Imaginez un monde où les pays se livrent une bataille acharnée, non pas pour des territoires, mais pour des minuscules composants électroniques : les semi-conducteurs. C’est précisément ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec la multiplication des « Chips Act » à travers le globe. L’Union européenne, pionnière dans cette démarche, a annoncé son propre plan ambitieux. Mais face à une concurrence internationale féroce, Bruxelles parviendra-t-elle à atteindre ses objectifs ?
Une industrie stratégique sous perfusion étatique
Depuis leurs balbutiements dans les années 50, les entreprises de semi-conducteurs ont toujours bénéficié du soutien des États. Des États-Unis avec le programme Apollo, au Japon et sa stratégie « Very Large Scale Integrated », en passant par la Corée du Sud et son institut dédié depuis 1966, les gouvernements ont compris l’importance cruciale de ces composants, véritables pierres angulaires du monde numérique.
L’Europe n’est pas en reste, avec des participations étatiques dans des fleurons comme STMicroelectronics. Mais c’est véritablement la pandémie de Covid-19 et les tensions sino-américaines qui ont fait prendre conscience aux dirigeants politiques de l’impérieuse nécessité d’agir.
Un déferlement de Chips Act
Dès septembre 2021, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, annonçait fièrement le futur « EU Chips Act », plaçant la souveraineté technologique au cœur des enjeux. Mais l’UE n’est pas seule sur ce créneau :
- Le Japon a dévoilé sa stratégie nationale dès juin 2021
- Taïwan et la Corée du Sud ont adopté des mesures fiscales avantageuses début 2023
- Les États-Unis ont voté le « Chips and Science Act » en août 2022, avec une enveloppe de 52 milliards de dollars
Chaque pays a ses motivations : relocaliser la production, préserver son leadership, sécuriser l’approvisionnement en cas de pénurie… Une constante cependant, la volonté de garder la main sur cette industrie hautement stratégique.
L’Europe dans la course
Face à cette concurrence acharnée, l’UE affiche des ambitions élevées avec son Chips Act : atteindre 20% de part de marché mondial d’ici 2030, contre 8 à 9% actuellement. Un véritable défi quand on sait que le marché devrait doubler à l’horizon 2030 pour atteindre 1000 milliards de dollars.
L’autonomie est utopique d’un point de vue microélectronique aujourd’hui dans le monde.
– Stéphane Martinez, STMicroelectronics
Pour y parvenir, l’Europe mise sur un mix d’investissements publics et privés, avec 43 milliards d’euros annoncés. Les programmes nationaux comme France 2030 viendront compléter le dispositif. Mais il faudra aussi attirer les géants étrangers comme Intel ou GlobalFoundries, car vouloir faire cavalier seul serait irréaliste.
Coopérer sans perdre son âme
Car malgré la compétition, la coopération internationale reste indispensable. Les récents échanges entre l’UE et les États-Unis lors du Trade and Technology Council en témoignent. Les investissements de part et d’autre de l’Atlantique sont jugés « mutuellement bénéfiques ».
Pour Pascal Viaud, spécialiste des relations franco-taïwanaises, l’essentiel est de « reconstruire des écosystèmes locaux » en Europe. Une analyse partagée par Sébastien Dauvé, directeur du CEA-Leti, pour qui « plus que jamais l’Europe doit garder une place dans le semi-conducteur ». Tout en capitalisant sur ses forces et en s’ouvrant aux partenariats internationaux.
La course aux Chips Act ne fait que commencer, et promet d’être riche en rebondissements. L’Europe a des atouts à faire valoir, à condition de trouver le bon équilibre entre autonomie stratégique et coopération mondiale. Un défi de taille, à l’image de ces minuscules composants qui règnent en maîtres sur notre monde connecté.