Face aux scandales à répétition qui ont terni l’image des marchés volontaires du carbone ces dernières années, plusieurs géants de la tech et du pétrole ont décidé d’unir leurs forces. Amazon, Microsoft et Exxon se sont en effet associés au sein d’un nouveau groupe de travail visant à améliorer la crédibilité de ces marchés controversés.
Organisé par le think tank Bipartisan Policy Center, ce groupe de travail a pour mission d’étudier le fonctionnement actuel des marchés volontaires du carbone et d’élaborer des recommandations politiques pour promouvoir des marchés justes, efficaces et transparents. L’initiative intervient alors que les entreprises technologiques ont considérablement augmenté leurs investissements dans l’IA, ce qui a dopé leurs actions en bourse mais aussi mis à rude épreuve leur capacité à tenir leurs engagements climatiques.
Une demande en crédits carbone en forte hausse
En 2023, les émissions de carbone de Microsoft ont bondi de près de 30% par rapport à l’année précédente, malgré les 20 gigawatts d’énergie renouvelable sous contrat. De son côté, Amazon a vu ses progrès stagner, avec une baisse minime sur la même période en dépit d’importants investissements dans les énergies vertes et les véhicules électriques.
Pour garder leurs objectifs de neutralité carbone à portée de main, les deux géants de la tech sont devenus des acteurs majeurs des marchés volontaires du carbone. Le mois dernier, Microsoft a ainsi acheté plus de 7 millions de tonnes métriques de crédits carbone, tandis qu’Amazon et d’autres entreprises ont dépensé 180 millions de dollars l’an dernier pour préserver une partie de la forêt amazonienne au Brésil.
Des scandales à répétition
Mais ces dernières années, les marchés du carbone ont été secoués par une série de scandales. En 2023, une enquête a révélé que Verra, une organisation à but non lucratif qui certifie les crédits carbone, avait vendu des dizaines de millions de crédits de compensation qui étaient en réalité sans valeur.
Verra commercialisait des crédits censés réduire la déforestation dans des pays comme le Pérou. Mais l’analyse a montré que les zones concernées ne présentaient pas de risque significatif d’exploitation forestière. Selon l’enquête, plus de 90% des crédits liés à la forêt tropicale n’avaient quasiment aucun effet sur la réduction des émissions de carbone.
Les marchés volontaires du carbone sont un outil essentiel pour lutter contre le changement climatique, mais ils doivent être crédibles et rigoureux pour être efficaces.
– Elizabeth Willmott, responsable du programme carbone chez Microsoft
Si Verra a contesté ce rapport, son PDG de longue date a fini par démissionner six mois plus tard. C’est dans ce contexte de crise de confiance que s’inscrit l’initiative d’Amazon, Microsoft et Exxon.
Un groupe de travail éclectique
Outre ces trois multinationales, le groupe de travail comprend également des représentants de startups spécialisées dans les technologies climatiques comme Heirloom, Isometric et BeZero. Des ONG font aussi partie de l’aventure, de même que l’ancien PDG de Verra et un dirigeant du géant du bois Weyerhaeuser.
L’objectif est de formuler des recommandations concrètes pour renforcer l’intégrité et la transparence des marchés volontaires du carbone. Parmi les pistes évoquées :
- Mettre en place des méthodologies de comptabilisation carbone plus robustes, s’appuyant notamment sur la technologie blockchain et l’analyse de données satellites.
- Instaurer des garde-fous pour éviter la double comptabilisation des réductions d’émissions et les projets de compensation douteux.
- Définir des standards de qualité plus exigeants pour les crédits carbone, en privilégiant les projets à fort impact environnemental et social.
Si certains saluent cette initiative comme un pas dans la bonne direction, d’autres s’interrogent sur la participation d’entreprises comme Exxon, régulièrement pointées du doigt pour leur rôle dans la crise climatique. La pétrolière assure toutefois vouloir faire partie de la solution, en investissant massivement dans les technologies de captage et de stockage du CO2.
Vers une régulation des marchés du carbone ?
Au-delà de cette initiative privée, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une régulation publique des marchés volontaires du carbone. Certains appellent à la création d’une agence internationale indépendante chargée de superviser ces marchés, sur le modèle de ce qui existe pour le commerce des émissions entre États.
D’autres plaident pour une intégration progressive des marchés volontaires dans les systèmes réglementés, afin de garantir une meilleure articulation entre les efforts des entreprises et les politiques publiques de lutte contre le changement climatique. Une chose est sûre : face à l’urgence climatique, la crédibilité des marchés du carbone sera un enjeu clé des prochaines années.