Imaginez un monde où l’intelligence artificielle (IA) pourrait créer de la musique qui rivalise avec les plus grands artistes. C’est le pari audacieux de Suno, une startup qui affirme pouvoir entraîner ses modèles sur des chansons protégées par le droit d’auteur au nom du « fair use ». Mais l’industrie musicale ne l’entend pas de cette oreille et la Recording Industry Association of America (RIAA) a intenté un procès contre Suno et une autre startup, Udio.
Suno admet utiliser de la musique protégée pour entraîner son IA
Dans un dépôt de plainte du 1er août 2024, Suno reconnaît sans détour avoir utilisé « des dizaines de millions d’enregistrements » protégés par le droit d’auteur pour entraîner son modèle d’IA musicale. Le PDG Mikey Shulman explique :
Nous entraînons nos modèles sur de la musique de moyenne et haute qualité que nous trouvons sur Internet. Une grande partie contient en effet du matériel protégé par le droit d’auteur, dont certains appartiennent aux grands labels.
– Mikey Shulman, PDG et co-fondateur de Suno
Pour Suno, s’inspirer de musiques existantes pour créer de nouveaux morceaux par IA s’apparente à « un enfant qui écrit ses propres chansons rock après avoir écouté le genre ». Shulman insiste : « apprendre n’est pas enfreindre. Ça ne l’a jamais été, et ça ne l’est toujours pas aujourd’hui ».
La RIAA dénonce « un vol à l’échelle industrielle »
Sans surprise, la RIAA ne partage pas cette analyse. Dans une réponse cinglante, l’association estime que Suno a fait « une concession majeure sur des faits qu’ils ont passé des mois à essayer de cacher » :
Leur violation du droit d’auteur à l’échelle industrielle ne peut être qualifiée « d’usage loyal ». Il n’y a rien de juste à voler l’œuvre d’une vie d’un artiste, à en extraire la valeur fondamentale et à la reconditionner pour concurrencer directement les originaux.
– Recording Industry Association of America (RIAA)
Pour la RIAA, la « vision de l’avenir de la musique » de Suno est un monde où « les fans ne pourront plus apprécier la musique de leurs artistes préférés car ces derniers ne pourront plus gagner leur vie ».
Fair use ou violation du droit d’auteur ? Les enjeux pour l’IA générative
Le concept de « fair use » ou « usage loyal » en français est une exception au droit d’auteur qui autorise l’utilisation d’œuvres protégées sans autorisation préalable à des fins de critique, de commentaire, d’information, d’enseignement ou de recherche. Mais son application aux techniques d’entraînement des modèles d’IA générative soulève de nombreuses questions :
- L’IA produit-elle une œuvre « transformative » ou se contente-t-elle de « reconditionner » le matériel d’origine ?
- L’utilisation massive de données protégées peut-elle être considérée comme « loyale » ?
- Comment assurer une juste rémunération des artistes et ayants droit face aux modèles entraînés sur leurs œuvres ?
Au-delà du simple cas Suno vs RIAA, c’est tout l’écosystème de l’IA générative qui est concerné. Des modèles de langage comme GPT aux outils de génération d’images comme Midjourney, Stable Diffusion ou DALL-E, tous s’entraînent sur d’immenses jeux de données qui incluent inévitablement des contenus protégés par la propriété intellectuelle.
Le procès intenté par la RIAA à Suno et Udio n’en est qu’à ses débuts, mais il promet d’établir un précédent juridique majeur qui pourrait définir les contours de « l’usage loyal » à l’ère de l’IA créative. En jeu : rien de moins que l’avenir de la création musicale et artistique à l’heure de l’automatisation.
Une chose est sûre : la technologie évolue souvent plus vite que le droit. Il est urgent pour les législateurs et l’industrie de trouver un équilibre entre innovation et protection des créateurs. Car derrière l’intelligence artificielle, il y a toujours une part d’intelligence et de créativité humaine qu’il serait injuste d’ignorer ou de spolier. L’avenir de la musique en dépend.