Dans un contexte où l’investissement dans les technologies agricoles se fait plus rare, CNH Industrial, géant mondial de l’équipement lourd, mise sur une stratégie audacieuse pour se tailler une place de choix. Retour sur le parcours de Michele Lombardi, vétéran de la firme qui a su bâtir en quelques années une équipe d’investissement et d’acquisition redoutable pour propulser l’innovation.
Un pari risqué dans l’agtech
Il y a cinq ans, alors que l’agtech était en plein boom, CNH Industrial peinait à s’imposer dans l’écosystème des startups malgré son envergure. La firme s’est alors tournée vers Michele Lombardi, l’un de ses cadres les plus chevronnés, pour relever ce défi titanesque. Membre de l’équipe « ceinture noire » forgeant des alliances au plus haut niveau, ce businessman italien plein de panache a dû repartir de zéro pour bâtir un réseau et un portefeuille d’investissements.
Quand nous avons commencé, nous savions que notre portée était très limitée. Nous n’avions pas de réseau.
– Michele Lombardi, CNH Industrial
Sa stratégie ? Aller directement à la rencontre des fonds de capital-risque, sachant que beaucoup cherchaient des débouchés pour leurs investissements dans les startups de l’agtech. Ces échanges ont ouvert de nouvelles connexions, permettant à son équipe – aujourd’hui forte de 14 personnes – de construire en quelques années ce pipeline qui faisait défaut.
12 deals en 5 ans, de l’IA aux tracteurs
Ce travail de fond a porté ses fruits avec pas moins de 12 transactions réalisées en 5 ans, dont 6 acquisitions et 6 prises de participations minoritaires. Un portefeuille très diversifié technologiquement, allant des logiciels de gestion agricole à l’imagerie par drone, en passant par la navigation par satellite et même les constructeurs de tracteurs.
Une réussite qui tombe à pic alors que comme dans de nombreux secteurs, les investissements dans l’agtech se font plus rares. Valorisations en berne, montants levés et sorties en recul… Autant d’opportunités pour des géants comme CNH Industrial de tirer leur épingle du jeu et de consolider leurs positions.
C’est en réalité un excellent moment pour être dans le corporate venture capital. C’est maintenant qu’on peut vraiment aider, être un bon partenaire. Il y a des opportunités phénoménales, beaucoup d’entrepreneurs inquiets. Et c’est le bon moment pour identifier de bonnes idées qui sont peut-être plus abordables.
– Michele Lombardi, CNH Industrial
L’homme de la situation
Pour tisser son réseau, Michele Lombardi s’est appuyé sur ses deux décennies d’expérience chez CNH Industrial à diriger diverses branches de cette multinationale tentaculaire, spécialisée dans les équipements agricoles et de construction.
Entré dans le groupe en pleine restructuration lors de la fusion de Case et New Holland, il a d’abord officié au sein de l’équipe de développement en Italie, un poste stratégique supervisant un vaste conglomérat allant de Fiat à Ferrari.
Au fil des années, il a ensuite managé les activités du groupe en Suisse, Thaïlande, Chine, Australie et Nouvelle-Zélande. Un parcours monde qui lui a permis de développer un éventail de compétences uniques, comme lorsqu’il a propulsé les opérations en Asie du Sud-Est de 40 à 400 millions de dollars.
Un bagage qui s’est avéré précieux en 2019 lorsqu’il a été rappelé à Chicago pour piloter l’équipe d’investissement et de M&A de CNH Industrial. Une mission taillée sur mesure pour ce fin stratège.
Une approche sur-mesure du corporate venturing
Côté investissements, Michele Lombardi souligne les spécificités du corporate venture capital par rapport au VC traditionnel :
Notre job n’est pas simplement d’investir et d’avoir un retour. Mon prisme est différent. J’investis dans des entreprises quand je pense qu’elles peuvent accélérer ma feuille de route technologique.
– Michele Lombardi, CNH Industrial
Avec 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, CNH Industrial peut se permettre d’être plus sélectif et de se projeter sur le long terme, un luxe que tous les investisseurs n’ont pas.
Sur le volet M&A, la clé est d’impliquer toutes les équipes internes dans l’évaluation des cibles pour challenger la pertinence des technologies et des produits. Une démarche collaborative qui exploite la présence mondiale du groupe pour repérer les pépites, bien en amont des processus classiques.
Nous avons une cartographie des startups existantes à différents niveaux de maturité avant même que les conseils ne viennent nous proposer quoi que ce soit. Nous allons spontanément à la rencontre des entrepreneurs pour comprendre ce qu’ils font.
– Michele Lombardi, CNH Industrial
Des échanges privilégiés qui peuvent déboucher sur des collaborations sans forcément mener à un investissement, mais qui permettent à CNH Industrial et son écosystème de développer sereinement des solutions innovantes.
Le regard dans les yeux, élément clé du deal
Pour jauger au mieux ses interlocuteurs, Michele Lombardi mise sur le contact direct, en personne ou par visio-conférence.
J’apprends beaucoup de ça, plus que du discours. Les entrepreneurs sont très doués pour me servir la présentation de 10 minutes. Ça ne m’intéresse pas vraiment. Je peux vous vendre n’importe quoi. Ce n’est pas ce que je veux. Je ne vais rien apprendre de ça.
– Michele Lombardi, CNH Industrial
Au-delà des mots, c’est l’attitude, la réaction aux questions, la capacité à s’ouvrir et montrer ses failles qui importent à ses yeux. Autant d’indices subtils qui lui permettent de déterminer avec qui il veut passer du temps et consacrer son énergie, une denrée précieuse vu le vivier de startups dans lequel il peut piocher.
Cap sur l’avenir de l’agriculture
Avec son équipe aguerrie et sa connaissance intime du paysage de l’agtech, Michele Lombardi compte bien surfer sur la vague de consolidation à venir pour dénicher les futures licornes du secteur. Un travail de longue haleine qui demande de la vision, du flair et une dose certaine d’audace, mais qui pourrait faire de CNH Industrial un acteur incontournable de la révolution agricole 4.0.
Une chose est sûre, ce géant de l’équipement lourd n’a pas fini de faire parler de lui et de bousculer les codes de l’innovation dans l’univers très traditionnel de l’agriculture. Une métamorphose fascinante qui promet de beaux jours aux exploitants agricoles du monde entier, à condition de trouver le bon partenaire pour prendre le virage du numérique. Michele Lombardi et son équipe sont prêts à relever le défi, et comptent bien moissonner les fruits de leur stratégie dans les années à venir.