En 2019, lorsque Elon Musk dévoilait Dojo, un superordinateur censé révolutionner l’intelligence artificielle (IA) pour Tesla, l’enthousiasme était palpable. Promis comme le moteur des ambitions de conduite autonome et de robotique, Dojo devait transformer Tesla en un géant de l’IA, bien au-delà de son image de constructeur automobile. Pourtant, en août 2025, Tesla a brutalement mis fin à ce projet, dissolvant l’équipe et abandonnant un rêve technologique audacieux. Comment un projet aussi prometteur a-t-il pu s’effondrer si rapidement ? Cet article explore l’ascension fulgurante et la chute inattendue de Dojo, tout en analysant ce que cela révèle sur les défis de l’innovation dans l’IA et les stratégies de Tesla.
Dojo : Une Vision Ambitieuse pour l’IA
Lancé avec l’idée de propulser Tesla à la pointe de l’intelligence artificielle, Dojo visait à devenir un superordinateur dédié à l’entraînement des réseaux neuronaux pour la conduite autonome. Contrairement aux approches traditionnelles des véhicules autonomes, qui combinent capteurs comme le lidar et le radar, Tesla a misé sur une stratégie vision-only, basée uniquement sur des caméras et des algorithmes avancés. Cette approche nécessitait une puissance de calcul colossale pour traiter des millions de kilomètres de données vidéo collectées par les véhicules Tesla à travers le monde.
Dojo promettait d’être le cœur de cette révolution. Conçu pour optimiser l’entraînement des modèles d’IA, il devait permettre à Tesla d’atteindre la conduite entièrement autonome (Full Self-Driving, ou FSD) et de lancer un service de robotaxi. Mais au-delà des voitures, Dojo ambitionnait de soutenir d’autres projets, comme le robot humanoïde Optimus, renforçant la vision de Musk selon laquelle Tesla est avant tout une entreprise d’IA.
« Tesla n’est pas seulement un constructeur automobile, c’est une entreprise d’IA qui repousse les limites de la perception humaine. »
– Elon Musk, PDG de Tesla
Pourquoi Tesla Avait Besoin de Dojo
La stratégie de Tesla repose sur l’idée de reproduire numériquement le cortex visuel humain. Pour y parvenir, l’entreprise collecte des quantités massives de données vidéo issues de ses véhicules. Ces données, combinées à des millions de simulations, servent à entraîner les réseaux neuronaux qui alimentent le système FSD. Cependant, traiter ces volumes de données nécessite une infrastructure informatique exceptionnelle.
Un superordinateur comme Dojo se compose de milliers de nœuds informatiques, chacun équipé de processeurs centraux (CPU) et de processeurs graphiques (GPU). Ces derniers sont essentiels pour les tâches d’apprentissage automatique, comme l’entraînement des modèles d’IA. Bien que Tesla ait utilisé des GPU Nvidia, l’entreprise souhaitait réduire sa dépendance envers ce fournisseur en développant ses propres puces, les D1, optimisées pour ses besoins spécifiques.
Les avantages attendus de Dojo incluaient :
- Une réduction des coûts par rapport aux GPU Nvidia, coûteux et très demandés.
- Une meilleure efficacité grâce à des puces sur mesure pour l’IA de Tesla.
- La possibilité de créer un modèle économique basé sur la location de capacités de calcul, similaire à AWS.
Les Puces D1 : Le Cœur de Dojo
En 2021, lors de l’AI Day de Tesla, la puce D1 a été présentée comme une innovation majeure. Fabriquée par TSMC avec une technologie de 7 nanomètres, cette puce de 645 mm² comptait 50 milliards de transistors, promettant une puissance et une efficacité exceptionnelles pour les tâches d’IA. Contrairement aux GPU standards, le D1 était conçu pour optimiser les flux de données et réduire les latences, des éléments cruciaux pour l’entraînement des réseaux neuronaux.
Tesla travaillait également sur une puce D2, qui aurait intégré un ensemble de tuiles Dojo sur une seule tranche de silicium, éliminant les goulots d’étranglement dans les transferts de données. Cependant, malgré ces ambitions, le D1 n’a jamais atteint la puissance des puces Nvidia A100, et le D2 n’a jamais vu le jour.
« Les puces D1 étaient une tentative audacieuse de réinventer l’architecture pour l’IA, mais elles n’ont pas répondu aux attentes face à la concurrence. »
– Anand Raghunathan, professeur à l’Université Purdue
L’Abandon de Dojo : Une Décision Stratégique ?
