Le réalisateur de documentaires Morgan Neville a récemment affirmé qu’il évitait désormais scrupuleusement l’utilisation de l’intelligence artificielle générative dans ses films, suite à la polémique suscitée par son documentaire « Roadrunner » sur Anthony Bourdain sorti en 2021. Dans ce film, Neville avait en effet eu recours à l’IA pour recréer la voix de Bourdain lisant certains de ses propres écrits. Une approche innovante mais qui avait déclenché de vives critiques.
Une utilisation ludique de l’IA qui fait polémique
Interrogé par Wired, Morgan Neville est revenu sur sa décision d’utiliser l’IA dans « Roadrunner ». Il explique avoir vu cela comme « un moyen amusant de faire perdurer la voix [de Bourdain] dans le film ». Même si la voix synthétique ne faisait que lire des mots réellement écrits par Bourdain, de nombreux spectateurs ont eu l’impression que « Oh, ils ont juste inventé [des jurons] », déplore le réalisateur.
Beaucoup de gens m’ont dit que d’autres projets documentaires faisaient la même chose, et qu’ils avaient tous réagi ; soit en changeant ce qu’ils faisaient, soit en mettant d’énormes avertissements sur tout.
– Morgan Neville à propos des réactions à l’utilisation de l’IA dans Roadrunner
Morgan Neville écarte désormais soigneusement l’IA de ses films
Échaudé par cette expérience, Morgan Neville indique avoir depuis « assidûment évité » d’avoir recours à l’intelligence artificielle. Y compris dans son nouveau documentaire « Piece by Piece » qui retrace la vie du musicien Pharrell Williams en Lego. Il a tenu à ce que le nom « Pharrell » prononcé par Carl Sagan dans le film ne soit pas généré par IA :
Nous avons en fait expérimenté pour construire le mot à partir de syllabes [réellement prononcées par Sagan].
– Morgan Neville à propos de son refus d’utiliser l’IA dans Piece by Piece
L’IA générative, un outil puissant mais source de débats éthiques
La mésaventure de Morgan Neville avec l’intelligence artificielle dans « Roadrunner » illustre bien les enjeux éthiques complexes soulevés par l’utilisation de ces technologies, en particulier dans le domaine artistique et créatif. Si l’IA offre des possibilités immenses, son usage soulève aussi de nombreuses questions :
- Doit-on systématiquement avertir le public quand de l’IA est utilisée dans une œuvre ?
- Jusqu’où peut-on aller dans la recréation synthétique de la voix ou de l’image d’une personne, surtout si celle-ci est décédée ?
- Comment s’assurer que l’IA respecte l’intégrité et les intentions des personnes qu’elle imite ?
Autant de questions cruciales auxquelles artistes, créateurs et régulateurs devront répondre alors que l’IA générative poursuit son essor fulgurant. L’exemple de Morgan Neville montre en tout cas que son utilisation est loin d’être anodine et peut vite devenir source de malaise pour le public si elle n’est pas maîtrisée avec beaucoup de précautions.
Vers une utilisation plus transparente et éthique de l’IA au cinéma ?
Si le recours à l’IA générative semble inévitable dans l’industrie du cinéma et des médias, la polémique autour de « Roadrunner » plaide pour une approche plus prudente et transparente. Avertir clairement les spectateurs, encadrer strictement ce qui est autorisé ou non, réfléchir aux conséquences éthiques… Autant de pistes pour que l’intégration de l’IA au cinéma se fasse de manière responsable et acceptée par le public.
Morgan Neville, échaudé par la controverse, semble avoir tiré les leçons de cette expérience en écartant désormais l’IA de ses films. Mais tous les réalisateurs n’auront certainement pas la même retenue. Il est donc crucial qu’un débat collectif s’engage sur les utilisations légitimes ou non de l’intelligence artificielle au cinéma, avant que sa généralisation ne s’impose comme une fatalité sans garde-fous. L’avenir des documentaires, et du 7e art dans son ensemble, en dépend.