Imaginez une plateforme sociale qui, après avoir écopé d’une lourde amende de 120 millions d’euros de la part de l’Union européenne, décide de riposter en désactivant purement et simplement le compte publicitaire de l’institution qui l’a sanctionnée. C’est exactement ce qui vient de se produire entre X (anciennement Twitter) et la Commission européenne. Ce nouveau bras de fer illustre parfaitement les tensions croissantes entre les géants du numérique et les régulateurs européens, dans un contexte où la transparence, la confiance des utilisateurs et la liberté d’expression sont au cœur des débats.
Une amende historique sous le Digital Services Act
Le 7 décembre 2025, la Commission européenne a infligé à X sa première sanction majeure au titre du Digital Services Act (DSA), un texte entré en vigueur en 2024 et destiné à encadrer les très grandes plateformes en ligne. Le montant de l’amende ? 120 millions d’euros (environ 140 millions de dollars). Une somme conséquente qui marque un tournant dans la régulation des réseaux sociaux.
Les griefs principaux portent sur deux points cruciaux :
- Le système de cochage bleu payant (blue checkmark), jugé trompeur car il ne garantit plus une vérification d’identité réelle mais simplement un abonnement payant. Selon Bruxelles, cela expose les utilisateurs à des risques d’usurpation d’identité et d’arnaques.
- Le répertoire publicitaire de la plateforme, qui ne respecte pas les exigences de transparence et d’accessibilité imposées par le DSA.
La Commission a donné à X un délai de 60 jours pour corriger les problèmes liés aux badges bleus et 90 jours pour ceux concernant la publicité. À défaut, de nouvelles sanctions pourraient suivre.
« Le système de vérification payante de X est trompeur et expose les utilisateurs à des risques d’usurpation d’identité et d’arnaques. »
– Commission européenne
La réponse musclée d’Elon Musk et de Nikita Bier
La réaction d’Elon Musk n’a pas tardé. Le propriétaire de X a qualifié l’amende de « bullshit » sur sa propre plateforme et a même lancé : « How long before the EU is gone? AbolishTheEU ». Des propos qui montrent à quel point le milliardaire considère cette régulation comme une atteinte à la liberté d’expression et à la souveraineté des entreprises américaines.
Mais le coup le plus spectaculaire est venu de Nikita Bier, Head of Product chez X. Le dimanche suivant l’annonce de l’amende, il a publié un long thread dans lequel il accuse directement la Commission européenne d’avoir abusé du système publicitaire de la plateforme.
Selon Bier, le compte publicitaire de la Commission était dormant depuis octobre 2023 (date à laquelle Bruxelles avait suspendu ses campagnes payantes sur X). Pourtant, l’institution aurait utilisé un outil interne appelé « Ad Composer » pour publier un post contenant un lien déguisé en vidéo, augmentant artificiellement sa portée sans payer.
« Il semble que vous pensiez que les règles ne s’appliquent pas à votre compte. En conséquence, nous avons terminé votre compte publicitaire. »
– Nikita Bier, Head of Product chez X
Bier a ajouté que cette faille avait été immédiatement corrigée et n’avait jamais été exploitée à ce niveau auparavant.
Un conflit qui dépasse la simple amende
Ce qui se joue ici va bien au-delà d’une simple sanction financière. Il s’agit d’un véritable bras de fer idéologique et stratégique entre deux visions opposées du numérique :
- D’un côté, l’Union européenne qui cherche à imposer des règles strictes pour protéger les citoyens et garantir la transparence des grandes plateformes.
- De l’autre, Elon Musk et X, qui défendent une approche plus libertaire, où la modération est minimale et où la liberté d’expression prime sur la régulation.
Pour les professionnels du marketing, des startups et des entreprises actives sur les réseaux sociaux, cette affaire soulève des questions cruciales :
- Comment adapter sa stratégie de communication digitale face à une régulation européenne de plus en plus stricte ?
- Quelles sont les alternatives viables à X si la plateforme devient trop risquée ou instable ?
- Comment maintenir la transparence publicitaire tout en préservant l’efficacité des campagnes ?
Les implications pour les annonceurs et les marques
Pour les entreprises qui utilisent X comme canal publicitaire, cet épisode est un signal d’alerte. La suspension du compte publicitaire de la Commission européenne montre que la plateforme est prête à sanctionner même les institutions les plus puissantes si elle estime que ses règles ont été enfreintes.
Les annonceurs doivent désormais être particulièrement vigilants sur plusieurs points :
- Respect strict des conditions d’utilisation de la plateforme, surtout en matière de publicité.
- Anticipation des évolutions réglementaires européennes qui pourraient impacter leurs campagnes.
- Diversification des canaux publicitaires pour limiter les risques liés à une seule plateforme.
De plus, l’affaire met en lumière la fragilité de l’écosystème publicitaire sur les réseaux sociaux : une simple modification des règles ou un conflit avec un régulateur peut avoir des conséquences immédiates sur la visibilité et les performances des campagnes.
Le rôle du DSA dans la régulation des Big Tech
Le Digital Services Act représente une véritable révolution dans la manière dont l’Europe encadre les plateformes numériques. Parmi ses principales obligations pour les très grandes plateformes (comme X, Meta, Google, TikTok, etc.) :
- Une transparence accrue sur les algorithmes de recommandation et sur les publicités.
- La lutte contre les contenus illicites et la désinformation.
- La protection des mineurs et des utilisateurs vulnérables.
- Des mécanismes de recours efficaces pour les utilisateurs.
Avec cette première amende, la Commission montre qu’elle n’hésite pas à appliquer concrètement ces règles, même contre une entreprise dirigée par l’une des personnalités les plus influentes de la tech.
Vers une escalade ou une négociation ?
La désactivation du compte publicitaire de la Commission européenne pourrait être perçue comme une provocation. Pourtant, du côté de Bruxelles, le discours reste mesuré. Un porte-parole a déclaré que la Commission « utilise toujours les plateformes en toute bonne foi » et qu’elle s’attend à ce que les outils proposés respectent à la fois les conditions d’utilisation et le cadre légal européen.
Il est probable que des discussions en coulisses soient déjà en cours pour trouver une sortie de crise. X a tout intérêt à éviter une nouvelle sanction, tandis que la Commission doit maintenir sa crédibilité sans pour autant fermer complètement la porte au dialogue.
Ce que les entrepreneurs et marketeurs doivent retenir
Pour les startups, les PME et les grandes entreprises qui utilisent les réseaux sociaux comme levier de croissance, cet épisode est riche d’enseignements :
- La régulation européenne n’est plus une menace lointaine : elle s’applique déjà et les sanctions sont réelles.
- La transparence est devenue incontournable : que ce soit pour les publicités ou les systèmes de vérification, les plateformes doivent désormais rendre des comptes.
- La diversification des plateformes reste la meilleure stratégie : dépendre trop d’un seul réseau social expose à des risques importants.
- La relation avec les régulateurs peut tourner à l’avantage : les entreprises qui adoptent une posture proactive et transparente ont souvent plus de marge de manœuvre.
En conclusion, ce conflit entre X et la Commission européenne n’est que le début d’une série de confrontations qui façonneront l’avenir du numérique en Europe. Pour les professionnels du marketing, des startups et des technologies, il est temps de s’adapter à un environnement où la liberté d’expression, la transparence et la protection des utilisateurs sont devenues des impératifs non négociables.
Restez vigilants : les prochains mois promettent d’être riches en rebondissements dans ce domaine.






