Imaginez qu’en 2016, un organisme pose un objectif qui paraît alors totalement fou : 35 gigawatts de stockage d’énergie raccordés au réseau américain d’ici fin 2025. À l’époque, le marché est embryonnaire, presque anecdotique. Et pourtant, fin 2025, non seulement cet objectif est atteint… mais littéralement explosé avec plus de 40 GW déjà installés, et l’année n’est même pas terminée. Ce n’est plus une success story, c’est une révolution en temps réel.
Pour les entrepreneurs, les investisseurs et tous ceux qui gravitent dans la tech, le cleantech et l’énergie, cette accélération fulgurante n’est pas qu’une bonne nouvelle écologique : c’est surtout l’un des marchés les plus brûlants du moment. Et si vous cherchiez le prochain « x10 » ou « x100 », il est peut-être là, juste sous vos yeux.
Des chiffres qui donnent le vertige
Au troisième trimestre 2025, 4,7 GW de batteries ont été mis en service rien qu’aux États-Unis. À titre de comparaison, c’est plus que ce qu’a installé la France entière en capacité solaire sur plusieurs années. Cumulé, on dépasse déjà les 40 GW. Et selon les données de la Federal Energy Regulatory Commission, les énergies renouvelables + stockage représentent cette année la première source de nouvelle capacité électrique ajoutée au réseau.
Concrètement :
- Près de 50 % des nouvelles capacités renouvelables déployées entre juillet et septembre sont couplées à du stockage.
- Les États leaders ? La Californie, le Texas et l’Arizona – trois marchés où le réseau craque sous la chaleur et la demande.
- Et devinez qui arrive en masse ? Les data centers. Oui, vos chers hyperscalers qui font tourner l’IA 24/7.
Pourquoi ça explose maintenant ?
Plusieurs phénomènes se télescopent :
1. Le coût du lithium-ion a été divisé par près de 90 % en dix ans.
2. Les incitations fédérales (IRA 2022) ont débloqué des milliards.
3. Les grids operators paient désormais très cher les services de flexibilité (frequency regulation, peak shaving).
4. L’explosion de la demande en électricité liée à l’IA et aux data centers rend le stockage incontournable.
« Le stockage n’est plus un nice-to-have, c’est le système nerveux du futur réseau électrique. »
– Un grid operator texan, anonyme, septembre 2025
Les startups qui surfent (et créent) la vague
Redwood Materials – oui, la boîte cofondée par JB Straubel, l’ex-CTO de Tesla – vient d’annoncer une nouvelle division dédiée au reconditionnement de batteries EV pour du grid-scale. Résultat ? 350 millions de dollars levés en quelques semaines pour financer cette nouvelle ligne de business. Objectif : 20 GWh déployés d’ici 2028.
Le calcul est simple : les premières générations de batteries Tesla ou Nissan Leaf arrivent en fin de vie automobile… mais conservent encore 70-80 % de capacité. Parfait pour stabiliser un réseau.
Autre approche radicale : Base Power, une startup d’Austin, lève 1 milliard de dollars pour installer des batteries chez les particuliers au Texas et les agréger en centrale virtuelle (VPP). Plus de 100 MWh déjà déployés. Leur modèle ? Louer la batterie au client, lui faire payer moins cher son électricité, et revendre la flexibilité au grid operator. Un win-win-win qui rappelle les débuts de SolarCity.
Au-delà du lithium-ion : la course à l’innovation
Le lithium-ion domine aujourd’hui 95 % du marché, mais les limites apparaissent : coût des matières premières, dépendance à la Chine, recyclabilité. Résultat : une nuée de startups attaque le problème sous tous les angles.
Quelques pépites à suivre de très près :
- Fourth Power : stockage thermique dans des blocs de carbone portés à plusieurs milliers de degrés. Coût cible inférieur au lithium-ion et aux turbines gaz de pointe.
- Sizable Energy : réservoirs souples flottants en haute mer pour du stockage hydro-pneumatique à très grande échelle.
- XL Batteries : batteries à flux installées directement sur les sites pétrochimiques existants (réutilisation d’infrastructures).
- Cache Energy : pellets de chaux qui stockent l’énergie sous forme chimique pendant des mois sans perte.
Toutes ces technologies visent un même objectif : descendre sous les 50 $/kWh de coût de stockage longue durée. Quand ce seuil sera franchi, le solaire + stockage deviendra structurellement moins cher que n’importe quelle centrale fossile, même sans subvention.
L’angle business que personne ne voit encore
La vraie disruption ne viendra pas seulement des hardware players. Elle viendra des couches logicielles et financières qui orchestrent tout ça.
Exemples concrets :
- Les plateformes d’agrégation de VPP qui transforment des millions de batteries résidentielles en actifs financiers négociables.
- Les insurers qui proposent désormais des produits spécifiques pour les actifs de stockage (revenue insurance sur les marchés de capacité).
- Les banques d’investissement qui structurent des green bonds adossés à des portefeuilles de projets de stockage.
En clair : on assiste à la naissance d’un nouveau marché financier autour de la flexibilité électrique. Et ce marché pourrait très vite valoir des centaines de milliards de dollars.
Ce que ça signifie pour vous, entrepreneur ou investisseur
1. Le stockage n’est plus un secteur « vert » de niche, c’est devenu un secteur infrastructurel critique.
2. Les barrières à l’entrée baissent : repurposing de batteries, logiciels d’optimisation, modèles as-a-service.
3. La demande est garantie pour au moins dix ans (data centers, électrification des transports, remplacement des peaking plants).
4. Les marges sont encore énormes sur tout ce qui touche à la couche logicielle et aux services.
« Celui qui contrôle le stockage contrôlera demain les marges du système électrique. »
– Un VC spécialisé cleantech, San Francisco, novembre 2025
Conclusion : on est au tout début de la courbe
Ce qui se passe aujourd’hui avec le stockage d’énergie ressemble furieusement à ce qu’on a vécu avec le solaire il y a quinze ans ou les véhicules électriques il y a dix ans. Les objectifs paraissaient fous. Ils ont été pulvérisés. Les valorisations paraissaient folles. Elles se sont révélées sous-estimées.
Si vous cherchez où sera le prochain trillion-dollar market entre l’IA et le climat, regardez du côté des batteries et de tout l’écosystème qui gravite autour. Parce qu’en 2025, on ne parle plus d’atteindre les objectifs… on parle déjà de ceux de 2030.
Et là, on ne parle plus de 100 GW. On parle de térawatts.
Le futur est déjà là. Il est juste inégalement distribué… pour l’instant.