En août 2025, Tesla a choqué le monde technologique en annonçant la fin de Dojo. L’équipe, dirigée par Peter Bannon, a été dissoute, et une partie des employés a quitté l’entreprise pour fonder DensityAI, une startup spécialisée dans les puces IA. Cette décision est survenue peu après un accord de 16,5 milliards de dollars avec Samsung pour produire la puce AI6, conçue pour alimenter à la fois le FSD, Optimus et les centres de données.
Elon Musk a justifié cette décision sur X, déclarant que Dojo était devenu une « impasse évolutionnaire ». Il a ajouté que l’AI6 représentait l’avenir, intégrant les leçons de Dojo dans une architecture plus polyvalente. Cette pivot stratégique a suscité des débats : certains y voient un aveu d’échec, tandis que d’autres estiment que Tesla a simplement choisi une voie plus pragmatique en s’appuyant sur des partenaires comme Nvidia, AMD et Samsung.
Les Limites de l’Approche de Dojo
Plusieurs facteurs expliquent l’échec de Dojo. Tout d’abord, la perte de talents clés, comme les 20 employés partis pour DensityAI, a fragilisé le projet. Ensuite, les puces D1, bien que prometteuses, n’ont pas atteint les performances des GPU Nvidia, qui dominent le marché de l’IA. De plus, l’approche vision-only de Tesla, bien que novatrice, repose sur une collecte massive de données, ce qui pose des défis économiques et techniques.
Anand Raghunathan, expert en informatique, souligne les limites de cette approche :
« Plus de données ne signifie pas toujours plus d’informations utiles. À un certain point, les coûts d’entraînement deviennent prohibitifs. »
– Anand Raghunathan
Enfin, le logiciel d’IA actuel est largement optimisé pour les GPU, ce qui aurait nécessité une réécriture complète pour fonctionner avec les puces Dojo, un défi technique colossal.
Cortex : Le Nouveau Pari de Tesla
Alors que Dojo disparaît, Tesla mise désormais sur Cortex, un nouveau supercluster d’entraînement IA basé à Austin. Déployé en 2024, Cortex utilise des GPU Nvidia H100 et H200, offrant une puissance de calcul équivalente à 67 000 H100. Ce cluster a déjà permis des avancées, notamment pour la version 13 du FSD. Cependant, il n’est pas clair si Cortex est un successeur direct de Dojo ou une solution temporaire.
Les principaux atouts de Cortex incluent :
- Une infrastructure éprouvée basée sur des GPU Nvidia.
- Une capacité de stockage massive pour les données vidéo.
- Une intégration rapide avec les projets existants de Tesla.
Les Leçons de l’Échec de Dojo
L’abandon de Dojo illustre les défis de l’innovation dans l’IA. Développer un superordinateur et des puces sur mesure est une entreprise risquée, même pour une entreprise comme Tesla. Les promesses non tenues, comme l’objectif de 100 exaflops de calcul pour octobre 2024, montrent que les ambitions de Musk dépassent parfois les réalités techniques.
Cet échec soulève également des questions sur la stratégie de Tesla. Alors que l’entreprise pivote vers des partenariats avec des géants comme Nvidia et Samsung, elle abandonne son rêve d’autonomie technologique. Cela pourrait réduire les coûts à court terme, mais limiter son contrôle sur l’avenir de l’IA.
Quel Avenir pour Tesla et l’IA ?
La fin de Dojo ne marque pas la fin des ambitions de Tesla dans l’IA. Avec Cortex et la puce AI6, l’entreprise continue de viser la conduite autonome et l’expansion de ses projets comme Optimus. Cependant, cet épisode rappelle que l’innovation technologique est semée d’embûches, même pour un visionnaire comme Musk.
Pour les entrepreneurs et les startups dans le domaine de l’IA, l’histoire de Dojo offre des leçons précieuses :
- Équilibrer ambition et réalisme : Les projets audacieux nécessitent des ressources et une exécution sans faille.
- Retenir les talents : La perte de personnel clé peut compromettre un projet.
- S’adapter au marché : S’appuyer sur des partenaires établis peut être plus efficace que tout réinventer.
En conclusion, l’échec de Dojo ne diminue pas la vision de Tesla, mais il met en lumière les défis de transformer une idée audacieuse en réalité. Alors que l’industrie de l’IA continue d’évoluer, Tesla devra naviguer avec agilité pour rester à la pointe. Pour les professionnels du marketing, des startups et de la technologie, cette histoire est un rappel que l’innovation nécessite non seulement des idées révolutionnaires, mais aussi une exécution stratégique et une adaptabilité constante.