Imaginez une ville entière qui s’allume d’un seul coup, nuit et jour, sans jamais dormir. C’est exactement ce qui est en train d’arriver avec les data centers dopés à l’intelligence artificielle. Selon le dernier rapport de BloombergNEF, la demande électrique des data centers va exploser de près de 300 % d’ici 2035. On passe de 40 GW aujourd’hui à 106 GW. Autrement dit, l’équivalent de la consommation électrique de plusieurs pays européens réunis. Et derrière ce chiffre vertigineux se cache une réalité brutale pour tous les entrepreneurs tech : l’IA a un appétit énergétique monstrueux.
Pourquoi cette explosion soudaine ?
Depuis deux ans, les annonces de nouveaux méga-data centers pleuvent. OpenAI, Microsoft, Google, Meta, Amazon… tout le monde veut sa part du gâteau de la puissance de calcul. Et quand on parle de « méga », on pèse nos mots : si aujourd’hui seulement 10 % des data centers consomment plus de 50 MW, demain la moyenne des nouvelles installations dépassera les 100 MW, et près d’un quart atteindra plus de 500 MW. Quelques monstres dépasseront même le gigawatt – l’équivalent d’une centrale nucléaire.
« Avec un délai moyen de sept ans pour mettre un projet en ligne, les annonces d’aujourd’hui impactent surtout la fin de notre prévision. »
– BloombergNEF, décembre 2025
Le plus fou ? Ce rapport publié début décembre 2025 est déjà une révision à la hausse par rapport à celui d’avril dernier. Entre-temps, le nombre de projets en phase précoce a tout simplement doublé.
Où vont pousser ces usines à calcul ?
Les terrains proches des grandes villes deviennent rares et hors de prix. Résultat : les hyperscalers partent à la conquête des zones rurales. Les grands gagnants ? La Virginie, la Pennsylvanie, l’Ohio, l’Illinois et le New Jersey, tous dans le périmètre du PJM Interconnection – le gestionnaire du réseau électrique qui couvre 13 États et qui est déjà sous tension.
Le Texas (géré par l’Ercot) est aussi dans le viseur. Ces régions offrent des terrains énormes, des taxes avantageuses et… une électricité encore relativement bon marché. Pour l’instant.
- Virginie : déjà la capitale mondiale des data centers (plus de 35 % de la capacité US)
- Pennsylvanie et Ohio : anciens bassins industriels reconvertis
- Texas : énergie abondante grâce au gaz et à l’éolien
L’IA, ce vampire électrique
Derrière cette frénésie, un seul coupable : l’intelligence artificielle. L’entraînement et l’inférence des grands modèles de langage (LLM) vont représenter près de 40 % de la charge totale des data centers d’ici 2035. Le taux d’utilisation moyen des serveurs va grimper de 59 % à 69 % parce que, pour la première fois, ces machines tourneront presque à plein régime 24 h/24.
Et ça change tout. Jusqu’à présent, les data centers classiques (cloud public, hébergement web, etc.) avaient des pics et des creux. L’IA, elle, demande une puissance constante et massive. C’est comme passer d’une conduite en ville à une autoroute sans limitation de vitesse… en tractant une remorque de plusieurs tonnes.
Le réseau électrique va-t-il craquer ?
La réponse courte : il est déjà en train de craquer dans certaines régions. Monitoring Analytics, l’organisme indépendant qui surveille le PJM, a déposé une plainte officielle auprès de la FERC (le régulateur fédéral de l’énergie). Leur accusation ? Le PJM autorise les raccordements de data centers sans vérifier s’il y a assez de capacité.
« PJM a l’autorité pour faire attendre les gros data centers jusqu’à ce que le réseau puisse les alimenter de façon fiable. »
– Monitoring Analytics, plainte FERC 2025
Conséquence directe : les prix de l’électricité flambent dans la région PJM. Les habitants et les entreprises paient déjà la facture de cette course à la puissance.
580 milliards de dollars investis… plus que dans le pétrole
Cette année, le monde aura investi 580 milliards de dollars dans de nouveaux data centers. C’est plus que ce que l’on dépense pour trouver de nouveaux gisements de pétrole. Et ce n’est que le début. Les budgets d’infrastructure des GAFAM explosent :
- Microsoft : +54 % de capex en 2025
- Google : +80 %
- Meta : +65 %
- Amazon : projets de campuses de plusieurs milliards chacun
Pour les startups et scale-ups, c’est un signal clair : celui qui n’aura pas accès à assez de GPU dans les 24-36 prochains mois risque de se faire distancer définitivement.
Les solutions qui émergent (ou pas)
Face à ce mur énergétique, plusieurs pistes se dessinent :
- Énergies renouvelables dédiées : Microsoft et Google signent des PPA (contrats d’achat direct) de plusieurs GW d’éolien et de solaire
- Nucléaire nouvelle génération : projets SMR (small modular reactors) directement sur les sites de data centers
- Co-location avec centrales : certains projets se construisent à côté de centrales gaz ou même de vieux sites nucléaires
- Efficacité énergétique : passage au refroidissement liquide, puces plus efficaces (même si les gains sont marginaux face à la croissance)
Malgré tout, même les scénarios les plus optimistes prévoient une tension durable sur les réseaux jusqu’à la fin de la décennie.
Ce que ça change pour vous, entrepreneur tech
Si vous levez des fonds ou construisez un produit IA :
- Le coût du compute va devenir un poste de dépense stratégique (pas juste une ligne dans le budget infra)
- Les régions à faible coût énergétique (Québec, Scandinavie, Irlande, bientôt Afrique du Nord) redeviennent ultra-attractives
- Les investisseurs commencent à poser la question : « Quelle est votre stratégie énergie ? » dès le seed
- Les startups qui développent des modèles plus efficaces (quantization, distillation, MoE) prennent une valeur décuplée
On entre dans l’ère où l’avantage compétitif ne sera plus seulement algorithmique, mais aussi thermodynamique.
Conclusion : la ruée vers les watts
Dans les années 2010, on parlait de « land grab » pour les noms de domaine et les comptes sociaux. Dans les années 2020-2030, le nouveau territoire à conquérir, c’est l’accès à l’électricité bon marché et abondante. Les data centers de demain ne seront plus seulement des bâtiments pleins de serveurs : ce seront des centrales électriques avec des ordinateurs à l’intérieur.
Pour les entrepreneurs, c’est à la fois une menace (coûts qui explosent, barrières à l’entrée qui montent) et une opportunité immense : toutes les startups qui sauront réduire la consommation énergétique de l’IA, optimiser l’inférence ou créer des alternatives décentralisées auront un boulevard devant elles.
Une chose est sûre : l’intelligence artificielle ne va pas ralentir. Et tant qu’elle continuera à grossir, elle aura besoin de toujours plus de watts. Préparez-vous : la prochaine grande bataille tech ne se jouera plus seulement dans le cloud… mais dans les centrales.






