Imaginez une femme capable de transformer un fonds de venture capital, souvent moqué pour ses batailles judiciaires sur l’accès aux plages, en l’un des noms les plus respectés du monde de l’intelligence artificielle. C’est exactement ce qu’a réalisé Shernaz Daver en seulement cinq ans chez Khosla Ventures. Aujourd’hui, elle annonce son départ. Et quand quelqu’un qui a été en avance sur absolument toutes les grandes vagues tech depuis trente ans décide de passer à autre chose… on écoute.
Une trajectoire qui sent le « next big thing » à des kilomètres
Shernaz Daver possède un radar presque surnaturel pour détecter les tendances avant qu’elles n’explosent. Relisez son CV et vous comprendrez pourquoi son départ fait trembler Sand Hill Road :
- Inktomi pendant les guerres des moteurs de recherche (valorisation à 37 milliards avant l’éclatement de la bulle)
- Netflix à l’époque où commander des DVD par la poste faisait rire tout le monde
- Walmart quand il fallait rattraper Amazon sur le terrain tech
- Guardant Health pour démocratiser les biopsies liquides (avant que Theranos ne salisse le secteur)
- Et maintenant Khosla Ventures, devenu en quelques années l’un des trois fonds systématiquement cités quand on parle d’IA de pointe
Chaque fois, elle arrive juste avant que la vague ne devienne évidente pour le grand public. Son départ soulève donc une question brûlante : quelle sera la prochaine vague qu’elle va chevaucher ?
Comment elle a fait de Khosla Ventures la référence IA
Quand Shernaz arrive en 2020, Khosla Ventures traîne une image un peu… particulière. Vinod Khosla est connu, certes, mais plus pour ses prises de position radicales et ses procès que pour ses deals. Cinq ans plus tard, dès qu’on parle d’investisseurs précoces dans l’IA générative, trois noms reviennent : Sequoia, a16z… et Khosla.
« Un fonds de VC n’a pas de produit. Le produit, c’est les gens. »
– Shernaz Daver
Partant de ce constat brutal, elle a tout misé sur trois piliers :
1. Trouver l’essence et la matraquer sans relâche
Le fonds avait déjà une devise interne : « bold, early, impactful ». Shernaz l’a transformée en mantra public, placardé partout, répété jusqu’à l’épuisement.
2. Prouver le « early » avec des faits irréfutables
Son coup de génie ? Obtenir l’accord de Sam Altman pour communiquer officiellement que Khosla Ventures était le tout premier investisseur institutionnel dans OpenAI. Résultat : aujourd’hui, dès que Vinod monte sur scène, la première phrase des présentateurs est presque toujours « the first investor in OpenAI ».
Elle a reproduit la recette avec Square, DoorDash, et d’autres pépites du portfolio. Deux ans et demi de travail acharné pour que le message colle. « Dans le VC, ça va vite pour nous, mais c’est déjà énorme », explique-t-elle.
La leçon que tous les founders devraient tatouer sur leur front
La phrase que Shernaz répète le plus souvent aux entrepreneurs qu’elle coache :
« Vous êtes au kilomètre 23, le reste du monde est au kilomètre 5. Répétez, répétez, répétez encore. »
– Shernaz Daver
Les founders détestent répéter. Ils sont déjà passés à la prochaine fonctionnalité, au prochain pivot. Mais le monde extérieur, lui, a besoin de temps pour intégrer le message. C’est pourquoi les meilleurs storytellers (pensez à Steve Jobs et son « one more thing ») martèlent inlassablement la même idée simple.
L’exercice de l’égalité qui vaut de l’or
Shernaz impose à toutes les sociétés qu’elle accompagne un exercice redoutable :
Elle dessine un signe « = » et demande :
« Quand je dis “moteur de recherche”, vous répondez ? » → Google
« Quand je dis “e-commerce”, vous répondez ? » → Amazon
« Quand je dis “fusion nucléaire”, vous voulez que je réponde ? » → Commonwealth Fusion Systems (portfolio KV)
« Quand je dis “coding avec IA”, vous voulez que je réponde ? » → Replit
Cet exercice de category ownership est brutalement efficace. Il force les équipes à cristalliser leur positionnement en une association immédiate et incontestable.
