11x : La Startup Qui Trompe Sur Ses Clients Et Son Succès

Imaginez une startup qui promet de révolutionner les ventes grâce à l’intelligence artificielle, lève des millions auprès de géants comme Andreessen Horowitz et Benchmark, et s’installe au cœur de la Silicon Valley. Sur le papier, tout semble parfait. Mais que se passe-t-il quand les apparences cachent une réalité bien plus sombre ? C’est l’histoire de 11x, une entreprise qui, derrière ses prétentions de succès fulgurant, a bâti une façade fragile faite de clients fictifs, de chiffres gonflés et d’une culture interne toxique. Dans cet article, plongeons dans les coulisses de cette startup qui a su séduire les investisseurs, mais pas ses utilisateurs, et analysons ce que cela révèle sur les promesses parfois trompeuses de l’IA dans le monde des affaires.

Une ascension fulgurante… en apparence

Lancée en 2022 par Hasan Sukkar, 11x s’est rapidement imposée comme une étoile montante dans le domaine des **AI SDR** (*sales development representatives* automatisés par l’IA). Avec un produit censé identifier des prospects, rédiger des messages personnalisés et planifier des appels, la startup a attiré l’attention des investisseurs. En deux ans seulement, elle revendiquait près de 10 millions de dollars de revenus récurrents annuels (ARR), un déménagement de Londres à la Silicon Valley en juillet dernier, et deux levées de fonds impressionnantes : 24 millions de dollars en Series A avec Benchmark, suivis de 50 millions en Series B menés par Andreessen Horowitz. Mais cette croissance spectaculaire cachait des failles majeures.

Des sources internes – investisseurs, employés actuels et anciens – ont révélé une situation bien moins reluisante. Loin d’être une success story, 11x aurait construit son image sur des bases instables, au point que des rumeurs évoquent une possible action en justice de la part d’Andreessen Horowitz (bien que démentie par le fonds). Alors, que s’est-il vraiment passé ?

Des clients affichés… qui n’en sont pas

Dans le monde des startups, afficher des logos de clients prestigieux sur son site est une stratégie courante pour inspirer confiance. Mais chez 11x, cette pratique a pris une tournure problématique. Plusieurs entreprises, dont ZoomInfo et Airtable, ont découvert avec stupeur que leur nom était utilisé sans leur consentement, alors qu’elles n’étaient pas clientes.

« Nous n’avons jamais autorisé 11x à utiliser notre logo, et nous ne sommes pas clients. »

– Porte-parole de ZoomInfo

ZoomInfo, par exemple, n’a testé le produit que pendant un mois, de mi-janvier à mi-février, avant de le rejeter pour des performances décevantes. Pourtant, dès novembre, 11x le présentait comme un client sur divers canaux – site web, appels de vente, et même via son agent téléphonique IA. Airtable, de son côté, a effectué un essai rapide fin 2023, sans jamais adopter la solution. Malgré cela, leur logo est resté affiché jusqu’à récemment, et leur nom figurait encore dans le manifeste de l’entreprise mi-mars.

Face à ces accusations, 11x a plaidé l’erreur humaine, affirmant avoir retiré les références litigieuses dès qu’on le leur a signalé. Mais pour ZoomInfo, le mal était fait : leurs avocats envisagent une action pour pratiques commerciales trompeuses et atteinte à la marque. Cette polémique soulève une question cruciale pour les entrepreneurs et marketeurs : jusqu’où peut-on aller pour embellir son image sans franchir la ligne rouge ?

Un calcul créatif des revenus

Si les faux clients étaient un problème, la manière dont 11x calculait ses revenus récurrents annuels (ARR) l’était tout autant. Selon des employés, la startup utilisait une méthode dite de **contracted ARR (CARR)**, qui comptabilisait les contrats signés sur un an, même pour des clients en période d’essai avec une clause de sortie à trois mois. Une fois cette période passée, beaucoup choisissaient de partir, mais les chiffres, eux, restaient inchangés.

