Et si une géante de l’automobile décidait de jouer les pionniers dans l’ombre ? Depuis 16 mois, un fonds d’investissement discret, baptisé Leitmotif, injecte des millions dans des startups prometteuses, avec une mission claire : accélérer la décarbonation. Surprise : derrière cette initiative se cache le titan allemand Volkswagen. Loin des projecteurs, ce fonds de 300 millions de dollars, entièrement financé par le groupe, mise sur des entreprises qui pourraient redéfinir notre avenir énergétique, des camions électriques aux réacteurs à fusion nucléaire. Mais pourquoi ce secret, et surtout, que peut-on attendre de cette stratégie audacieuse ? Plongeons dans cette aventure transatlantique qui mêle business, technologie et ambition écologique.
Une ambition discrète mais colossale
Lorsqu’on pense à Volkswagen, on imagine des usines gigantesques et des voitures emblématiques. Pourtant, depuis fin 2023, le groupe a choisi une voie inattendue : financer un fonds de capital-risque, Leitmotif, sans tambour ni trompette. Avec 300 millions de dollars en poche, ce fonds a déjà soutenu une vingtaine de startups, ciblant des secteurs aussi variés que les véhicules électriques (EV), les batteries recyclées ou encore l’espace. Pendant des mois, Leitmotif a cultivé le mystère, se contentant de parler d’« intérêts industriels européens » comme source de financement. Aujourd’hui, le voile est levé : Volkswagen est l’unique commanditaire, et ses ambitions vont bien au-delà d’un simple coup marketing.
Ce choix stratégique intrigue. Pourquoi une entreprise qui génère des centaines de milliards d’euros par an se tourne-t-elle vers le monde risqué des startups ? La réponse tient en deux mots : profit et innovation. Leitmotif ne se contente pas de saupoudrer des fonds pour verdir l’image de Volkswagen ; il vise à devenir une machine à cash tout en identifiant des technologies disruptives qui pourraient, à terme, intégrer l’écosystème du géant automobile.
Un pont entre l’Europe et les États-Unis
À la tête de Leitmotif, deux figures complémentaires : Matt Trevithick, un vétéran du capital-risque américain, et Jens Wiese, ex-responsable des fusions-acquisitions chez Volkswagen. Leur objectif ? Construire un pont transatlantique entre l’industrie européenne et l’écosystème d’innovation américain. Environ 70 % des investissements sont destinés aux États-Unis, où les startups technologiques foisonnent, tandis que 30 % ciblent l’Europe, un marché plus conservateur mais riche en savoir-faire industriel.
« Nous voulons créer un lien entre l’establishment industriel européen et l’écosystème d’innovation américain. »
– Jens Wiese, co-fondateur de Leitmotif
Cette stratégie géographique n’est pas anodine. Dans un contexte de tensions géopolitiques – notamment sous l’administration Trump – et de ralentissement des financements pour les startups hardware, Leitmotif mise sur une complémentarité : la puissance industrielle de l’Europe alliée à la créativité débridée des États-Unis. Une alliance qui pourrait s’avérer gagnante à long terme.
Décarbonation : le fil rouge de Leitmotif
Si Leitmotif se distingue, c’est par son focus implacable sur la décarbonation. Le fonds ne se limite pas aux véhicules électriques classiques. Son portefeuille inclut des acteurs comme Redwood Materials, qui recycle les batteries, Stoke Space, qui développe des fusées réutilisables, ou encore Syre, une startup du polyester circulaire. Plus audacieux encore, Leitmotif a investi dans quatre entreprises de fusion nucléaire, une technologie encore expérimentale mais potentiellement révolutionnaire pour produire une énergie propre et illimitée.
Pour Trevithick, cette diversification n’est pas un pari hasardeux, mais une vision pragmatique :
« La technologie a toujours été un moteur du progrès humain, et les États-Unis sont sur le point de l’accélérer. »
– Matt Trevithick, co-fondateur de Leitmotif
En clair, Leitmotif ne cherche pas seulement à résoudre les problèmes d’aujourd’hui – comme l’électrification des transports – mais aussi à anticiper les marchés de demain, ceux qui émergeront dans les années 2030.
Un modèle économique avant tout
Attention, Leitmotif n’est pas une œuvre caritative. Volkswagen a fixé une priorité claire : générer des profits. « C’est ainsi que l’industrie tient les comptes », explique Wiese. Sur les quelque 100 millions de dollars déjà déployés, chaque investissement est scruté pour son potentiel de retour sur investissement. Prenons l’exemple de Harbinger, une startup de camions électriques dans laquelle Leitmotif a co-investi 100 millions de dollars en janvier dernier. Des discussions sont déjà en cours pour une collaboration avec la division poids lourds de Volkswagen.