Pourquoi le “go direct” est une erreur fatale en early-stage
Ces dernières années, certains gourous conseillent aux startups de zapper la presse et d’aller « direct to consumer » sur Twitter ou TikTok.
Shernaz, elle, est formelle :
« Vous venez de lever une seed, personne ne vous connaît, et vous voulez “go direct” ? Mais personne ne vous entendra, vous n’existez même pas encore ! »
– Shernaz Daver
Sa métaphore est parfaite : c’est comme emménager dans un nouveau quartier et exiger d’être invité au barbecue du voisinage le premier soir. La presse traditionnelle (TechCrunch, The Information, etc.) reste le meilleur ticket d’entrée pour crédibiliser une jeune pousse et lui donner une existence publique.
Ensuite, bien sûr, on complète avec podcasts, vidéos, events, réseaux sociaux. « Chaque canal est une arme différente : infanterie, cavalerie… Il faut tout orchestrer pour devenir le gorille de la catégorie. »
Twitter, cette machine à polémiques
Shernaz a une vision très lucide de X/Twitter :
« C’est un bumper sticker : vous avez 280 caractères pour être le plus bruyant possible. »
Elle distingue clairement :
- Le compte corporate Khosla Ventures → elle le pilote à la virgule près
- Le compte personnel de Vinod Khosla → liberté totale tant que ça ne nuit pas au fonds
Sa règle d’or : vous pouvez parler du match de foot de vos enfants, mais jamais de haine ou de politique toxique. Le reste ? C’est la liberté d’expression.
Le moment où Steve Jobs l’a incendiée (et pourquoi elle en rêve encore)
Petite anecdote savoureuse : au début de sa carrière, Shernaz se retrouve dans une salle avec Steve Jobs pour présenter le marketing du processeur Motorola 68040.
Jobs arrive avec 45 minutes de retard et balance :
« Vous avez fait un travail épouvantable sur le marketing du 68040. »
Elle se défend, explique tout ce qu’ils ont fait. Jobs : « Non, vous n’avez rien compris. » Personne ne la soutient.
Et pourtant… elle avoue encore aujourd’hui qu’elle aurait tout donné pour travailler avec lui. Preuve que les grands leaders, même (surtout) quand ils sont durs, marquent à vie.
Ce que son départ nous dit sur la prochaine vague
Officiellement, Shernaz reste discrète : « différentes opportunités ». Mais son historique parle pour elle.
Elle a été :
- tôt sur la recherche (Inktomi)
- tôt sur le streaming (Netflix)
- tôt sur la génomique (Guardant, 10x Genomics)
- tôt sur l’IA générative (Khosla Ventures)
Quel sera le prochain domaine où son nom apparaîtra six mois avant que tout le monde n’en parle ? Énergie ? Défense ? Biologie synthétique ? Robotique humanoïde ? On parie que ça vaudra le détour.
Les 7 leçons marketing à retenir de Shernaz Daver
Pour conclure, voici les principes que tout founder, CMO ou investisseur devrait encadrer au-dessus de son bureau :
- Vous êtes toujours au kilomètre 23 – répétez votre message jusqu’à l’écoeurement
- Un VC n’a pas de produit, il EST le produit – misez tout sur les gens et leur récit
- Own the = – devenez la réponse évidente à une catégorie
- Le “first investor” est une arme nucléaire – si vous l’êtes, communiquez-le dès le jour 1
- La presse reste le ticket d’entrée – le “go direct” sans légitimité est du bruit
- Orchestrez tous les canaux – média, events, social, podcasts : tout doit converger
- L’authenticité paie toujours – préférez un leader qui parle vrai (même cash) à un script corporate lisse
Shernaz Daver quitte Khosla Ventures en laissant derrière elle un fonds transformé et des leçons qui vaudront de l’or pour la prochaine génération de builders. À suivre de très près : là où elle posera ses valises ensuite, il y a fort à parier que l’histoire s’écrira en majuscules.






