Meredith Whittaker, la présidente de l’application de messagerie sécurisée Signal, ne mâche pas ses mots. Lors d’une interview exclusive au salon VivaTech à Paris, elle a critiqué sans détour les dérives des géants de la tech, la concentration du pouvoir dans l’IA et le manque de sérieux des dirigeants d’OpenAI. Un pavé dans la mare salutaire pour le secteur.
Le pouvoir démesuré des géants de la tech inquiète
Meredith Whittaker s’alarme de la concentration du pouvoir dans les mains d’une poignée d’entreprises tech, principalement américaines comme Meta (Facebook, Instagram), Google (YouTube), Twitter, TikTok. Ces plateformes de réseaux sociaux massives et homogènes jouent un rôle déterminant en tant qu’arbitres de l’information, avec des algorithmes calibrés pour l’engagement et le profit qui amplifient les contenus clivants et la désinformation.
Je ne pense pas qu’on puisse avoir une conversation sur la désinformation sans parler du rôle des plateformes massives et homogènes qui ont cannibalisé notre écosystème médiatique et informationnel au service du profit et de la croissance d’une poignée d’entreprises.
– Meredith Whittaker, Présidente de Signal
Cette situation est d’autant plus préoccupante à l’approche d’échéances électorales majeures, notamment aux États-Unis en 2024. L’Europe est aussi concernée du fait de sa dépendance vis-à-vis des géants tech américains en matière d’IA et d’infrastructures numériques.
La présidente de Signal tire à boulets rouges sur Telegram
Meredith Whittaker n’a pas non plus épargné Telegram et son fondateur Pavel Durov suite à leur récente passe d’armes concernant la sécurité de Signal. Selon elle, les allégations de Telegram étaient mensongères et irresponsables, semant le doute parmi les communautés vulnérables qui dépendent de Signal.
Pavel semble être trop occupé à se faire suivre par un photographe professionnel pour vérifier ses faits. Je sais qu’il raconte n’importe quoi sur Signal.
– Meredith Whittaker, Présidente de Signal
Elle souligne que contrairement à Signal qui est entièrement dédié à la confidentialité, Telegram est avant tout un réseau social avec des fonctions de messagerie non chiffrées. De ce fait, Telegram est l’un des services de messagerie les moins sécurisés du marché selon elle.
OpenAI dans le viseur pour son immaturité
La présidente de Signal a également étrillé le comportement puéril des dirigeants d’OpenAI suite à la polémique avec l’actrice Scarlett Johansson concernant l’utilisation non autorisée de sa voix par leur IA. Elle dénonce une culture immature faite de "blagues potaches" et l’absence de garde-fous au sein de l’entreprise malgré les enjeux colossaux.
C’est tellement irrespectueux et inutile. Ça déchire le voile sur cette mythologie selon laquelle vous êtes tous des gens sérieux à l’apex de la science en train de construire la prochaine divinité, alors qu’il est très clair que la culture est celle de blagues potaches.
Meredith Whittaker à propos des dirigeants d’OpenAI
Signal campe sur ses positions en matière de vie privée
Interrogée sur les régulations telles que l’Online Safety Bill au Royaume-Uni qui pourrait imposer des backdoors dans le chiffrement des messageries comme Signal, Meredith Whittaker est catégorique. Signal n’obtempérera pas et quittera le pays si nécessaire pour ne pas trahir ses utilisateurs.
Nous ne le ferons jamais. Nous ne vendrons jamais les personnes qui comptent sur Signal, surtout que pour beaucoup la sécurité numérique est une question de vie ou de mort.
Elle se montre aussi très critique vis-à-vis des projets européens de réglementation sur la lutte contre les abus sexuels sur enfants (CSAM) qui impliqueraient d’instaurer une surveillance de masse des communications privées. Un véritable cheval de Troie porté par le lobby de l’industrie du scanning biométrique selon elle.
Décentraliser l’IA, un slogan creux pour l’instant
Enfin, questionnée sur l’idée d’une "IA décentralisée" comme contrepoids aux géants de la tech, Meredith Whittaker reste sceptique. Elle attend de voir des arguments et des architectures concrètes au-delà du slogan. Pour l’heure, le pouvoir dans l’IA reste concentré dans très peu de mains.
L’interview de Meredith Whittaker soulève de vraies questions sur la structuration actuelle de l’économie numérique et ses dangers. Préserver la vie privée, lutter contre la désinformation et rééquilibrer le pouvoir dans la tech figurent parmi les grands défis de notre époque. Des enjeux cruciaux à l’heure où le numérique imprègne toujours plus nos vies et nos sociétés.