?
Le House Majority Leader Steve Scalise (républicain de Louisiane) a annoncé mardi que la mesure, pourtant soutenue ardemment par Donald Trump, ne figurerait pas dans le texte final du National Defense Authorization Act. Trop controversée, trop clivante, même au sein du parti républicain.
« Nous chercherons d’autres véhicules législatifs »
– Steve Scalise, cité par The Hill
Traduction : la bataille n’est que reportée. Un projet de décret exécutif fuité il y a quelques semaines laissait même entendre que l’administration Trump pourrait tenter de passer en force dès janvier 2026. Mais pour l’instant, le camp du « laissez-nous innover tranquilles » a perdu une manche importante.
Pourquoi la Silicon Valley veut absolument cette préemption fédérale
Le discours est rodé : 50 régulations différentes = cauchemar opérationnel. Une startup qui opère au Texas, en Californie et à New York devrait gérer trois cadres juridiques distincts, trois séries d’audits, trois définitions du « risque élevé ». Coût estimé par les lobbys tech ? Des centaines de millions de dollars par an pour l’écosystème.
Les arguments ne manquent pas :
- Fragmentation du marché intérieur américain
- Ralentissement de l’innovation face à la Chine
- Perte d’attractivité pour les talents étrangers
- Complexité juridique ingérable pour les PME et startups
Sam Altman (OpenAI), Elon Musk, Marc Andreessen… tous ont publiquement plaidé pour une régulation uniquement fédérale, voire pour une pause totale tant qu’il n’y a pas de loi nationale claire.
L’autre camp : « Sans les États, il n’y a plus aucun garde-fou »
En face, démocrates mais aussi certains républicains (notamment ceux sensibles aux questions de vie privée et de sécurité nationale) répliquent que le Congrès est incapable de bouger. Depuis 2020, plus de 700 projets de loi IA ont été déposés au niveau des États… et zéro loi fédérale significative n’a été votée.
Conséquence : ce sont les États qui comblent le vide.
Quelques exemples concrets déjà en vigueur ou en cours :
- Californie → SB 1047 (veto par Newsom, mais nouvelle version en préparation 2026)
- Colorado → Colorado AI Act (première loi complète dès 2026)
- New York → Stop Deepfakes Act & obligations de transparence
- Utah → Artificial Intelligence Policy Act (focus entreprises)
- Texas, Illinois, Washington → lois sur les deepfakes électoraux
Pour les défenseurs des droits numériques, bloquer ces initiatives reviendrait à offrir un chèque en blanc aux géants tech pendant encore des années.
Ce que cela signifie concrètement pour votre startup IA
À court terme : rien ne change. Vous devez toujours vous conformer aux lois déjà votées dans les États où vous opérez ou où vos utilisateurs résident.
À moyen terme (2026-2028) : préparez-vous à une probable explosion de régulations locales. Les États les plus actifs (Californie, Colorado, New York, Illinois) risquent de devenir les nouveaux « GDPR de l’IA » : même si vous n’êtes pas basé là-bas, vous devrez vous y conformer si vous touchez leurs résidents.
Conseils pratiques dès aujourd’hui :
- Cartographiez les États où vos utilisateurs sont majoritaires
- Mettez en place un « AI Governance Board » même si vous avez 30 salariés
- Anticipez les audits de biais et de sécurité (même si pas encore obligatoires partout)
- Préparez une documentation technique claire (model cards, datasheets, etc.)
- Envisagez une assurance cyber spécifique « risque IA »
Et si Trump passe en force par décret ?
Le scénario le plus redouté par les ONG : un executive order annulant ou limitant fortement le pouvoir des États. Possible juridiquement ? Oui, partiellement, via la « Supremacy Clause ». Mais cela déclencherait immédiatement une pluie de recours devant la Cour suprême.
Scénario plus probable : Trump pousse pour une loi fédérale légère (style « American AI Initiative 2.0 ») en échange de l’abandon des initiatives locales. Un compromis à la sauce « innovation first, safety… maybe later ».
Leçons à retenir pour tout fondateur tech
Cette séquence nous rappelle une vérité brutale : en 2025, la politique américaine pèse plus lourd sur votre roadmap produit que vos dernières métriques d’engagement.
Les entrepreneurs qui réussiront demain ne seront pas seulement ceux qui codent le mieux, mais ceux qui sauront intégré la dimension réglementaire dès le seed. L’IA n’est plus un playground technique, c’est devenu un champ de bataille politique et juridique.
Alors oui, la tentative de blocage a échoué… pour l’instant. Mais le message est clair : préparez-vous à un monde où l’IA sera régulée, et probablement par ceux qui vous connaissent le moins (les législateurs locaux). L’avantage ? Ceux qui sauront transformer ces contraintes en avantage compétitif (transparence comme argument de vente, sécurité comme moat) domineront le marché de demain.
La partie ne fait que commencer.






