Dans l’univers des startups, il arrive un moment où les dirigeants doivent sérieusement réfléchir à la suite : que faire quand on a levé 150 millions de dollars en 15 ans pour bâtir une communauté de plus de 100 millions de membres ? C’est le défi auquel fait face Strava, l’application sociale dédiée au fitness.
Après avoir atteint une taille critique grâce à la détermination typique des entreprises dirigées par leurs fondateurs, Strava se trouve à un tournant. Comme l’a déclaré en février 2023 le cofondateur et ex-PDG Michael Horvath : « Ce qui nous a amenés ici ne sera pas exactement la même chose que ce qui nous mènera là-bas. J’ai décidé que Strava avait besoin d’un PDG ayant l’expérience et les compétences pour nous aider à tirer le meilleur parti de ce prochain chapitre ».
Michael Martin aux commandes
Ce nouveau chapitre a débuté en janvier, lorsque Strava a annoncé que son nouveau PDG serait Michael Martin, ancien cadre de YouTube et responsable des produits numériques chez Nike. Six mois après sa prise de fonction, Martin a déjà donné les premiers indices sur ses priorités en termes de business et de produit, révélant des projets d’utilisation de l’IA pour éliminer les tricheurs des classements, ainsi que de nouvelles fonctionnalités pour élargir sa démographie.
Ces dernières semaines, Strava a également introduit un nouvel abonnement de groupe, tout en offrant enfin à ses utilisateurs la fonctionnalité qu’ils réclamaient le plus : le mode sombre, une lacune criante qui en frustrait plus d’un.
Le casse-tête du dark mode
Mais pourquoi avoir tant tardé à implémenter une fonctionnalité apparemment simple ? Martin explique :
Si vous deviez construire l’application Strava maintenant, ou même au cours des deux ou trois dernières années, activer le mode sombre aurait été très simple. Mais Strava n’est pas une nouvelle application.
– Michael Martin, CEO de Strava
L’application ayant évolué au fil des 15 dernières années par ajouts et couches successives, introduire ce qui pourrait sembler être une mise à jour facile s’est avéré un vrai défi. Il a fallu repenser les interfaces utilisateur dans une optique plus « moderne et modulaire ». Un travail de fond dont le mode sombre n’est finalement qu’un agréable bénéfice.
Deux priorités : l’inclusivité et l’IA
Au-delà de l’expérience utilisateur, les efforts de Strava se concentrent actuellement sur deux axes majeurs : l’inclusivité, avec l’initiative « Building for Her » visant à combler l’écart de participation entre hommes et femmes, et l’intelligence artificielle, pour améliorer les fonctionnalités d’analyse de données et de détection des comportements anormaux.
De nouvelles cartes thermiques mettront en avant les itinéraires les plus fréquentés entre le coucher et le lever du soleil, tandis qu’un outil d’édition rapide permettra de masquer facilement certaines données d’activité comme la localisation, pour plus de confidentialité.
Côté IA, un apprentissage automatique plus poussé sera employé pour détecter les activités douteuses dans les classements, en se basant sur l’historique. L’objectif : préserver l’intégrité et la saine compétition au sein de la communauté.
Un modèle basé sur l’abonnement
Si certains se sont interrogés sur l’arrivée de Michael Martin, précédemment en charge du e-commerce chez YouTube, ce dernier est catégorique : Strava n’a pas vocation à devenir un produit publicitaire. L’abonnement reste le modèle le plus pertinent.
Strava est un « produit social ». Le but d’un réseau social est d’optimiser votre engagement sur cette plateforme. L’objectif de Strava est exactement l’inverse. Notre but est de vous motiver à faire quelque chose dans le monde réel, pas à rester en permanence sur Strava.
– Michael Martin, CEO de Strava
Cette philosophie se reflète dans les chiffres : en moyenne, un utilisateur passe 20 fois plus de temps à pratiquer une activité qu’à utiliser l’application. Un ratio sain que Martin ne compte pas inverser.
Monétiser sans trahir les valeurs
Avec plus de 150 millions de dollars levés et une communauté massive, la question de la monétisation et d’une éventuelle introduction en bourse se pose légitimement. Mais Strava se veut prudent, souhaitant éviter les écueils d’autres géants de la tech en termes d’utilisation des données.
S’il partage de manière agrégée et anonymisée certaines données d’activité avec des municipalités ou des organismes pour optimiser les infrastructures via son programme Strava Metro, l’entreprise s’est engagée à ne pas monétiser directement les données de ses utilisateurs. Un positionnement éthique fort.
Une croissance rentable
Quant à une nouvelle levée de fonds, rien ne presse selon Martin :
Notre bilan reste solide ; nous sommes rentables depuis plus de quatre ans déjà d’un point de vue EBITDA ajusté. L’ensemble de notre activité, du chiffre d’affaires à la rentabilité, est en réalité devenu bien plus performant au cours des derniers mois. Nous n’avons donc pas de besoin pressant de lever des capitaux.
– Michael Martin, CEO de Strava
Avec un nouveau dirigeant expérimenté à sa tête, une feuille de route produit ambitieuse et des fondamentaux financiers solides, Strava semble avoir trouvé son rythme de croisière. De quoi envisager sereinement les prochains kilomètres.