Ce pragmatisme se reflète dans la répartition des fonds :
- 70 % pour des startups répondant à des besoins actuels dans des marchés de plus d’un milliard de dollars.
- 30 % pour des innovations révolutionnaires, capables de créer de nouveaux marchés d’ici 10 à 15 ans.
Cette approche équilibrée entre court et long terme fait de Leitmotif un acteur à part dans l’univers du venture capital.
Pourquoi investir dans un marché en crise ?
Lancer un fonds en pleine tempête économique peut sembler risqué. Fin 2023, les startups hardware et deep tech peinaient à lever des fonds, plombées par des taux d’intérêt élevés. Pourtant, pour Trevithick, c’était le moment idéal :
« C’est dans les marchés baissiers que les entreprises solides se démarquent des faibles. »
– Matt Trevithick
Alors que d’autres fonds se repliaient sur leurs portefeuilles existants, Leitmotif a saisi l’opportunité d’accéder à des pépites sous-évaluées. Résultat : une vague d’intérêt de la part de startups en quête de capitaux frais, un avantage compétitif dans un secteur où la concurrence est féroce.
Les hommes derrière la machine
Le succès de Leitmotif repose sur ses fondateurs. Jens Wiese apporte son expérience chez Volkswagen, où il a tissé un réseau impressionnant dans le monde du capital-risque. Matt Trevithick, lui, a fait ses armes chez Venrock, pariant tôt sur des entreprises comme Lucid Motors lors de la première vague de clean tech. Ensemble, ils combinent une connaissance fine de l’industrie et une vision audacieuse de l’investissement.
Leur passé n’est pas qu’un CV bien rempli : il leur donne une crédibilité immédiate auprès des entrepreneurs et des investisseurs. Wiese, par exemple, a siégé au conseil de QuantumScape, un pionnier des batteries, jusqu’en 2024, tandis que Trevithick a survécu au krach du clean tech des années 2010, une leçon précieuse pour naviguer dans l’incertitude actuelle.
Un avenir robotique et intelligent ?
Leitmotif ne compte pas s’arrêter là. Après ce premier fonds, Trevithick et Wiese lorgnent déjà sur de nouveaux horizons : la robotique et l’intelligence artificielle. Volkswagen aura la possibilité d’investir dans ces futurs fonds, mais Leitmotif reste indépendant, libre de tracer sa propre voie. Pour l’instant, l’objectif est de boucler ce premier cycle d’investissements, avec encore 200 millions de dollars à déployer.
Cette diversification montre une chose : Leitmotif ne se limite pas à la décarbonation. Il veut être un acteur global de l’innovation, capable de s’adapter aux tendances émergentes tout en restant ancré dans une logique de profitabilité.
Une industrie en mutation
Le contexte actuel est paradoxal. D’un côté, de nombreuses entreprises abandonnent leurs objectifs « net zéro » face aux réalités économiques. De l’autre, Trevithick voit dans cette volatilité une opportunité unique pour les startups et les VC comme Leitmotif :
« Un environnement instable favorise les entrepreneurs et les venture capitalists. »
– Matt Trevithick
Contrairement à la bulle clean tech des années 2010, qui s’est effondrée faute de maturité, le secteur bénéficie aujourd’hui de bases plus solides : technologies éprouvées, demande croissante et investisseurs plus sélectifs. Leitmotif en tire parti pour bâtir un portefeuille résilient, capable de prospérer quel que soit le « thème du jour ».
Et après ?
Leitmotif n’est pas qu’un fonds d’investissement ; c’est une vision. En liant l’expertise industrielle de Volkswagen à l’agilité des startups, il pourrait redéfinir la manière dont les géants collaborent avec les innovateurs. Pour les entrepreneurs, c’est une aubaine : un partenaire financier solide, avec un accès direct à l’un des plus grands acteurs mondiaux de l’automobile. Pour Volkswagen, c’est une porte vers l’avenir, une façon de rester pertinent dans un monde en pleine transition.
Alors, que retenir de cette aventure ? Voici les grandes lignes :
- Un fonds secret de 300 millions de dollars, entièrement financé par Volkswagen.
- Une mission double : rentabilité et innovation durable.
- Un pont transatlantique pour connecter deux mondes.
- Des paris audacieux sur la décarbonation et au-delà.
Dans un secteur où les promesses vertes s’effritent souvent, Leitmotif se pose en outsider pragmatique. Reste à voir si ce modèle hybride tiendra ses promesses – mais une chose est sûre : Volkswagen n’a pas fini de nous surprendre.