L’année 2024 a démarré sur les chapeaux de roues dans l’industrie technologique, mais pas forcément dans le bon sens du terme. Les plans de licenciements massifs s’enchaînent à un rythme soutenu chez les géants du secteur comme dans les jeunes pousses prometteuses. Une tendance lourde qui soulève de nombreuses questions sur l’avenir du marché de l’emploi tech.
Le spectre des licenciements plane sur la Silicon Valley et au-delà
Après une année 2023 déjà marquée par d’importantes réductions d’effectifs, 2024 semble partie pour battre tous les records. Selon le décompte du site Layoffs.fyi, spécialisé dans le suivi des licenciements tech, plus de 60 000 emplois ont déjà été supprimés en à peine 5 mois, dans 254 entreprises. Un tsunami social qui n’épargne personne, des mastodontes californiennes aux startups en pleine ascension.
Parmi les coupes les plus spectaculaires :
- Tesla a sabré dans ses effectifs dès janvier, en particulier dans ses divisions Autopilot et ingénierie logicielle. Plusieurs milliers d’emplois seraient concernés selon les analystes.
- Meta, maison mère de Facebook, poursuit sa cure d’amaigrissement avec 4000 postes supprimés en avril. Cela s’ajoute aux 11 000 licenciements de novembre dernier.
- Amazon prévoit de se séparer de 9000 salariés supplémentaires après les 18 000 jobs cutés fin 2023. Les divisions les plus impactées seraient la vente au détail, les ressources humaines et les appareils connectés type Alexa.
Mais la crise n’affecte pas que les GAFAM. De nombreuses licornes et startups en vue dégraissent aussi à tour de bras. Stripe (paiement en ligne), Klarna (paiement fractionné) ou encore Lyft (VTC) ont toutes annoncé des plans sociaux de grande ampleur. Même son de cloche du côté de Shopify, Coinbase, Snap, Robinhood… La liste est longue comme un jour sans pain.
Pourquoi une telle épidémie de licenciements en 2024 ?
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette vague de plans sociaux qui déferle sur la tech mondiale :
- Le ralentissement économique et la menace de récession pèsent sur les budgets des entreprises et des consommateurs.
- L’inflation galopante grève les marges et pousse à réduire les coûts, dont la masse salariale est souvent le premier poste.
- La hausse des taux d’intérêt complique l’accès aux financements pour des sociétés habituées à lever des fonds facilement.
- La fin du boom lié au Covid, qui avait gonflé la demande pour de nombreux services numériques, entraîne un retour de bâton.
Sur ce terreau difficile, certains y voient aussi des ajustements nécessaires après des années d’embauches effrénées. La quête effrénée de croissance aurait conduit à des recrutements parfois plus quantitatifs que qualitatifs.
Il y a eu beaucoup d’embauches dans l’euphorie, sans se demander si c’était justifié stratégiquement. On assiste à une normalisation du marché de l’emploi tech.
– Julia Dallest, experte des enjeux RH dans la tech
L’IA, entre menace et opportunité pour l’emploi tech
L’autre phénomène qui pèse sur l’emploi dans la tech, c’est bien sûr la ruée vers l’intelligence artificielle et son potentiel d’automatisation. Les outils d’IA générative comme ChatGPT ou Midjourney sont dans toutes les conversations. Or s’ils ouvrent de formidables opportunités en termes d’innovation, ils laissent aussi planer le risque d’une destruction massive d’emplois.
- Dans une note interne, la direction d’IBM évoque la possibilité de remplacer 7800 postes par de l’IA et de l’automatisation. Cela concernerait en premier lieu les fonctions « back office » comme la comptabilité ou les services juridiques.
- Anthropic, concepteur de l’agent conversationnel Claude basé sur l’IA, a licencié 28 de ses 120 employés fin avril. L’argument avancé ? Une IA maison serait désormais capable d’effectuer leur travail !
Une chose est sûre : les géants de la tech comme les startups parient à fond sur l’IA pour doper leur croissance future. Reste à savoir quelles en seront les conséquences exactes sur le marché de l’emploi des prochaines années. Une bonne partie des jobs techs créés lors de la dernière décennie pourrait être menacée, tandis que de nouveaux métiers émergeront. Comment s’y préparer ?
Quelle est la situation de l’emploi tech en France ?
Jusqu’ici, l’Hexagone semble relativement épargné par la vague de plans sociaux qui frappe la Silicon Valley. Mais des signaux inquiétants apparaissent :
- Plusieurs startups françaises bien connues ont procédé à des licenciements significatifs, comme Sézane (mode) ou Contentsquare (analytics).
- Des incubateurs et accélérateurs constatent que les levées de fonds sont plus difficiles. Les investisseurs se montrent plus sélectifs et exigent une rentabilité à court terme.
- Dans les ESN et les services informatiques, la croissance des effectifs marque le pas. Certains grands comptes commencent à revoir leurs projets à la baisse.
Cependant, à ce stade, le marché de l’emploi tech tricolore résiste plutôt bien. Les développeurs, data scientists ou experts en cybersécurité restent très recherchés. De même, l’essor de la French Tech ces dernières années, et les besoins de transformation numérique toujours présents dans de nombreux secteurs, continuent de tirer l’emploi vers le haut. Mais la dynamique est clairement moins favorable qu’en 2021-2022.
Conclusion : une vraie menace ou une consolidation nécessaire ?
2024 restera dans les annales comme une année noire en termes de licenciements dans la tech. Le phénomène, parti des États-Unis, se répand peu à peu sur toute la planète. Si le pire semble épargner la France pour le moment, la vigilance est de mise. Entre conjoncture économique morose, pression concurrentielle et déferlante de l’IA, difficile d’y voir très clair sur l’emploi tech des prochaines années.
Certains ont déjà tiré la sonnette d’alarme, évoquant un « techno-chômage » massif lié à l’automatisation accélérée des tâches. D’autres relativisent, estimant que ce mouvement de restructuration est sain après une décennie de « bullshit jobs » et de course aveugle à la croissance. La vérité se situe sans doute entre les deux : oui, les licenciements actuels révèlent un marché plus mature. Mais le rouleau compresseur de l’IA risque de faire très mal si on ne s’y prépare pas collectivement. Plus que jamais, agilité et formation continue seront les maîtres-mots pour tirer son épingle du jeu !