Dans un monde de plus en plus numérique et connecté, les puces électroniques sont devenues le carburant indispensable à de nombreuses industries. Mais derrière cette dépendance technologique se cache une autre réalité : la domination croissante de la Chine dans la production de certains types de semi-conducteurs, dits « matures ». Un nouveau front s’ouvre dans la bataille pour la souveraineté numérique.
La Chine à l’assaut des puces matures
Mise au ban sur les technologies de pointe par les sanctions américaines, la Chine a trouvé un autre cheval de bataille : les puces matures. Il s’agit de semi-conducteurs moins avancés technologiquement, mais indispensables à de nombreux secteurs comme l’automobile. Pékin investit massivement dans de nouvelles usines, avec un objectif clair : dominer ce marché stratégique.
L’industrie automobile en particulier, y compris l’industrie allemande, a besoin de beaucoup plus de puces fabriquées à l’aide de technologies plus simples et connues depuis longtemps.
Christophe Fouquet, PDG d’ASML
Selon le groupe industriel SEMI, la production chinoise de puces matures devrait augmenter de 14% d’ici 2025, deux fois plus vite que le reste du monde. Une expansion qui inquiète l’Europe, consciente des risques de dépendance à un fournisseur quasi-unique.
L’Europe sonne l’alerte sur les risques
Face à cette menace, la Commission européenne a lancé une vaste consultation auprès de l’écosystème des semi-conducteurs. L’objectif est d’évaluer précisément les risques liés à l’expansion chinoise dans ce domaine, après les voitures électriques et les terres rares. Car derrière le sujet des puces matures se cache un enjeu de souveraineté économique et technologique majeur pour l’Europe.
Il ne sert à rien d’empêcher quelqu’un de produire quelque chose dont vous avez besoin. Lorsqu’il s’agit du gaz russe, les gens comprennent qu’il faut trouver des alternatives, mais pas encore lorsqu’il s’agit des chips.
Christophe Fouquet, PDG d’ASMLLe groupe néerlandais ASML, leader mondial des machines de lithographie pour la production de semi-conducteurs, est en première ligne. Obligé par son gouvernement de cesser ses ventes d’outils de pointe en Chine, il plaide pour une approche pragmatique sur les puces matures, tout en appelant l’Europe à développer des alternatives. Car pour l’heure, le Vieux Continent est loin de l’autonomie dans ce domaine :
L’Europe ne peut même pas satisfaire la moitié de ses besoins. Nous avons donc besoin de cela d’ailleurs – et les usines nécessaires sont actuellement en construction en Chine.
Christophe Fouquet, PDG d’ASMLLe plan européen Chips Act à l’épreuve
Pour tenter de combler son retard, l’Europe a lancé en 2022 le plan Chips Act, doté de plus de 40 milliards d’euros. Mais celui-ci se concentre surtout sur les puces de pointe, laissant un angle mort sur les technologies matures. Une erreur stratégique selon certains experts, car ces composants représentent encore 70% des ventes mondiales.
Face à l’urgence, la Commission européenne envisage donc de compléter son plan avec un volet dédié aux puces matures. L’objectif serait de soutenir l’implantation de nouvelles usines sur le sol européen, en partenariat avec les industriels du secteur. Car sans une action rapide et massive, l’Europe risque de voir sa souveraineté technologique sérieusement mise à mal dans les années à venir.
Puces matures : un enjeu crucial pour l’avenir
Derrière l’apparente technicité du sujet se cache donc un enjeu géopolitique et économique majeur. La bataille pour le contrôle des puces matures est engagée, et l’Europe ne peut rester spectatrice. Il en va de son autonomie stratégique dans de nombreux secteurs clés comme l’automobile, l’industrie ou la défense.
La consultation lancée par Bruxelles est un premier pas. Mais il faudra aller plus loin, en débloquant rapidement des financements et en nouant des alliances avec des partenaires fiables. Car dans cette nouvelle guerre technologique, la Chine a pris une longueur d’avance. À l’Europe de savoir réagir, avant qu’il ne soit trop tard.