Le Lobbying de l’IA Explose à Washington en 2024

Alors que l’incertitude plane sur la réglementation de l’intelligence artificielle (IA) aux États-Unis, les entreprises du secteur ont massivement augmenté leurs dépenses de lobbying à Washington en 2024. Selon les données compilées par OpenSecrets, pas moins de 648 entreprises ont dépensé de l’argent pour influencer les décideurs sur les enjeux liés à l’IA l’an dernier, contre seulement 458 en 2023. Cela représente une hausse vertigineuse de 141 % en l’espace d’un an.

Les géants de l’IA à l’assaut du Capitole

Parmi les plus gros contributeurs, on retrouve sans surprise les leaders du marché comme OpenAI, Anthropic et Cohere. À eux trois, ils ont dépensé pas moins de 2,71 millions de dollars en lobbying fédéral en 2024, soit plus de quatre fois leur budget cumulé de 2023 (610 000 dollars). Dans le détail :

  • OpenAI est passé de 260 000 dollars en 2023 à 1,76 million de dollars en 2024
  • Anthropic a plus que doublé ses dépenses, de 280 000 à 720 000 dollars
  • Cohere a plus que triplé son budget, passant de 70 000 à 230 000 dollars

Pour piloter leurs efforts d’influence, OpenAI et Anthropic ont même recruté des pointures. La première a engagé Chris Lehane, un vétéran de la politique, comme vice-président des affaires publiques. La seconde s’est offert les services de Rachel Appleton, une ancienne du département de la Justice, comme première lobbyiste interne.

Le difficile chemin vers une réglementation fédérale

Malgré ces efforts soutenus, le Congrès américain peine à légiférer sur l’IA. Au premier semestre 2024, pas moins de 90 textes liés à l’IA ont été examinés par les parlementaires selon le Brennan Center, sans qu’aucun n’aboutisse. Face à ce vide fédéral, plusieurs États comme le Tennessee, le Colorado et la Californie ont pris les devants avec leurs propres lois sur des aspects spécifiques comme la protection des artistes ou la transparence des algorithmes.

Aucun État n’a réussi à mettre en place une réglementation de l’IA aussi complète que le AI Act européen.

– Antonio Scala, expert en droit numérique

Trump favorable à une dérégulation

L’élection de Donald Trump à la présidence en novembre 2024 risque de redistribuer les cartes. Dès son premier jour à la Maison Blanche, le milliardaire républicain a abrogé un décret de son prédécesseur Joe Biden qui visait à réduire les risques de l’IA pour les consommateurs, les travailleurs et la sécurité nationale. Jeudi dernier, il a même signé un décret demandant aux agences fédérales de suspendre certains programmes et politiques initiés sous l’administration démocrate, dont potentiellement des règles d’exportation des modèles d’IA.

Clairement, Donald Trump semble vouloir largement déréglementer le secteur. Son objectif affiché est de supprimer tous les obstacles à « la domination américaine en matière d’IA ». Une approche qui tranche avec celle des leaders de l’industrie. En novembre, Anthropic avait appelé à une réglementation fédérale « ciblée » dans les 18 mois, estimant que « la fenêtre pour une prévention proactive des risques se referme rapidement ». OpenAI avait aussi exhorté le gouvernement à agir plus substantiellement.

2025, une année charnière pour l’IA ?

Alors que l’IA connait une accélération sans précédent, l’absence de cadre réglementaire clair aux États-Unis pourrait rapidement devenir problématique. Les enjeux sont nombreux, entre protection des données personnelles, biais des algorithmes, désinformation, impact sur l’emploi, propriété intellectuelle ou encore sécurité. Autant de sujets qui nécessiteront des arbitrages politiques majeurs dans les prochains mois.

2025 s’annonce donc comme une année charnière outre-Atlantique. Entre un Congrès divisé, un exécutif peu enclin à réguler et une industrie aux aguets, le débat promet d’être intense. Certains experts craignent l’émergence d’un « Far West » de l’IA, avec une course effrénée à l’innovation dénuée de garde-fous. D’autres espèrent au contraire que le leadership américain permettra de garder une longueur d’avance sur la Chine.

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : au vu des enjeux colossaux, l’intelligence artificielle restera au cœur de toutes les attentions à Washington cette année. Et les dépenses de lobbying des entreprises du secteur ont de bonnes chances de battre de nouveaux records. Affaire à suivre…

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