Journalistes Inquiets Face aux Accords IA des Publications

Imaginez un monde où votre travail de journaliste, fruit de longues heures de recherche, d’écriture et de réflexion, se retrouve aspiré dans les entrailles d’une intelligence artificielle, sans que vous n’ayez votre mot à dire. C’est le scénario auquel sont confrontés de nombreux journalistes suite aux récents accords signés entre leurs publications et des géants de l’IA comme OpenAI. Une situation qui soulève de sérieuses questions sur l’avenir du journalisme à l’ère des IA génératives.

Des accords opaques qui inquiètent

Fin mai, les équipes de Vox Media et The Atlantic ont eu la surprise d’apprendre, quelques minutes seulement avant une annonce publique, que leurs employeurs avaient signé des accords de licence de contenu avec OpenAI. Des accords donnant à la firme d’IA un accès à l’intégralité de leurs productions journalistiques, actuelles comme archivées, pour entraîner des modèles comme ChatGPT. Le tout sans que les principaux intéressés, les journalistes, n’aient été consultés ou même informés en amont.

Les équipes de The Atlantic ont en grande partie appris l’existence de cet accord par des sources extérieures, et tant l’entreprise qu’OpenAI ont refusé de répondre aux questions sur les termes du contrat.

– Déclaration du syndicat de The Atlantic

Une opacité qui contraste avec les inquiétudes exprimées par ces mêmes publications envers OpenAI et l’IA générative : impact environnemental, instabilité de gouvernance, manque de fiabilité… Autant de sujets abordés de façon critique par les journalistes, qui découvrent aujourd’hui que leur travail servira à nourrir les IA qu’ils questionnent.

La riposte s’organise chez les journalistes

Face à cette situation, les syndicats de journalistes montent au créneau. Objectif : obtenir rapidement des garanties similaires à celles arrachées par les scénaristes hollywoodiens. Car si les contrats actuels ne mentionnent pas explicitement l’IA, les syndicats estiment que son déploiement doit impérativement faire l’objet de négociations, au titre de son impact majeur sur les conditions de travail.

Nous pensons fermement que la mise en œuvre de l’IA est un sujet de négociation obligatoire. C’est clairement un enjeu lié au travail et aux conditions de travail, et l’entreprise est tenue de négocier avec nous sur la façon dont cela va se passer.

– Amy McCarthy, journaliste chez Eater et responsable communication du syndicat Vox Media

Un point crucial alors que les accords se multiplient : après Vox Media et The Atlantic, des poids lourds comme le Wall Street Journal, Politico ou l’Associated Press ont également noué des partenariats avec OpenAI. Avec à chaque fois la promesse d’un nouveau flux de revenus, mais sans réelle visibilité sur les contreparties pour les journalistes et le journalisme.

Quels bénéfices pour les journalistes et le journalisme ?

Car au-delà des questions de droits d’auteur et de conditions de travail, c’est bien l’avenir du journalisme qui inquiète la profession. En nourrissant les IA avec des contenus de qualité sans contreparties claires pour les créateurs, les publications ne scient-elles pas la branche sur laquelle elles sont assises ?

  • Quid de la monétisation si les internautes peuvent accéder aux articles via ChatGPT sans visiter les sites des publications ?
  • Comment s’assurer que le travail des journalistes soit bien crédité et ne nourrisse pas des IA qui pourraient à terme les remplacer ?
  • Quelles garanties éthiques sur l’usage de ces contenus pour entraîner des IA dont les dérives potentielles inquiètent ?

Autant de questions cruciales qui restent à ce stade sans réponses claires. Les accords actuels semblent surtout profiter financièrement aux publications, avec peu de considérations pour leurs impacts à long terme sur le journalisme et ses artisans. Une approche court-termiste qui fait craindre à certains une forme de « pacte avec le diable » :

On a l’impression d’un racket, comme si on avait passé un accord avec le type qui vient de cambrioler notre maison, et qu’il promet de ne pas recommencer.

– Amy McCarthy

Quelle régulation pour protéger le journalisme ?

Pour sortir de cette impasse, certains espèrent une intervention de la justice afin de sanctionner les géants de la tech coupables de violation de droits d’auteur. Des procédures ont été lancées contre OpenAI par divers médias comme le New York Times ou Wired. Mais leur issue est incertaine, d’autant que la jurisprudence Google a montré la difficulté d’aller contre des pratiques déjà largement adoptées par le public.

En attendant, la course aux accords IA se poursuit, avec même des startups peu scrupuleuses aspirant sans vergogne les contenus de certains sites. Preuve que sans un cadre éthique et légal clair, le rapport de force penche clairement en faveur des géants de la tech. Avec le risque de voir le journalisme devenir progressivement un simple carburant pour alimenter leurs IA, au détriment de sa mission d’intérêt public.

Pour éviter ce scénario, il y a urgence à ouvrir un vrai débat démocratique impliquant toutes les parties prenantes : médias, journalistes, pouvoirs publics, société civile… L’objectif : définir collectivement un cadre permettant de concilier le potentiel de l’IA et le rôle vital d’un journalisme éthique et de qualité. Faute de quoi le quatrième pouvoir pourrait bien se retrouver dépossédé de sa raison d’être par les algorithmes.

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