Un exemple concret ? Un employé estime que sur 14 millions de dollars d’ARR revendiqués, seuls 3 millions provenaient de clients réellement engagés au-delà des trois mois. Cette pratique, bien que techniquement légale, peut tromper les investisseurs si elle n’est pas accompagnée d’une transparence sur le **churn** (taux de désabonnement), qui atteignait, selon certains, 70 à 80 %.

  • Contrats d’un an avec clause de sortie à trois mois.
  • ARR calculé sur la durée totale, même pour les essais.
  • Churn massif non reflété dans les rapports publics.

11x se défend en affirmant que ses investisseurs connaissaient cette méthode et avaient accès aux données lors de leurs audits. Mais pour les experts en venture capital, omettre de préciser ces détails est un drapeau rouge. Dans un secteur où la **croissance rapide** est reine, cette créativité comptable interroge sur la viabilité à long terme.

Un produit qui ne tient pas ses promesses

Pourquoi autant de clients ont-ils quitté le navire ? La réponse réside en grande partie dans le produit lui-même. Conçu pour automatiser les tâches de prospection, l’outil d’11x a souvent déçu. Hallucinations de l’IA, emails mal rédigés, voire un logiciel qui refusait de charger : les plaintes étaient nombreuses.

Un ancien ingénieur va jusqu’à dire que « les produits fonctionnent à peine », obligeant les utilisateurs à vérifier et corriger manuellement les résultats – un comble pour une solution censée faire gagner du temps. Certains clients espéraient remplacer des équipes entières de vendeurs, mais les résultats étaient loin des promesses vendues par les commerciaux d’11x, qui annonçaient une explosion des rendez-vous et démos en quelques mois.

« Les résultats réels des emails automatisés par rapport aux réunions bookées étaient décevants. »

– Témoignage d’un client anonyme

11x rejette une partie de la faute sur les attentes irréalistes des clients et insiste sur le fait que la performance dépend des données fournies par l’utilisateur. Mais pour beaucoup, le problème venait aussi d’un manque de fiabilité intrinsèque, renforçant l’idée que l’IA, malgré son potentiel, n’est pas encore prête à remplacer totalement l’humain dans des domaines aussi stratégiques que la vente.

Une culture interne sous pression

Si les clients ont fui, les employés n’ont pas été en reste. Sous la direction de Hasan Sukkar, l’ambiance chez 11x était décrite comme oppressante, même pour les adeptes de la *hustle culture*. Semaines de 60 heures minimum, disponibilité constante exigée, et messages urgents à 3 heures du matin : le rythme était infernal.

Les témoignages abondent : Sukkar critiquait publiquement les employés sur Slack, menaçait de licenciement ceux qui s’exprimaient, et refusait les congés. Résultat ? Un turnover massif. Sur les premiers employés présents au lancement, seul Sukkar reste aujourd’hui. Le déménagement de Londres à San Francisco a accentué cette hémorragie, beaucoup refusant de suivre.

Certains anciens collaborateurs attendent encore des arriérés de salaire, tandis que les actuels synchronisent leurs démissions avec les jours de paie pour éviter les impayés. Une culture d’entreprise aussi extrême pose une question clé : peut-on bâtir une startup durable sur le dos d’employés épuisés ?

Que retenir de l’affaire 11x ?

L’histoire d’11x est un avertissement pour les entrepreneurs, marketeurs et investisseurs. Dans un monde où l’**IA** est vantée comme la solution miracle, elle montre que la technologie seule ne suffit pas. Voici les leçons à tirer :

  • **Transparence avant tout** : gonfler ses chiffres ou ses références peut séduire à court terme, mais ruine la crédibilité sur le long terme.
  • **Produit solide requis** : une IA mal calibrée ou instable ne remplacera pas une équipe humaine compétente.
  • **Éthique et culture** : une entreprise ne prospère pas en sacrifiant ses employés ou en trompant ses partenaires.

Pour les professionnels du marketing et des startups, cette affaire rappelle l’importance d’aligner promesses et réalité. Dans un secteur aussi compétitif que la tech, la confiance reste le véritable moteur de la croissance. Quant à 11x, son avenir dépendra de sa capacité à redresser la barre – tant sur le plan technique qu’éthique. Une chose est sûre : cette saga n’a pas fini de faire parler d’elle.

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