Imaginez un endroit où l’on peut quitter son job stable un vendredi, lancer sa startup le lundi et, même si tout échoue, ne jamais se retrouver à la rue. Cet endroit existe : ce sont les pays nordiques. Et en ce moment précis moment de 2025, cet écosystème explose littéralement, au point de faire pâlir certains hubs historiques comme Berlin ou Londres.
La semaine dernière, le légendaire festival Slush à Helsinki a une nouvelle fois prouvé que le vent du nord souffle plus fort que jamais. Parmi les stars du moment : Lovable, la pépite suédoise qui permet de créer des applications simplement en décrivant ce que l’on veut (le fameux « vibe-coding »). Mais derrière ce nom clinquant se cache une tendance de fond beaucoup plus profonde.
Un écosystème qui pèse déjà 500 milliards de dollars
Oui, vous avez bien lu. L’ensemble des startups nordiques (Suède, Danemark, Finlande, Norvège et Islande) est aujourd’hui valorisé à environ 500 milliards de dollars. En 2024 seulement, elles ont levé plus de 8 milliards de dollars en capital-risque, un chiffre qui place la région parmi les toutes premières d’Europe.
Pour mettre cela en perspective : c’est presque autant que la France et l’Allemagne réunies certaines années. Et pourtant, la population totale des cinq pays nordiques ne dépasse pas 27 millions d’habitants. On parle donc d’une densité de création de valeur absolument hallucinante.
Le secret numéro 1 : la sécurité sociale qui libère l’audace
Quand Dennis Green-Lieber, fondateur danois de Propane (une startup IA), explique le boom actuel, il commence toujours par la même chose :
« Ici, tu peux prendre des risques fous sans craindre de tout perdre. Si ton projet plante, tu gardes ton accès aux soins, ton chômage décent, et tu peux même toucher des aides pour relancer une nouvelle aventure. »
– Dennis Green-Lieber, fondateur de Propane
Ce filet de sécurité change tout le paradigme entrepreneurial. Aux États-Unis ou en Asie, l’échec peut signifier la ruine personnelle. En Scandinavie, l’échec est vu comme un badge d’expérience. Résultat : les fondateurs osent plus, plus tôt, et plus gros.
Une nouvelle génération de fondateurs ultra-ambitieux
Ce qui frappe tous les observateurs, c’est le changement de mentalité des nouvelles générations. Dennis le résume parfaitement :
« Les fondateurs d’aujourd’hui sont beaucoup plus bullishes. Ils prennent la pleine propriété de leur vision. En quinze ans dans l’écosystème, je n’ai jamais vu une énergie pareille. »
– Dennis Green-Lieber
Exit la modestie scandinave légendaire. Les nouveaux entrepreneurs nés après 1995 veulent construire des géants mondiaux dès le premier jour. Et ils le disent haut et fort.
L’explosion du deep tech et de l’intelligence artificielle
Les Nordiques ne font plus seulement des applications grand public sympas. Ils dominent désormais des secteurs ultra-techniques :
- Intelligence artificielle appliquée (Lovable, Propane, Sanity…)
- Énergie propre et cleantech (Northvolt valorisée 12 milliards)
- Healthtech de pointe (Oura Ring, Kry)
- Jeux vidéo (Supercell, Rovio, Mojang avant son rachat par Microsoft)
- Fintech de nouvelle génération (Klarna, Tink, Pleo)
La Suède à elle seule a produit plus de licornes par habitant que n’importe quel autre pays hors Silicon Valley.
Le rôle clé (et discret) des gouvernements nordiques
Contrairement à une idée reçue, l’État n’est pas absent. Au contraire :
- Le Danemark propose des prêts à taux zéro via Vækstfonden
- La Finlande finance massivement Tekes (devenu Business Finland)
- La Suède a créé Almi et plusieurs fonds souverains qui co-investissent
Ces aides publiques permettent souvent de boucler les premiers tours de table avant même l’arrivée des VC internationaux.
Les chiffres qui font tourner la tête en 2025
Petit florilège pour bien comprendre l’ampleur du phénomène :
- Stockholm est la 2ᵉ ville mondiale en nombre de licornes par habitant (derrière San Francisco)
- Helsinki produit plus de startups deep tech par habitant que Berlin
- 8,2 milliards $ levés en 2024 (+22 % vs 2023)
- Plus de 40 % des levées de fonds concernent l’IA ou le climat
- Spotify, Klarna, Skype, Minecraft, Candy Crush… toutes nées dans un rayon de 1000 km
Sommes-nous dans une bulle IA nordique ?
La question revient sans cesse. Dennis Green-Lieber reste pragmatique :
« Il y a évidemment des projets douteux qui se financent. Mais c’est le propre du venture : 90 % des paris sont perdants. L’important, c’est qu’il reste des opportunités énormes encore inexploitées en IA. »
Traduction : oui, il y a de l’écume. Mais le fond du mouvement est sain et durable.
Pourquoi ce boom arrive seulement maintenant ?
Plusieurs facteurs se sont alignés :
- La maturité des premières réussites (Spotify en 2006, Klarna en 2005, Supercell…) qui font effet boule de neige
- L’arrivée massive de talents formés dans les meilleures universités (KTH, Aalto, DTU)
- Le retour des expatriés de la Silicon Valley avec capitaux et expérience
- L’explosion de l’IA qui valorise particulièrement les ingénieurs logiciels (domaine où les Nordiques excellent)
Ce que les entrepreneurs français ou européens peuvent en retenir
Vous n’avez pas besoin de déménager à Stockholm demain (même si…). Mais quelques leçons universelles :
- Un bon filet social = plus d’audace entrepreneuriale
- Les success stories locales inspirent dix fois plus que celles lointaines
- L’État peut (et doit) jouer un rôle d’amorçage intelligent
- La patience paie : les Nordiques ont mis 15 ans à construire leur écosystème actuel
Et la suite ?
Tous les signaux sont au vert pour que les startups nordiques continuent leur ascension fulgurante en 2026 et au-delà. Les fonds souverains norvégiens et suédois disposent de liquidités colossales. Les universités sortent des promotions d’ingénieurs parmi les meilleures du monde. Et surtout, une nouvelle génération de fondateurs n’a plus peur de voir grand.
Le prochain Spotify ou Klarna est probablement en train de coder dans un coworking de Copenhague ou un sauna reconverti en bureau à Helsinki en ce moment même.
Le vent du nord n’a pas fini de souffler. Et cette fois, il pourrait bien emporter tout le vieux continent avec lui.







