Imaginez un instant un web sans Google. Plus de moteur de recherche Google, de navigateur Chrome, de Gmail, de Google Maps… L’internet serait indéniablement un endroit bien différent. Mais est-ce que ce changement aurait des implications juste sur l’utilité de ces services, ou bien quelque chose de plus profond ?
Des alternatives existent déjà
Bien sûr, il existe déjà des alternatives aux produits phares de Google. Vous pouvez utiliser DuckDuckGo pour vos recherches, le navigateur Brave, ProtonMail pour vos emails, OpenStreetMap à la place de Google Maps, et même une version web bêta d’Apple Plans. Tous ces services sont accessibles gratuitement.
Mais un web sans Google serait différent bien au-delà de la simple utilité de ces outils. Le vrai enjeu ici, c’est le modèle économique qui sous-tend la fourniture de ces services. Et l’opportunité, si on peut imaginer un web non dominé par Google, pour des modèles alternatifs qui privilégient les intérêts des utilisateurs, d’atteindre une masse critique et de prospérer.
Google, une « mission » qui cache un business model
Google aime à présenter sa « mission » comme étant « d’organiser l’information mondiale et de la rendre universellement accessible et utile ». Mais cette ambition grandiose a toujours été un cache-misère pour un business model qui consiste à faire d’énormes profits en organisant les données, en particulier celles sur les individus, pour vendre de la publicité ultra-ciblée.
Le pistage de l’activité des internautes alimente la capacité de Google à profiler la population en ligne et à tirer profit de services liés à la vente de publicité microtargeting. Ce qui lui rapporte des sommes colossales : Alphabet, la maison-mère de Google, a déclaré un chiffre d’affaires annuel de 307,39 milliards de dollars pour 2023, dont la grande majorité provient de la publicité.
- Publicités pay-per-click affichées sur la recherche Google ou YouTube
- Annonces display sur les sites des éditeurs partenaires
- Services publicitaires programmatiques, comme son Ad Exchange
- Plateforme pub pour applications mobiles
- Outils de gestion de campagnes, de marketing et d’analyse pour annonceurs
Tous ces flux de revenus convergent vers un seul point : Google. La vérité, c’est que Google rend vos informations « utiles » pour alimenter son propre chiffre d’affaires, car il est dans le business de la publicité.
Un pouvoir de marché lié aux données
Le pouvoir de marché de Google est intrinsèquement lié à sa détention d’une masse d’informations sur les intentions des utilisateurs, qui découle de sa domination de la recherche en ligne.
En Europe, Google détient plus de 90% de parts de marché sur la recherche. Aux États-Unis, Google a un peu moins mais reste ultra-dominant. Et surtout, sur mobile, Google a réussi à s’assurer que son moteur de recherche reste le choix par défaut sur iOS, la plateforme rivale d’Apple, en payant des milliards chaque année à la firme à la pomme pour ce placement.
Google verse environ 18 milliards de dollars par an à Apple, et partage plus d’un tiers des revenus publicitaires de la recherche sur Safari avec Apple
The New York Times
Ce deal est au cœur de la décision antitrust américaine estimant que Google opère un monopole illégal. En payant pour être le moteur par défaut sur iOS, Google a empêché les concurrents de développer leurs propres moteurs à une échelle suffisante pour rivaliser.
Si d’autres moteurs avaient une chance de gagner des utilisateurs sans que Google n’achète la place par défaut sur iOS, il y aurait une opportunité pour des concurrents pro-vie privée comme DuckDuckGo de toucher plus de monde et de gagner en dynamique pour des modèles alternatifs non basés sur le tracking.
L’enjeu des alternatives au modèle Google
On peut entrevoir un meilleur web possible dans certaines alternatives actuelles de qualité. La messagerie privée et sécurisée de Signal par exemple. Ou les outils de productivité respectueux de la vie privée de Proton (email, agenda, documents collaboratifs…).
Mais il est notable que ces deux acteurs ont dû se structurer en fondations à but non lucratif pour pouvoir continuer à fournir des produits gratuits et pro-utilisateurs, sans monétiser les données. Ce qui illustre la difficulté à prospérer face à la surveillance de masse qu’a installé Google.
Je crois que notre économie numérique peut s’améliorer. Pas parce que les géants de la tech vont volontairement changer leurs pratiques, ou que les marchés vont magiquement s’autoréguler. Mais parce qu’enfin, il y a un élan dans les gouvernements pour s’opposer à la surveillance sans contrôle.
Sam Levine, Directeur de la protection des consommateurs à la FTC
La décision de justice qualifiant Google de monopole pourrait être la première brique arrachée du mur de la surveillance. Si l’appel de Google échoue, et que des mesures sont prises pour démanteler le géant, son emprise sur les flux de données pourrait enfin être renversée, laissant au web la liberté de se réinventer.
Libéré de l’hégémonie de Google, c’est tout un écosystème d’acteurs – utilisateurs, startups, communautés – qui pourrait reprendre le contrôle du web, de ses modèles économiques et de ses priorités, pour construire un futur numérique plus équitable, éthique et respectueux de nos vies. Un web que l’on pourrait de nouveau rêver meilleur.